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Citations, pensées momoriciennes, et petites histoires vécues…les miennes et les votres.

Adrian M

Maître Poète
#21
Mon père a bouffé de l'internat, genre orphelinats, jusqu'à sa majorité.
Ca l'a fait jurer que quoi il arrive dans sa vie d'adulte, jamais il nous ferait vivre l'expérience.
C'était comme vous le décrivez.
merci
 
#22
Mon père a bouffé de l'internat, genre orphelinats, jusqu'à sa majorité.
Ca l'a fait jurer que quoi il arrive dans sa vie d'adulte, jamais il nous ferait vivre l'expérience.
C'était comme vous le décrivez.
merci
C’est ce que j’appelle avoir acquis l’esprit protecteur grâce à l’expérience…merci
Un livre écrit par une journaliste connue va bientôt paraître à ce sujet.
Elle s’est occupée dernièrement de Jean-Marc Morandini le prédateur sexuel, qui continue à présenter son émission sur CNEWS ! Honte à lui et à eux!
 
#24
L’esprit poétique de l’oiseau bleu

Je suis l’esprit ailé, j’aime défier l’effraie,
Ces ombres furtives aux froideurs natives,
J’écarte du revers ce diable qui m’effraie,
Puis j’hume l’air pur des joies récréatives.

Loin du nid natal bercé sous l’aile tendre,
Errant vers un torrent au cours non rassurant,
Mon âme d’oiseau bleu a toujours su entendre
Les judicieux secrets sifflés par mes parents.

Sage volupté, tu fais bleuir les flammes
Azurées sous un ciel aux lueurs envoûtantes,
Où le puissant bénit de mille oriflammes
Mon cœur saint soumis aux pulsions déroutantes.

La conscience en fusion, je survis aux rapaces
Nés d’un univers aux sombres préambules,
Mais l’espèce mutante, la reine de l’espace,
N’éclipsera jamais mes clairs conciliabules.
 
#25
Le poète vit dans un espace épris de rêve et de liberté, rien ne saurait lui être imposé.


Les miasmes de la vie ordinaire ne survivent guère aux lignes poétiques.

L’inspiration doit être créée et non subie, elle ne doit pas être soumise à une influence irrégulière et obscure.

Sagesse, tu ne peux t’épanouir qu’au sein de l’humilité.

Le désespoir fait mourir.

Mon épitaphe.
Ci-gît, six pieds sous terre, un bien trop dur à cuire!

Le jour où je serai en manque d’inspiration, j’expirerai.

Sensuelle dans sa gestuelle, elle mime la vie en rose.

Arrive inévitablement le temps où le corps entre en conflit avec l’esprit éternellement jeune.

Poussières d’étoiles, pour vous épanouir, il vous faut à l’image de l’univers savoir créer l’espace.
 
#26
Brossons un tableau élogieux de la poésie en prose

La poésie doit naître d’une idée portée par un récit, cette idée doit avoir une âme, le récit un corps et l’un et l’autre sont inséparables.

Quel que soit notre âge, l’illusion poétique survit ; sans tomber dans le romanesque, notre fantaisie se replie sur le rêve. Une migration de tous les instants vers le climat des poètes s’impose à notre cœur et nous ne refusons jamais le voyage.

L’air y est si pur, le ton si haut, que les miasmes vulgaires pour les âmes basses n’y survivent guère!

Il nous est sans doute facile de nous mettre en liaison avec cette splendeur de la beauté qui s’entoure des plus hauts sommets de l’idée. La poésie est ce monde surnaturel où l’on atteint l’extrême pointe de nous-mêmes, où l’on découvre la plénitude et les tendances profondes de l’être.

La poésie est une sauvegarde d’autant plus sûre que sa tutelle se plie sur notre naturel épris de rêve, d’émotion et de liberté. Elle prolonge en vibrations harmonieuses nos états d’âmes ordinaires et fixe nos inspirations, à un cœur sans emploi, elle peut offrir un objet d’adoration.

Nous devons aimer ce frémissement intérieur où viennent se réfléchir et s’exalter tant de nobles rayons et toutes les mystérieuses virtualités de notre pensée et de notre cœur.

Le prestige de la poésie, qui relève d’une technique luxuriante, mérite notre attention. Comme dans la nature "les parfums, les couleurs et les sons dans une ténébreuse et profonde unité", tous les arts s’y retrouvent et s’y répondent. Elle rivalise avec la peinture, la sculpture et la musique. Elle ne vit comme les beaux arts que de couleurs, de relief et d’harmonie.

Poètes, vos vers charment mes yeux et leur mélodie parle directement à mon âme sa langue divine.

Créer la vision poétique, pour fuir le présent et sa prose inévitable, n’est pas simplement le parti pris de la beauté matérielle et sensuelle, mais bien une migration vers les âges disparus ou vers des terres lointaines.

L'exotisme dans le temps et dans l’espace répond à une tendance vigoureuse de notre cœur.

Si le vertige vous gagne sur les pics les plus hauts de la poésie, puissiez-vous, au moins, ne pas renvoyer les légendes, les belles imaginations de nos humanités au pays des chimères.

L’année doit garder son printemps. On se demande avec angoisse quels fruits pourraient porter les arbres vigoureux et droits, pleins de sève généreuse, si la rigueur insolite de la saison les avait condamnés à n’avoir point de fleurs.

Au-dessous de la froide réalité, flotte un monde aussi vrai d’où se trouvent bannies les trivialités et les bassesses.

Rien n’y froisse les âmes dans leur élan vers la noble beauté qui s’exprime dans une langue divine, vivant symbole de perfection et de nouveauté. Elle procure cette joie de la découverte, si familière à notre esprit toujours jeune.

Enfin, c’est dans ce monde de la fantaisie, qui anoblit la vie ordinaire, que l’on trouve tous les sommets de l’idée, du sentiment et de la volonté.

La destinée de l’homme, sa grandeur et sa misère, s’expriment avec une éclatante lumière chez tous les poètes de génie.Tous les graves problèmes, tous les rayons sublimes y prennent un accent plus profond et plus émouvant. Rien de ce qui est humain et surtout divin ne leur est étranger.

S’ils peignent la vérité la plus triste et la moins belle, nous les sentons péniblement troublés.

Ils décernent la palme aux vainqueurs, aux volontés héroïques, découvrent chez nous que nul objet n’est plus élevé au monde que la grandeur du libre arbitre humain.

Tout ce qui dépasse dans la vie du cœur, dans l’action ou la pensée, le niveau ordinaire et moyen, relève directement de la poésie. Elle seule est capable d’exprimer la beauté idéale sans la déformer avec tout l’enthousiasme qu’elle mérite et les plus sceptiques doivent lui reconnaître ce privilège.

Enfin, pour conclure, l’œuvre d’art n’est pas une traduction au clair de lune de la réalité, c’est la naïve adoration du vrai et de la nature avec la seule volonté de fuir la laideur, le mensonge grossier, les vilenies de la vie ordinaire.
 
#28
Cyprien le mendiant de Faycelles…

Cyprien était si pauvre, qu’enfant j’aurais juré qu’il n’avait jamais eu de mère ni un père!

Cyprien et son Pater ! Voici comment il se présentait à genoux au pied d‘un escalier, ou au seuil d’une porte où il récitait son notre père selon la coutume des mendiants d’autrefois.

