Le port de la Madeleine : Rolf un loup dans un corps de chien, ou un chien dans un corps de loup?.
Je devais avoir à peine plus de cinq ans un matin alors que poussé par un besoin naturel bien légitime je me dirigeais vers les latrines, quand soudain derrière le muret j’ai aperçu un loup!.
Affolé, après un demi-tour d’une rapidité qui m’a sûrement permis d’égaler?…voir de battre au passage le record du soixante mètres des petites jambes de mon âge, j’ai ouvert la porte de la maison pour la refermer presque dans la même foulée !.
Papa!…papa!…il y a un loup,?il y a un loup, derrière la maison!.
Sans s’affoler mon père a répondu à mon affirmation, par une phrase que j’ai détesté sur le coup ! : Maurice, les loups n’existent plus dans la région depuis longtemps !.
Je me souviens de lui avoir répondu : et bien vas voir!.
Et c’est après cette alerte, que quelques minutes plus tard l’incroyable se produisit !.
Mon géniteur héros de la deuxième guerre mondiale, avait réussi l’exploit d’amadouer l’animal sauvage en moins de temps que j’ai mis en forme ces quelques lignes!.
J’étais fier de lui, au fond de moi je calculais les progrès qu’il me restait à faire avant de lui ressembler, décidément je n’étais qu’un tout petit bonhomme sans envergure ni courage !.
Les phrases rassurantes fusèrent, c’est sûrement un chien abandonné, il vient se donner. Il nous arrivait effectivement parfois d’adopter un orphelin à quatre pattes, pas par un manque quelconque, mais tout simplement parce que j’étais dans une famille qui avait le sens de l’hospitalité poussé à son extrême.
On va le garder entonna le chef de famille!.
Tu crois, lui répondis ma mère, penses-tu que nous manquons d’animaux ici ?.
De toute façon il est là, et c’est un superbe représentant de la race canine!.
Dans mon fort intérieur la peur qui m’avait tenaillé un long moment s’estompa à la vue de ce loup qui n’avait plus à mes yeux les allures de tueur qui sont contées dans les livres.
Et pour montrer que j’avais un peu de courage, je n’ai pas pu me retenir en lançant cette petite phrase : oui !….il est à nous maintenant !.
Et c’est à partir de ce jour, que l’aventure avec Rolf allait commencer.
On ne savait pas à quelles intonations il allait répondre, il devait avoir cinq ou six ans, et après des essaies répétés mentionnant des prénoms de baptême pour chien il a était très attentif, à celui de Rolf il a redressé sa tête et ses oreilles!.
Après une rapide adaptation au rythme de la ferme, il nous montra en reconnaissance tout ce qu’il savait faire.
Tous les jours, il nous ramenait de quoi manger, c’était une suite de hérissons, de lapins, de macreuses, tout ce que la faune avait comme représentants, de quoi nous nourrir en cette période d’après guerre difficile tout le monde.
Rapidement, il nous montra que c’était aussi un grand champion de natation.
Il avait remarqué que nos jeux tournaient autour de boîtes de conserves qui nous servaient de ballon, et que parfois en période de vente de tabac, notre brave père nous ramenait de Cahors.
Le déclic dans sa tête fut prodigieux, sans qu’on lui en donne l’ordre, il a pris l’initiative d’allait récupérer pour nous les ballons que la rivière charriait !.
Il avait un sens de la trajectoire très élaboré pour tomber nez à nez avec l’objet convoité.
Dans un premier temps il se mettait aux aguets sur un monticule de sable face à la rivière.
Il se précipitait ensuite vers l’embarcadère, sautait dans l’eau, longeait la rive où les contres courants se forment, puis dans une diagonale parfaite dont il avait le secret il continuait sa nage
pour se retrouver face au ballon. Il le poussait alors en le dirigeant avec son museau, et ressortait de l’eau aussi vite qu’il y était rentré satisfait, dans un geste d’amour il déposait cette rondeur à nos pieds.