Bonnes gens ! Je vous dérange sûrement, ne m’en veuillez pas ! je m’appelle Cyprien, je ne suis pas un étranger, je fais partie de votre grande famille, vous le savez bien ! Car je suis baptisé et donc chrétien, pour bien vous le montrer, tenez, je vous la récite :

Lo Nostre Paire que es els Cels :
Sanctificatz sia lo Teus Nom,
Avenga lo Teus Regnes,
E sia faita la Tua voluntatz
Sico el Cel e a la terra,
E dona a nos oi
Lo nostre Pan qui es sobre tota Causa,
E perdona a nos las nostres deutes,
Aisi co nos perdonam
als nostres deutors.
E ne nos amenes en tentation
Mas deliura nos de Mal

Vous ne pouvez pas me fermer la porte au nez puisque je suis votre frère, votre plus proche parent ! Alors, accueillez-moi, et partagez votre pain quotidien que dans une prière commune au même Père tout puissant, au sein du chœur nous réclamons!

Mon Cyprien, nostre Cyorien, était un vagabond, il est devenu au fil du temps qui passe un héros de légende!
Il s’est évanoui un jour, à la manière d’un pèlerin son bâton à la main dans la gloire d’un matin de Pâques.

Aujourd’hui, ce mendiant a disparu, il hante plus nos campagnes à la recherche d’une bouchée de pain. Il travaillait une journée… IMG_0119.png …pour avoir l’autorisation de dormir sur une paillasse ou dans le coin d’une grange!
 
#29
Être plus artiste qu’homme permet d’éviter la vie.

L’exotisme dans le temps et l’espace répond à une tendance profonde de notre cœur.

J’ai fui l’amour de la gazelle, ce qui m’a rendu, savez-vous, invincible!

Rassurez-vous, si je reste incompréhensible pour beaucoup, je ne le suis pas pour moi.

La vérité doit se positionner au-dessus de tous les dogmes.

Le souci de vouloir transcrire la vérité est aussi ancien que l’écriture elle-même.

La sottise humaine est vouée à perdurer, elle est sans limites.

Comme la science, la vérité est impersonnelle.

Il n’y a pas que des désavantages à être con, on ne souffre jamais de solitude.

Méfiez-vous du smile et du gif, ils vous plongent chaque jour un peu plus dans le monde virtuel où l’on souhaite vous piéger…
Ce monde cloisonné est votre avenir.
 
#30
Premier acrostiche à Isabelle

I ris aux verts reflets, ton air entre deux airs
S ouligne tes pensées aux rayonnants revers.
A rc-en-cuel sous l’arche brillante des éclairs,
B énie par le poète, saint musicien des vers
E levés en concerts radieux, où les notes
L impides riment, encensant en louanges
L’ âme claire ailée qui par instant pianote,
E t tinte l’amour, pour l’oraison d’un ange.
IMG_0123.png
 
Dernière édition:

Venezio

Maître Poète
#31
Brossons un tableau élogieux de la poésie en prose

La poésie doit naître d’une idée portée par un récit, cette idée doit avoir une âme, le récit un corps et l’un et l’autre sont inséparables.

Quel que soit notre âge, l’illusion poétique survit ; sans tomber dans le romanesque, notre fantaisie se replie sur le rêve. Une migration de tous les instants vers le climat des poètes s’impose à notre cœur et nous ne refusons jamais le voyage.

L’air y est si pur, le ton si haut, que les miasmes vulgaires pour les âmes basses n’y survivent guère!

Il nous est sans doute facile de nous mettre en liaison avec cette splendeur de la beauté qui s’entoure des plus hauts sommets de l’idée. La poésie est ce monde surnaturel où l’on atteint l’extrême pointe de nous-mêmes, où l’on découvre la plénitude et les tendances profondes de l’être.

La poésie est une sauvegarde d’autant plus sûre que sa tutelle se plie sur notre naturel épris de rêve, d’émotion et de liberté. Elle prolonge en vibrations harmonieuses nos états d’âmes ordinaires et fixe nos inspirations, à un cœur sans emploi, elle peut offrir un objet d’adoration.

Nous devons aimer ce frémissement intérieur où viennent se réfléchir et s’exalter tant de nobles rayons et toutes les mystérieuses virtualités de notre pensée et de notre cœur.

Le prestige de la poésie, qui relève d’une technique luxuriante, mérite notre attention. Comme dans la nature "les parfums, les couleurs et les sons dans une ténébreuse et profonde unité", tous les arts s’y retrouvent et s’y répondent. Elle rivalise avec la peinture, la sculpture et la musique. Elle ne vit comme les beaux arts que de couleurs, de relief et d’harmonie.

Poètes, vos vers charment mes yeux et leur mélodie parle directement à mon âme sa langue divine.

Créer la vision poétique, pour fuir le présent et sa prose inévitable, n’est pas simplement le parti pris de la beauté matérielle et sensuelle, mais bien une migration vers les âges disparus ou vers des terres lointaines.

L'exotisme dans le temps et dans l’espace répond à une tendance vigoureuse de notre cœur.

Si le vertige vous gagne sur les pics les plus hauts de la poésie, puissiez-vous, au moins, ne pas renvoyer les légendes, les belles imaginations de nos humanités au pays des chimères.

L’année doit garder son printemps. On se demande avec angoisse quels fruits pourraient porter les arbres vigoureux et droits, pleins de sève généreuse, si la rigueur insolite de la saison les avait condamnés à n’avoir point de fleurs.

Au-dessous de la froide réalité, flotte un monde aussi vrai d’où se trouvent bannies les trivialités et les bassesses.

Rien n’y froisse les âmes dans leur élan vers la noble beauté qui s’exprime dans une langue divine, vivant symbole de perfection et de nouveauté. Elle procure cette joie de la découverte, si familière à notre esprit toujours jeune.

Enfin, c’est dans ce monde de la fantaisie, qui anoblit la vie ordinaire, que l’on trouve tous les sommets de l’idée, du sentiment et de la volonté.

La destinée de l’homme, sa grandeur et sa misère, s’expriment avec une éclatante lumière chez tous les poètes de génie.Tous les graves problèmes, tous les rayons sublimes y prennent un accent plus profond et plus émouvant. Rien de ce qui est humain et surtout divin ne leur est étranger.

S’ils peignent la vérité la plus triste et la moins belle, nous les sentons péniblement troublés.

Ils décernent la palme aux vainqueurs, aux volontés héroïques, découvrent chez nous que nul objet n’est plus élevé au monde que la grandeur du libre arbitre humain.

Tout ce qui dépasse dans la vie du cœur, dans l’action ou la pensée, le niveau ordinaire et moyen, relève directement de la poésie. Elle seule est capable d’exprimer la beauté idéale sans la déformer avec tout l’enthousiasme qu’elle mérite et les plus sceptiques doivent lui reconnaître ce privilège.

Enfin, pour conclure, l’œuvre d’art n’est pas une traduction au clair de lune de la réalité, c’est la naïve adoration du vrai et de la nature avec la seule volonté de fuir la laideur, le mensonge grossier, les vilenies de la vie ordinaire.

Autrement dit : Écrire...pour chanter la Vie
 
#32
Fortes pensées!

Inclinons-nous face à la mémoire et le souvenir de nos parents, de nos amis et de nos camarades bien trop tôt disparus. Ils sont légion, ceux qui nous attendent pressés de revivre parmi nous. Évoquer leur ombre au cours d’une réunion de famille ou d’un banquet, exprimer ouvertement ce que l'on ressent pour eux est une satisfaction personnelle ; c'est, ce me semble, les serrer une fois de plus dans nos bras!
Comptons parmi les chagrins les plus redoutables de la vie, celui de perdre les personnes que l’on aime sans pouvoir vieillir encore plusieurs années ensemble, et sans pouvoir les retrouver lors des rencontres fraternelles autour d’une grande table.
 
Dernière édition:
#33
La guérite de mon enfance

Mon père a exercé un temps le dur métier de garde-barrière qu’il jumelait avec le travail à la ferme. Je l’accompagnais souvent pour lui tenir compagnie et j’ai connu les passages à niveau de la voie ferrée entre la Madeleine et Cajarc. La nuit de ce récit, nous avions posé notre sac à la barrière de Montbrun. Le métier n’était pas reposant, même si, à la fin des années cinquante, les voitures ne roulaient pas pare-chocs contre pare-chocs dans ce secteur rocailleux de la vallée du Lot ! Munis d’une gamelle bien remplie pour l’occasion, réveillon oblige, on passait la nuit dans un minuscule abri très sobre, équipé d’un bureau, d’une chaise et d’un petit poêle à charbon qui n’avait aucun mal à réchauffer l’atmosphère et à la rendre rapidement très agréable. Il faut savoir que le froid dans nos régions prenait des allures disproportionnées à cette époque en paralysant une grande partie du pays. Lors du mois de février 1956, les températures ont oscillé entre moins seize et moins vingt-huit degrés. Les plus anciens rapportent que ce phénomène exceptionnel a duré toute la lune du mois!
On vivait dans un monde où l’espace et le temps semblaient s’être définitivement figés.
Le froid glacial, dans ce contexte, favorisait le passage de quelques bêtes sauvages affamées qui venaient déranger parfois cette apparente quiétude. Ce fut le cas ce soir-là. S’est fait alors entendre un grand fracas de branches piétinées, de bambous éclatés qui me sortirent rapidement d’une courte mais agréable léthargie. Mon père, toujours en éveil, se précipita vers une cachette où se trouvait son vieux fusil pour tenter d’éliminer un de ces inconscients pachydermes ! Les hordes de sangliers de pure souche quercynoise ne manquaient pas dans ce secteur, au point que l’on aurait pu se demander si elles n’appartenaient pas à la compagnie des chemins de fer français ! A ma question :
- Pourquoi veux-tu tuer ces animaux, papa ? Il me répondit : - Ils risquent de faire dérailler un train, et cela va nous permettre de manger pendant un bon bout de temps ! Cependant, ces phacochères gris qui se fondaient dans l’obscurité s’en sortirent sans une seule égratignure ! Les cartouches utilisées pour les empêcher de nuire étaient ce soir-là inappropriées à ce type de gibier! « Sans chevrotines je ne pouvais rien faire ! » Enfin, ce furent les paroles peu convaincantes du médaillé de la Résistance qui souhaitait sortir la tête haute d’une situation pas très glorieuse pour lui, vous en conviendrez avec moi !

Revenons à notre petite guérite et parlons du travail de nuit du veilleur. Le mot d’ordre pour ces noctambules était de ne jamais s’endormir ! L’exercice était presque surhumain et quelques-uns d’entre eux s’assoupissaient, m’a rapporté un ancien forçat du rail qui alimentait en permanence en boulets grisâtres les entrailles surchauffées des bêtes noires. Il n’avait, m’a-t-il dit, jamais constaté cet état de faiblesse chez mon géniteur! Ce détail m’est apparu important quand on connaît les conséquences dramatiques qu’une telle faiblesse peut occasionner ! Décidément, mon idole avait des capacités physiques exceptionnelles doublées d’un esprit professionnel exemplaire. Les horaires des trains de marchandises étaient inscrits sur un petit carnet, et les grands bras à manivelles n’étaient levés que lorsqu’un véhicule se présentait en klaxonnant. La nuit était donc relativement calme côté route en semaine et, à l’inverse, les trains de marchandises tractant des wagons lourdement chargés d’anthracite se succédaient à un rythme infernal. Les plus imposants convois qui circulaient sur la ligne translotoise étaient tirés par deux machines à vapeur 141 R ! La longueur des reptiles noirs faits de wagons au-dessus des méandres de la rivière pouvait atteindre 800 mètres pour un poids total roulant supérieur à deux mille deux cents tonnes.
Essayez de vous représenter la force de traction d’une de ces puissantes motrices d’une longueur de 25 mètres avec leur tender, d’un poids de 190 tonnes ! Elle développait une puissance de 2500 kilowatts et sa consommation énergétique moyenne au kilomètre était de 12 kg de charbon enfourné à la pelle par le chauffeur! Une cuve de 30000 litres d’eau fournissait la vapeur nécessaire à leur avancée! Ce gigantesque amas déboulait à 80 km à heure face à nous! Eh bien,vous aurez peut-être du mal à me croire mais mon père, muni d’un énorme pétard qu’il fixait sur un rail, était en mesure de stopper cette course effrénée !

Il n’était pas rare en effet qu’un énorme bloc rocheux dans la traversée de Toirac à Cajarc, dans un bruit de tonnerre, se détache de la falaise abrupte et vienne finir sa course au milieu des rails. Grâce à un système ingénieux par câbles reliant toutes les guérites, les veilleurs de nuit engagés dans une épreuve contre le temps se prévenaient et installaient ce dispositif d’arrêt avant que la rame ne se présente toute vapeur dehors. Parfois les essieux chauffaient au point de devenir rouge écarlate, le garde téléphonait alors au chef de gare de Cajarc ou de Capdenac pour signaler le grave problème. Cela permettait au passage au veilleur de nuit, si vous me permettez l’expression, d’arrondir un peu ses fins de mois. Une prime était en effet versée par les chemins de fer français pour récompenser cet acte de conscience à la valeur hautement professionnelle. La nuit me paraissait interminable! Chaque arrivée d’un train dans un grondement assourdissant provoquait un tremblement de terre de magnitude huit à neuf qui me faisait craindre le pire, mon lit de fortune se trouvait à peine à trois mètres des voies. Heureusement l’événement cyclique était précédé par le bruit retentissant de l’énorme cloche au pied d’un support de la barrière. Ripette, le mécanicien à bord de la motrice, ajoutait à cette harmonieuse ambiance un long coup de sifflet strident à la sortie du tunnel. C’était sa façon à lui de faire savoir à son ami Raymond qu’il était cette nuit-là le chauffeur de la locomotive.

Je rends grâce à Morphée qui me permettait de me rendormir par moment sur le bureau qui faisait office de couche douillette. J’étais à nouveau lentement bercé par le calme qui revenait et qui contrastait avec le grincement sinistre de cette énorme masse de ferraille que rien ne semblait pouvoir arrêter. Je me souviens d’avoir aidé mon père à relever les immenses bras qui rendaient la route infranchissable. Ils étaient munis de manivelles qui me paraissaient tout simplement démesurées. Inutile de vous dire que j’étais fier de ce formidable exploit !