Nous étions heureux, en possession d’un vrai ballon et nous n’avions aucune appréhension à l’expédier dans le Lot, sachant que Rolf était un formidable ramasseur de balle!
Il s’est rapidement spécialisé dans le sauvetage de tout ce qui lui semblait utile, et qui avait fait le choix de titiller ses yeux.
Il nous ramena ainsi, des gros morceaux de bois pour le chauffage, des barques en perdition, enfin tous les objets flottants ce qui n’était pas pour déplaire à ma grand mère Marceline, qui me disait après que les gitans aient levé leur campement : «tu viens Maurice on va voir si les romanichels, ont oublié quelque chose !».
Et bien croyez-moi ou non, elle trouvait toujours un objet, et me disait cela n’a pas grande valeur mais cela pourra toujours servir en cas de guerre !.
Je prenais ces paroles comme du pain béni, ne sachant pas quoi lui répondre !.
Rolf était un merveilleux chien de garde, il avait cet instinct ancré en lui, que dire du jour où reconnaissant un gitan, alors que nous n’étions pas là, il lui a permis de gravir l’escalier jusqu’à la grande terrasse sans montrer d’agressivité, il se positionna ensuite face à la première marche, et refusa qu’il redescende!. Ce fut mon père en rentrant de Figeac qui délivra le manouche terrorisé, il lui a dit que chaque fois, qu’il tentait de faire un pas le chien lui montrait les crocs en grognant.
Une autrefois alors que nous étions attablés, un voisin est arrivé en faisant des grimaces derrière la porte.
Rolf sans hésiter est passé à travers un carreau, c’est un ordre d’arrêt de mon père qui stoppa net son attaque!.
Les miracles existent, il n’y eut aucun blessé ce jour là.
Mon brave chien loup m’avait prouvé que je pouvais rester avec lui à l’intérieur de la maison sans aucun risque, lorsque mes parents étaient absents.
Rolf était aussi un redoutable chasseur de rats, une fois entre ses dents à la manière d’un tennisman quand il frappe sa balle à l’engagement, d’un mouvement de tête puissant il l’envoyait à une hauteur d’environ deux mètres, et lui cassé la colonne vertébrale quand il l’avait à nouveau face à son museau!…c’était très rapide, efficace et radical !.
La vie de Rolf hélas, fut relativement courte, il se paralysa lentement du train arrière. Il avait l’habitude de se coucher près de mon lit, la veille de sa mort mon père m’a prévenu que le vétérinaire allait venir le piquer, qu’il était inutile de le laisser souffrir ainsi plus longtemps !.
Mon âme d’enfant fut touché au premier degré à l’annonce de cette sentence, il fallait absolument que je m’habitue à son absence
Les larmes aux yeux j’ai fermé la porte pour que Rolf ne puisse pas en ce dernier soir de vie se coucher au pied de mon lit.
Ce ne fut pas l’idée de ce brave chien, qui dans un dernier élan que je ne m’explique toujours pas, a réussi à tourner le verrou, et s’est allongé en gémissant une dernière fois près de moi, et j’ai entamé pour la première fois de ma jeune existence une nuit angoissante, qui me fit prendre conscience qu’il allait falloir que je m’habitue à ce que mes meilleurs amis me quittent un jour.
Après une dernière caresse d’adieu ce jour maudit, j’ai repris le chemin de l’école le cœur, et la gorge serrée, je savais que mon fidèle ami dans la journée allait cesser de vivre, et que son corps rejoindrait le coin de terre dédié aux nombreux chiens du port de la Madeleine.
Rolf le loup, était à l’opposé d’Obelix, qui allait bientôt naitre, son bonheur il le cherchait et le trouvait dans un seul but celui de nous faire plaisir !.
On ne peut écrire avec une sensibilité absolue que les histoires que l’on a réellement vécues.