Ainsi pointait tranquillement le jour, je ne vous cache pas qu’il me tardait de rentrer à la maison pour retrouver enfin mon lit. J’avais quand même quelques heures de sommeil à rattraper ! Je me suis par contre toujours demandé par rapport à ce métier à haute responsabilité si le garde-barrière de Capdenac avait le même salaire que celui de la vallée de la Diège après la mine sur le chemin empierré qui mène à Lieucamp ? Le premier avait un travail considérable par rapport à l’affluence intense du rail et de la route en direction du centre ville. L’autre ne voyait passer qu’un tombereau tiré par des bœufs une fois dans un sens, une autre fois dans l’autre, les jours de grand trafic ! IMG_7464.png
 
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#34
L’autorail de mon enfance


Vous l’avez toutes et tous pris pour vous rendre à Cahors avec un changement obligatoire en gare de Capdenac. Des trains pas comme les autres, la ligne trans-quercynoise ! Le premier autorail que j’ai eu le «plaisir restreint» d’emprunter pour me rendre de la Madeleine à l’école primaire de Capdenac datait du secondaire. Il était pour l’époque très confortable, bien plus que celui d’antan à l’ensemble des wagons aux sièges en bois tractés par une sacrée bête noire! On n’échappe pas au progrès qui conduit au modernisme ! Il s’arrêtait à toutes les gares entre Capdenac et Cahors, il prenait son temps. Le contrôleur à la voix rocailleuse des causses portait des gants blancs et vous étiez en droit de ne pas lui présenter votre titre de transport si, par un curieux hasard, il ne les avait pas enfilés ! Par les grands froids d’hiver, comme celui de février 1956 où les températures durant tout le mois ont fait le yoyo entre moins 15 et moins 26 degrés, la chaleur fournie par le poêle à charbon à l’entrée des wagons et de l’autorail était appréciée par tous les voyageurs ! Il fallait beaucoup d’expérience et de doigté au conducteur de la petite rame dans les conditions climatiques extrêmes pour s’arrêter face à la gare ! En effet, le givre qui recouvrait les rails ne facilitait pas la manœuvre et s'en suivaient alors des glissades spectaculaires sur plus de trois cents mètres! L’été, en revanche, nous profitions des larges baies vitrées coulissantes pour nous rafraîchir et, cheveux au vent, nous respirions à pleins poumons l’air aux effluves campagnardes gratuites et généreuses. Il était bien entendu recommandé de ne pas se pencher vers l’extérieur à l’intérieur des frais tunnels aux parfums de cave enfumée indescriptibles. C’était donc un havre de paix paradisiaque en déplacement sur une des voies les plus pittoresques de notre belle région. Et, comble du luxe ambiant, les toilettes se présentaient sur leur plus belle face avec un simple verrou coulissant qui garantissait l’intimité et une vue imprenable sur les poutres qui défilaient à grande vitesse, l’ensemble harmonieusement cadencé à la manière d’un métronome par les intervalles de dilatation des rails. Le Lot aux majestueuses boucles et aux couleurs changeantes se montrait toujours généreux pour le plaisir de nos yeux. La nature apporte cet enchantement et est inimitable, de reliefs en reliefs, de villages en villages pittoresques classés, le film était passionnant et à la portée de toutes les bourses, tout s’animait dans les champs, dans les collines et dans les prés, c’était vachement beau! Déjà la publicité entrait dans les habitudes et sur un grand tableau, il était écrit sous une photo représentant un homme rustre un litron de vin au pur sang seigneurial à la main :
«Travailleurs, pour votre santé, buvez au moins une bouteille de vin rouge tous les jours!».

Certains, en bons catholiques, appliquaient cette recommandation à la lettre, et ne sachant pas très bien compter, dépassaient souvent la dose prescrite! Les voyageurs sobres s’en apercevaient au départ du train du soir. Il faut dire que l’euphorie pléthorique du peuple vers la médecine n’avait encore pas commencé! Il existait trois classes, histoire de ne pas mélanger la vraie pauvreté à un semblant de richesse. Les sièges en bois étaient relativement confortables et à la portée de toutes les bourses et, chose miraculeuse, riches et pauvres arrivaient tous à la même heure en gare de destination, une vraie justice à la clé sur ce parcours de soixante-cinq kilomètres, distance entre les deux villes principales de la trans-quercynoise. Toutes les petites gares avaient leur chef, cela permettait d’employer beaucoup de personnes du terroir. Les barrières aux grandes manivelles, elles aussi, étaient occupées, toute cette vie qui s’agitait au moindre son d’un convoi en approche a disparu aujourd’hui depuis longtemps, le mot chômage, en ce temps pas si éloigné, n’existait pas encore! Si! Si!…je vous demande de me croire! Mais l’heure n’est pas aux remords même si la voie a disparu depuis belle lurette, recouverte d’un épais linceul végétatif aux racines profondes et aux ramifications tentaculaires indestructibles! Longtemps on a cru à la remise en vie de ce parcours mythique qui appartiendra un jour au monde des légendes.

Ah!…Si les anciens revenaient, ils n’en reviendraient pas et ils se demanderaient avec anxiété, du côté de l’aiguillage du Soulier, ce qu’est devenu le fameux décrochement qui, un long instant, laissait penser aux passagers que l’ensemble de la rame allait finir sa course où le lit du Lot lèche fraternellement les pieds de la cité gauloise d’Uxellodunum. Le convoi peu de temps après s'engouffrait dans le long tunnel sous la cité antique, puis empruntait le pont Eiffel qui enjambe le Lot. Ce n'est pas sans un petit pincement au cœur que nous entendions alors s’élever, sous la marquise, une voix féminine bien connue de nous tous ! « Capdenac...Capdenac ! Terminus ! Tous les voyageurs descendent de voiture ! Direction Rodez, premier quai première voie...Direction Brive, deuxième quai première voie » et cela dans l'ambiance vaporeuse des impressionnantes bêtes noires en action.


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#35
Faire jurer de dire la vérité est une offense à l’intégrité d’une personne honnête.

Un bon menteur sait forcer l’admiration des personnes crédules.

Rentrée scolaire d’aujourd’hui, plus les cartables s’alourdissent, plus les têtes se vident.

Je suis un grand défenseur de la cause animale, qui ne doit pas nous faire oublier pour autant la cause humaine!

Je suppose que les gens qui se font incinérer sont persuadés qu’ils vont pouvoir renaître de leurs cendres.

La maladie la plus commune de l’esprit est de vouloir toujours conclure.

La vérité, on doit la voir impartialement sans autre souci de la représenter.

J’ai un humour à trois balles, je jongle avec!
 
#36
IMG_0128.png M ratine, sainte fleur, fête un nouveau printemps,
A arc-en-ciel, berce-la sur les ailes du temps.
R ossignol au chant pur, ton hymne à l’amour,
T endrement sous l’azur harmonise ce jour.
I dylliques pensées, effluves du bonheur,
N aviguent sur un fleuve au miroir cavaleur,
E ternisant la femme, reflet des vraies valeurs.
 
#37
La guerre des mots est bien plus subtile que celle des armes, elle finit par être désarmante.

L’azur est si patient qu’il ignore l’existence de l’homme au sein même de l’évolution cosmique.

Seules les âmes sensibles savent émouvoir avec force et tendresse.

L’apogée du bonheur prend forme dans la création artistique.

Plus que la vérité, la beauté et le style valent au poète sa gloire immortelle.

Mieux vaut être sourd que malentendant, cela évite de tendre continuellement l’oreille vers une actualité fondée sur le mensonge.

Si vous voyez ce que je veux dire, alors ne tardez pas à consulter un ophtalmologue.

J’ai une souplesse d’esprit surprenante, elle me permet d’écrire sans raideur, c’est très appréciable à mon âge.

La déshumanisation sera le fléau du siècle.

Le mensonge est l’ascensoir obscur des vérités enfumées.
 
#38
Une journée d’école à Capdenac dans les années soixante, le jour où tout a failli basculer !

Si vous avez l’occasion de balayer du regard cette cour d’école aujourd’hui, dites-vous que rien n’a vraiment changé depuis les glorieuses années où, petit écolier, je la parcourais brodequins aux pieds. Je vais essayer de vous décrire ce qu’était la vie des écoliers dans le courant des années soixante en ce haut lieu de la culture. Le portail en fer forgé s’ouvrait sur un espace sobre parsemé de petits platanes. Les instituteurs avaient pour habitude de parcourir cet espace clos dans d’incessants et curieux allers-retours, composés d’une marche avant et d’une marche arrière. Ce mouvement de balancier, dans une gestuelle bien huilée, ne pouvait jamais s’enrayer, Ils discutaient entre eux tout en surveillant les élèves. Ce mécanisme pouvait toutefois marquer un temps d’arrêt suite à une glissade ou à un télescopage accidentel.
L’enceinte en terre battue était en léger devers et la vitesse que prenaient les trois cents petites guiboles ne permettait pas toujours d’éviter les dures rencontres non sollicitées! Dans ces conditions extrêmes, les genoux couronnés n’étaient pas rares. A l’air libre, sans soins particuliers, les blessures finissaient toujours par cicatriser. Rapidement arrivait le fatidique son de la cloche actionnée par une chaîne solidement accrochée à une poutre du préau. Préau qui nous servait d’abri en cas d’intempéries, qui pouvait aussi offrir un de ses coins afin de permettre à un éventuel étourdi qui n’avait pas appris ses tables de multiplication de remédier à cet impensable oubli. Il lui suffisait pour cela de parcourir le dos du cahier qui faisait office de brouillon. Cette suprême punition durant la récréation nous permettait de prendre conscience que les études passaient avant l’amusement !
Nous pouvions aussi jumeler cette offense à notre dignité d’écolier par des tours de cour, les mains sur la tête ou derrière le dos. La pire de toutes ces sanctions restait celle où nous devions accomplir ce même outrage dans l’enceinte des filles! Une rangée de commodités turques bien pratiques, aux portes pleines mais ajourées par l’inexorable rudesse du temps, longeait un mur d’enceinte pratiquement infranchissable. Bien entendu, les filles et les garçons ne partageaient pas le même secteur d'études. En ces temps reculés, la morale prédominait sur tout, l’éducation nationale ne voulait pas, vous l'avez compris, s’exposer au moindre risque!Toutefois, ce contexte sobre qui prête aujourd’hui à sourire n'influait aucunement, rassurez-vous, sur notre imagination débordante.
La semaine scolaire s’étalait du lundi au samedi après-midi, nous rentrions le matin à neuf heures et nous quittions l’établissement à quatre heures et demie. Le jeudi, nous n’avions pas classe mais cela ne veut pas dire que nous étions au repos, nos parents nous trouvaient diverses occupations pratiques ! Lorsqu’on est entouré de champs et d’animaux, il y a toujours de quoi occuper un esprit épris d’oisiveté ! Les vacances d’été avaient une durée de trois trimestres par diverses activités ludiques mais aussi physiques. La rentrée autour du vingt septembre était consacrée aux billes que l’on achetait chez la Marinette. C’était une toute petite surface aux multiples gâteries pas très loin de l’entrée de l’école Saint-Louis. Le paquet de cent billes en terre avait une valeur marchande de cent francs, la bille était donc à un franc! Ce petit calcul rapide est là pour vous prouver que mon passage à l’école primaire n’a pas eu que des côtés négatifs. Les agates en verre aux reflets multicolores étaient à dix francs, il existait le boulard bien plus gros mais aussi la bille en plomb, nous pensions avoir une fortune en poche! Cette grande richesse se mélangeait souvent dans nos tabliers gris avec de succulentes châtaignes fraîchement ramassées puis grillées au feu de bois. Ce délicieux fruit très nourrissant à l’enveloppe épineuse était surnommé "le pain du pauvre". Il était largement utilisé dans nos campagnes et pouvait se conserver toute l’année. Aux petites mains il servait parfois de monnaie d’échange lorsque par malheur nous étions kuffés! "Sans billes".
Nos jeux étaient variés: soit on débutait une partie de triangle, soit on jouait au trou! Alors, les phrases aux timbres magiques fusaient de nos petites bouches : « Point de dégouline ! Point de patte! Je vais te kuffer! » Une suite de mots magiques que nous comprenions tous et qui nous permettaient de passer un très agréable quart d’heure. Nous entonnions un peu plus tard dans l'année les «Qui c'est qui veut jouer aux gendarmes et aux voleurs? » Ou le fameux :«Qui c'est qui veut jouer à trape trape? » Ces moments de liberté cependant passaient bien trop vite à notre gré! Certains élèves, dès leur arrivée le matin, étaient de corvée pour allumer le poêle à charbon. Une agréable chaleur était donc bien en place pour nous accueillir à l’instant même où la cloche sonnait le moment du grand rassemblement. En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, les rangs par deux se formaient dans un silence qui aujourd’hui paraîtrait surprenant, tant il contrastait avec la minute qui l’avait précédé. Devant la porte l’instituteur d’un signe autorisait l’accès à la salle de classe. Deux ou trois allées séparaient des petits bureaux à deux places où un petit banc solidaire servait d’assise aux élèves. L’odeur bien particulière de cette pièce réservée aux études emplissait nos narines. C’était un parfum olfactif difficile à décrire, fait d’un savant mélange de craie, d'encre, de gommes, de cahiers et de livres! Sans oublier l’odeur du chauffage aux effluves charbonneuses si particulières. À l’époque des machines à vapeur, nous nous étions habitués à ce type de confort passager! Nos fermes étaient équipées d’une cheminée avec un effet chaud devant, froid derrière pour faciliter le tirage et bien souvent la porte d’entrée restait ouverte pour éviter les émanations de fumée à l’intérieur de la pièce à vivre. L'académie de Toulouse, vous voyez, ne lésinait pas sur le bien-être de ses petits étudiants. Face à notre pupitre nous attendions patiemment l’ordre du maître qui nous ordonnait de nous asseoir. Cette phrase était suivie généralement d’un : « Sortez votre cahier du jour!». L’instituteur commençait alors la leçon de morale, très importante à ses yeux.
Après nous avoir expliqué les règles d’une bonne conduite sur divers sujets de l’existence, il prenait la craie et, dans une écriture faite de pleins et de déliés, le tableau s’incrustait de sages paroles. Une fois la phrase moralisatrice définitivement inscrite, nous devions la recopier à l’aide de notre plume légèrement humectée dans l’encrier. L’écriture est un art de nos jours oublié, je vous invite à consulter les anciens registres dans nos mairies pour en saisir les contours aux multiples facettes. Plume légère en montant puis accentuée dans sa descente, la lettre ainsi posée devient une œuvre d'une finesse admirable. Les taches ne sont pas admises, il faut beaucoup d’expérience et de doigté pour obtenir une récompense désignée par un Bien ou un Très Bien. Les uns après les autres, nous nous levons et toujours dans le plus grand calme, nous avançons vers la chaire et tendons le cahier ouvert à l’homme nanti d’une grande instruction. Il nous demande si l’on a bien compris ses explications du matin, et nous pose une ou deux questions à ce sujet, sa plume imbibée d’encre rouge parcourt les quelques lignes et en marge tombe par magie l’appréciation. Le bonheur, on le ressentait déjà dans un Assez Bien, alors, lorsqu’on atteignait le sommet de la récompense avec un Très Bien, inutile de vous décrire la fierté qui fusait en nous! Ainsi passait la journée où le français côtoyait les mathématiques, avec ces fameux trains qui partaient en gare de Capdenac vers Cahors à une certaine vitesse, mais qui, contrairement à la régularité exigée par la SNCF pendant cette glorieuse époque, n’étaient jamais à l’heure, et il fallait bien entendu dire à quel endroit ils allaient se croiser! Difficile, me direz-vous, sur une ligne à une voie! Les réserves d'eau n'étaient jamais étanches et d'astucieux vases communicants ajoutaient leur grain de sable à un résultat que nous devions trouver et qui nous faisait inévitablement bouillir les neurones ! Nous sortions une fois par jour l’ardoise pour du calcul mental et c'était à celui qui trouverait le bon résultat en premier! Il pouvait ainsi gagner un bon point ou une image! À ce jeu-là, certains d'entre nous montraient une certaine aisance. D’autres qui, au contraire, avaient sûrement déjà des facultés résolument tournées vers la littérature ne progressaient guère ! Heureusement la brave cloche actionnée grâce à une chaîne par l'élève de service venait, à intervalles réguliers, nous délivrer de ces prises de tète incessantes mais oh combien utiles et instructives
Le repas de midi que nous avait concocté avec amour la mère Closel arrivait à point. Nous faisions notre possible pour lui être agréable en l’aidant dans son service afin de pouvoir avoir accès à la réserve aux Petits-Beurres. Évidemment nous nous remplissions les poches sans le lui dire! Je n’appréciais pas la nourriture qui nous était servie. Sans être ni hindou ni disciple de Pythagore, je n'ai pas voulu toucher un seul morceau de viande pendant plusieurs années. L'esprit n'en était que plus alerte, aussi bien retrouvait-on le même régime dans la plupart des internats, c’est ce que m’ont fait comprendre les quelques années de pensionnat au lycée Champollion de Figeac! S’il faut en croire le philosophe Alain : "Il y a une odeur de réfectoire que l’on retrouve la même dans tous les réfectoires. Que ce soient des Chartreux qui y mangent, ou des séminaristes, ou des lycéens, ou de tendres jeunes filles, un réfectoire a toujours son odeur de réfectoire. Cela ne peut se décrire. Eau grasse ? Pain moisi ? Je ne sais. Si vous n’avez jamais senti cette odeur, je ne puis vous en donner l’idée; on ne peut parler de lumière aux aveugles. Pour moi cette odeur se distingue autant des autres que le bleu se distingue du rouge.
Si vous ne la connaissez pas, je vous estime heureux. Cela prouve que vous n’avez jamais été enfermé dans quelque collège. Cela prouve que vous n’avez pas été prisonnier de l’ordre et ennemi des lois dès vos premières années. Depuis, vous vous êtes montré bon citoyen, bon contribuable, bon époux, bon père ; vous avez appris peu à peu à subir l’action des forces sociales ; jusque dans le gendarme, vous avez reconnu un ami ; car la vie de famille vous a appris à faire de nécessité plaisir. Mais ceux qui ont connu l’odeur de réfectoire, vous n’en ferez rien. Ils ont passé leur enfance à tirer sur la corde ; un beau jour enfin, ils l’ont cassée ; et voilà comment ils sont entrés dans la vie, comme des chiens suspects qui traînent un bout de corde. Toujours ils se hérisseront, même devant la plus appétissante pâtée. Jamais ils n’aimeront ce qui est ordre et règle ; ils auront trop craint pour pouvoir jamais respecter. Vous les verrez toujours enragés contre les lois et règlements, contre la politesse, contre la morale, contre les classiques, contre la pédagogie et contre les Palmes Académiques ; car tout cela sent le réfectoire. Et cette maladie de l’odorat passera tous les ans par une crise, justement à l’époque où le ciel passe du bleu au gris, et où les libraires étalent des livres classiques et des sacs d’écoliers".

Après ces fortes paroles, et après avoir redressé mon ancienne casquette d’écolier un instant déstabilisée sur une tête vagabonde, je glisse avec vous vers la deuxième partie de la journée.
Elle était consacrée aux matières très importantes qui font travailler la réflexion et l’imagination. Nous avions des sujets de rédaction pas faciles à développer. Il m’en revient un à l’esprit : "Décrivez l’automne ». Les séances de vocabulaire que j’aimais bien étaient très animées aussi ! L’orthographe avec sa fameuse dictée d’environ dix lignes en CM2, truffée d’accords avec le verbe être et avoir, nous posait de sérieux problèmes! En effet, une faute entière comptait pour quatre points en moins sur vingt, la demi-faute sanctionnait un nom commun de deux points, la ponctuation et les accents oubliés, un quart de faute ! À ce régime on atteignait rapidement le zéro pointé avec cinq fautes! Mais peu importait la besogne, il nous fallait être fin prêts pour le jour où l’ordre nous serait donné de sortir nos cahiers de composition! Notre plus grand bonheur venait encore une fois de cette brave cloche qui, à quatre heures et demie, résonnait à nouveau afin de nous délivrer de ces interminables casse-têtes! On reconnaissait la sonorité du soir, l’élève qui tirait sur la corde y mettait tout son cœur! La sortie était accompagnée de cris joyeux sonnant la liberté dès que l’on passait le portail en fer forgé pour regagner nos foyers. Il est à ce propos un souvenir moins heureux qui est resté ancré dans la mémoire collective de beaucoup d’écoliers, enfin c’est ce que je pense ! Comme chaque jour, matin et soir, le car de la société Laurens se chargeait du ramassage scolaire. De Capdenac-Gare en passant par la Madeleine et au-delà de Foissac, les enfants empruntaient l’autobus dans un aller-retour journalier.

En cette fin d’après-midi, c’est donc la tête remplie de nouvelles connaissances que cinquante écoliers du cours préparatoire aux collégiens en classe de troisième, prenaient la route pour rentrer chez eux. Confortablement installés sur des sièges à l’assise ferme dépourvus de ceintures de sécurité, ils se trouvaient dans les lacets de la fameuse côte de Roquefort. Il n’y a pas jusque-là de quoi en faire un fromage, me direz-vous! Oui mais voilà, ce jour- là, le garagiste du coin essayait une nouvelle déesse de la route! Au tiers de la montée, dans un virage en courbe pas très accentué, ce bolide lancé à toute allure a eu la fâcheuse idée de percuter l’avant de notre bus! Dans une glissade miraculeuse, ce dernier s’est arrêté dans un mouvement de balançoire retenu en son centre par un brave chêne qui avait réussi l’exploit de prendre racine dans un coin où toutes plantes dites raisonnables hésitent à s’aventurer ! J’ai ressenti immédiatement une douleur vive au niveau du genou gauche qui s’est mis à saigner abondamment puis à gonfler. Heureusement cette blessure après consultation s’est avérée sans gravité. Seule une cicatrice attestera par sa présence l’instant où dans ma vie tout a failli basculer ! Des cris de frayeurs ont jailli de l’habitacle, le moteur du car a été immédiatement stoppé grâce au sang-froid du chauffeur à l’éternel béret basque. Ce brave père Laurens, comme on l’appelait tous, avait eu un réflexe béni, il venait de sauver sans le savoir encore l’ensemble de ses petits passagers ! Sous nos yeux effarés, un ravin vertigineux, gueule grande ouverte, nous tendait ses bras. Cet espace béant d’environ quatre-vingts mètres de profondeur baigne ses pieds dans le lit du ruisseau la Diège. Elle était prête ce jour-là à nous offrir en guise d’adieu son lit. Le car scolaire en équilibre précaire devait se vider sans tarder avant que l’impensable ne se produise. Heureusement, le maître à bord encore une fois a su organiser son évacuation dans le calme. La portière qui permettait la sortie habituellement s’ouvrait face au précipice. Nous avons emprunté logiquement celle du conducteur. Je ne vous cache pas toutefois que le temps que l’on a mis à quitter le couloir central au moment crucial de l'évacuation nous a paru interminable. Des craquements inquiétants saccadés rythmaient notre future délivrance, et nos yeux évitaient de se focaliser vers l’espace diabolique qui nous aurait condamnés à une mort certaine. J’ai, grâce à mon ami instituteur, retrouvé l’endroit précis où a eu lieu le télescopage et le saint arbre qui a permis la survie de très nombreuses âmes, bien trop jeunes pour quitter le monde des études! Eh oui, il existe encore, son tronc robuste défie les années avec grâce et dans une révérence dont il a le secret. Il se rappelle à nous en tant que sauveur à l’écorce providentielle.

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#39
Rien n’est plus odieux que l’œuvre abstraite, le style philosophique et prêcheur, le raisonnement et l’écriture des Jésuites, c’est-à-dire scolaire.

Elle éveilla en moi un fleuve sensoriel dès ses premiers regards.

Beaucoup d’hommes préfèrent leur voiture à leur femme, sous prétexte qu’elle a moins de ratés.

Être athée, c’est ne pas croire en soi.

Atteint les sommets de la poésie celui qui est capable de traduire en sensations de formes, de couleurs et d’harmonie des idées ou des sentiments abstraits.

La qualité du style repose sur la plastique ou le relief, l’art de présenter, à la manière des sculpteurs, les formes et les volumes.

S’isoler permet d’être à l’apogée du bonheur, celui que procure la création artistique.

La littérature industrielle n’a jamais connu autant d’adeptes ; tout le monde s’y essaie, mais seul un travail acharné où l’œuvre s’étoffe d’une âme peut connaître une apogée.

Mieux vaut vivre le matérialisme, même s’il n’est pas exempt de reproches ; le spiritualisme, pour un poète, est bien trop naïf et bourgeois.

La beauté pour un poète se trouve et s’exprime dans les belles lettres, comme dans les beaux-arts.

Un des meilleurs héritages que l’on peut transmettre à nos enfants n’est-il pas l’honnêteté, suivi du courage et du travail?
 
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#40
Le début de ma vie au bord du Lot, au port de la Madeleine

Je vais essayer de vous brosser en quelques lignes un tableau de ce que fut mon début de vie au port de la Madeleine en bordure du Lot dans les années cinquante et cela, même si vous n’en avez rien à faire ! Cela n’a rien à voir avec la Madeleine de Proust pour vous aiguiller, ainsi nous gagnerons du temps ! Pour ceux qui par hasard ne me lisent pas et qui tombent sur ces lignes, guidés par je ne sais quel instinct, je vais vous résumer l’histoire de ce lieu qui, comme l’écriture qu’enfante mon crayon, ne paie pas de mine, mais qui, par magie, sait dévoiler son âme à celui qui tente de s’y intéresser. Le port fluvial a en effet été le témoin privilégié de nombreux passages depuis l’Antiquité. Des Romains au temps de la Guerre des Gaules jusqu’à moi, l’eau pourrait nous chanter tout ce que son miroir a pu absorber puis refléter pendant ces longs siècles. C’est pour vous éviter une démarche compliquée vers cet élément limpide qui n’aura pas forcément envie de vous livrer ses secrets que je vais, en bon riverain qui se respecte, vous rapporter ces mots.
La voie romaine débouchait au pied du débarcadère, ce fut donc un passage obligé pour tous les illustres personnages qui voyageaient et, contrairement à ce que l’on pense, nos aïeux passaient beaucoup de temps sur les chemins caillouteux de France et de Navarre.

Cela me conduit inévitablement à commencer par le premier que relatent les livres d’histoire en pays d’Olt. Je veux parler du célèbre et futur Henry IV, roi de Navarre. Nous étions-vous n’allez pas me croire- en période agitée et notre bon roi Henri ne traîna pas longtemps dans les parages. On raconte cependant qu’il s’arrêta un moment au passage pour se reposer et sûrement pour déguster une bonne poule au pot. Cette dernière précision, vous la devez à votre serviteur qui, par moments, a un peu d’imagination. Puis, par ordre chronologique, ce fut au tour de Louis XI qui avait entendu parler des fameux miracles de Rocamadour. L’histoire ne nous dit pas si, face à sa majesté, la Vierge noire a exaucé ses demandes ce jour-là. Pour les plus férus qui souhaitent approfondir ce pèlerinage royal, je donnerai des renseignements plus précis sur cette journée exceptionnelle.

Ce fut ensuite le tour de Louis XIII en compagnie de Richelieu. Les notables de la région s’en furent l’accueillir, rapporte le responsable de la Dépêche du midi de l’époque, au port de la Madeleine. C’est là que les discours de bienvenue furent prononcés, il ne fallait pas froisser les clans. Religieux et bourgeois du pays étaient tous là, vous vous en doutez ! L’un d’entre eux, un nommé Paillasse, remarqua que Richelieu lorgnait longuement en direction de la place forte d’Uxellodunum. Dès lors, la décision de désarmer la place fut prise ! Les pauvres habitants de Capdenac-le-Haut ont dû obstruer la fontaine de Jules César. Une brave centenaire, au début des années soixante, nous disait : "Le Roi a dormi chez vous". Même si je n’ai pu, malgré mes recherches, confirmer ses dires, il plane quand même une certaine certitude à ce sujet. Son départ du port fut un triomphe : une double haie d’honneur jusqu’à Figeac était présente, avec des «Vive le Roi » retentissants qui gravèrent de leur empreinte les roches les plus dures du Quercy.
Mais je m’égare. Revenons au vingtième siècle, au début des années cinquante, retrouver le port à peu près tel que nous le connaissons aujourd’hui.

Je suis le quatrième enfant de la famille, un robuste. Nous sommes en 1958, j’ai six ans, je vis avec mes pauvres parents et mes trois frères dans une annexe de la bâtisse principale datant du 15 août 1668, sobre. Il s’agit de l’ancienne écurie du relais des diligences, elle a été transformée sommairement et elle est composée de deux chambres et d’une cuisine. Nous dormons à quatre dans le même lit ! Eh oui, il faut savoir partager savamment l’étroitesse du lieu et ma foi, en période hivernale, une agréable chaleur humaine est toujours appréciable! Nous disposons, pour vous dire que nous ne sommes quand même pas en situation de pauvreté extrême, du chauffage central. Il s’agit d’un vieux poêle à bois placé au centre de la maison! L’eau abondante, nous allons la chercher au puits dans un seau de dix litres, je me souviens de sa chaîne qui se déroulait rapidement durant sa descente, la remontée à la manivelle était beaucoup plus laborieuse ! Dix litres du précieux liquide à tout faire qui, au bout de mes minces phalanges, déséquilibraient l’ensemble de mon corps surtout quand, au dernier instant, il fallait hisser l’ensemble hors de la cavité sombre à l’écho lugubre.

Bien plus tard, vers la fin des années soixante, nous nous sommes raccordés au réseau communal bien plus pratique, pour faire comme tout le monde. Ce grand pas vers la modernité nous a conduits inévitablement vers l’eau paiera ! Les commodités se trouvaient au coin de la basse-cour. près de la fosse à purin derrière la grange. Une porte en bois ajourée nous protégeait des regards indiscrets, quelques pages de vieux journaux bien utiles étaient accrochées là en permanence, elles nous permettaient d’avoir accès aux anciennes nouvelles. En période hivernale, le froid saisissait mes tendres fesses ; l’été, une multitude de mouches voletaient autour du trou béant aux effluves très caractéristiques, et parfois l’une d’entre elles s’aventurait au point d’explorer ma plus tendre intimité en me chatouillant ! À portée de main se trouvait le gros bâton à fureter. J’adorais engager cet objet sanitaire dans le cavité qui, au bout d’un moment, se retrouvait obstruée par les excréments mélangés aux feuilles lettrées en décomposition. J’enfonçais alors, à plusieurs reprises, le gros manche dans des ploufs et des plafs irrésistibles ! Comme par miracle, le magma allait se loger dans l’abysse à lisier, libérant pour un long moment l’endroit béni dédié au grand soulagement.

Ma mère, en grande courageuse, n’hésitait pas à braver toutes les conditions climatiques : une fois par semaine, munie de sa planche en bois inclinée, elle lavait le linge et, grâce à un bloc de savon de Marseille, nantie de gestes ancestraux calculés, savonnait puis frottait nos précieux vêtements, les frappait en cadence pour enfin les rincer avant des les essorer. Une brouette en bois bien pratique attendait patiemment le précieux chargement. Suis-je l’inventeur de la multi-traction ?
La remontée n’était pas des plus aisées, même si, avec le temps, une trace indiquait la voie à suivre absolument. Je me souviens de l’avoir aidée en me mettant derrière elle et en la poussant avec toute la force de ma faiblesse !

Ma grand-mère paternelle habitait la maison de maître attenante à la nôtre, c’était la patronne des lieux, elle savait nous le faire comprendre. Elle était cependant gentille avec nous tout en jonglant avec son caractère étrangement espiègle. Une grande cheminée trônait à ses pieds, deux tisons de bois qui se touchaient à peine lui permettaient de se chauffer, une grande marmite contenant de la soupe était continuellement accrochée sur l’âtre flamboyant!...et elle jetait de temps en temps à l’intérieur de cette réserve parfumée tout ce qui lui tombait sous la main ! C’était une rude à cuire, comme on n’en voit plus, ou peu, de nos jours. Elle passa le terrible mois de février 1956 où les températures oscillèrent entre moins quinze et moins vingt-six degrés toute la lune, la porte de sa cuisine grande ouverte bloquée par un gros caillou. Elle avait trouvé ce moyen ingénieux pour éviter que la fumée n’envahisse la pièce. La nuit venue, elle montait à l’étage où elle avait sa chambre, munie d’un galet de la rivière qui s’était réchauffé lentement sous la rare cendre, en effet pour éviter la surconsommation de bois en dehors de la cuisson. Elle avait une technique infaillible ! L’astuce tenait dans l’ art de positionner les bûches qui, tête à tête, se touchaient à peine !

Mais elle aussi fut victime du progrès qui commençait à germer dans nos campagnes avec l’arrivée du gaz au début des années soixante. Elle me lança :"Tu vois comme c’est pratique le gaz, Maurice, une allumette et hop, c’est de suite chaud, et surtout la nourriture n’a plus goût à fumée !".Je me souviens de l’avoir souvent entendue dire en patois : « Ce soir j’ai trois plats au dîner, la soupe, chabrot et au lit ». Elle était néanmoins une grande cuisinière, elle avait à son actif plusieurs années de restaurant, une toute petite affaire à l’entrée du pont nommée aujourd’hui Belle Rive. Eh oui, il faut souvent, vous le savez, commencer avec peu de moyens.
Mon grand-père était pêcheur d’eau douce professionnel, il louait une concession entre les deux chaussées du Lot construites pour le rendre navigable. Il allait vendre sa pêche à Figeac où les restaurateurs lui faisaient bon accueil !…Perches, tanches, cabots, anguilles, carpes, gardons et autres remplissaient sa charrette. Marceline au restaurant les préparait et le client se faisait souvent rouler dans la farine, comme le poisson que leur servait cet espiègle personnage ! « Elle est excellente votre truite, madame ! » En réalité, il dégustait sans le savoir un bon cabot fraîchement pêché ! C’était la maîtresse de la basse-cour, elle seule s’arrogeait le droit de gérer la volaille de la ferme ! Elle nous conviait à un bon repas à condition qu’on lui capture l’animal désigné par son doigt. Inutile de vous dire que la bête n’avait aucune possibilité de nous échapper, le ventre creux favorise l’agilité ! La volaille aussitôt attrapée, elle la saignait en nous demandant de la tenir par les pattes, et on voyait la victime se vider de son sang dans une lente agonie. Sang qui était récupéré dans une assiette creuse où un savant mélange de persil et d’ail entre autres allait permettre de concocter une excellente sanguette dont elle avait le secret ! L’eau bouillante était déjà prête, elle plongeait alors la défunte bestiole à l’intérieur du récipient fumant et commençait à la plumer. Une petite demi-heure après s’épanouissaient des parfums aux effluves divines, à faire frissonner les narines les plus délicates, et qui exaltaient mes sens conquis pour toujours !

Savait-elle lire ?…De toute évidence, pour moi, elle faisait semblant ! Elle marmonnait en remuant la tête de droite à gauche, sans jamais prendre le journal à l’envers. Cependant , il y avait déjà quelques images ! Née en 1888, elle n’était, je suppose, pas allée à l’école. Les enfants des fermes et les filles en particulier avaient des occupations bien plus importantes aux yeux de leurs parents car le travail autour de la ferme primait avant tout, ce n’était pas le moment de s’asseoir sur un banc face à un tableau noir ! Cela ne l’empêchait pas d’avoir l’intelligence vive, elle se moquait ouvertement de ma grand-mère maternelle en l’imitant dans sa gestuelle, et sa répartie était très aiguisée. Le frère de mon père, professeur, fut le meilleur élève du lycée Champollion. Les parents de ma mère logeaient dans la maison du mendiant. Inutile de vous dire que le confort était cruellement absent. Leurs toilettes se trouvaient au-dessus de la rivière, une construction digne d’un poilu de la première guerre. Ils nourrissaient ainsi la faune et la flore environnantes ! Mais peu importait, ils étaient près de leur fille, la misère les avait accompagnés toute leur triste vie. On s’habitue à tout, n’est-ce pas ? Mon grand-père légionnaire nous racontait ce que fut pour lui et ses camarades le calvaire de la guerre 14 -18. Nous avions d’ailleurs souvent droit aux mêmes épisodes, mais qu’importe, nous buvions ses paroles, et à six ans les horreurs qui succèdent aux horreurs se ressemblent toutes.

La pauvreté nous entourait, il faut bien le reconnaître, cependant on ne pouvait pas dire que l’on était parmi les plus malheureux du pays. De temps en temps les journaliers passaient nous voir et, pour un maigre repas ou un morceau de pain, nous aidaient au travail de la ferme toute la journée. Ma mère avait le cœur sur la main : un jour elle a préparé une couche de fortune mais confortable pour Carnus, le miséreux qui dormait habituellement sur une paillasse. Il avait deux phrases fétiches dites en patois:
« Aquò rai çò qui mingi tot que hèi vente ».
Peu importe ce que l’on mange!....Tout fait ventre !
Ou« Que mingi quan n'i a, quan n'i a pas, be me'n passi ! » Je mange quand il y en a, quand il n’y en a pas, je m’en passe !
Pour moi ces deux phrases m’ont aidé à avancer dans mon existence chaotique.
Le lendemain ma mère lui demande : -Vous avez bien dormi, Carnus ?
Traduit du patois… - Com un président ! Comme un président! IMG_9925.png