Quand résonne le son de la cloche, à l’école primaire de Capdenac, années, 1958…1959…1960.
Dieu qu’il semble lourd le son de la cloche qui résonne sous le ciel pâle de septembre. Je l’ai entendu à trois reprises dans la cour de l’école primaire de Capdenac Gare.
J’allais enfin connaître, après une maternelle cousue main « d’époque », dans le petit village de Mas de Noyer où j’ai appris à pétrir la pâte à modeler un couple d’années, sous l’ œil noir et glacial d’une institutrice, qui déjà reconnaissait en moi très certainement un talent d’artiste sculpteur, et qui me laissait réaliser des œuvres en long, en large et parfois même en travers tout en me gratifiant d’une paix royale.
Après ce brillant passage à la maternelle, j’allais enfin fièrement commencer mes études dans une grande école accompagné de mon frère à peine plus âgé que moi.
Immédiatement assis à ses côtés j’ai compris que le fond de la classe m’était assigné! Quelle délicate attention, peu importe, je disposais d’une bonne vue et j’étais déjà un grand garçon pour mon âge, les trente petites têtes assises devant moi n’allaient en aucun cas me faire de l’ombre!
Mon frère paraissait moins éveillé pour son âge, la maîtresse se rapprocha de moi et me dit d’une voix sèche : toi, Maurice tu t’occuperas de Didier ! tiens me voilà déjà investi d’une responsabilité, ici au moins, on me fait confiance!
J’allais vite déchanter, dans cet environnement public, je devenais sans le savoir un auxiliaire de vie scolaire, non rémunéré bien entendu. L’enfant aux deux ombres entrait déjà dans la vie active sans même le savoir!
La tâche restait simple, il faut bien le reconnaître!
Je devais subvenir à la déficience mentale de mon frère dans tous les gestes de la vie quotidienne et m’organiser pour ne déranger personne!
La porte de la classe donnant sur la cour de récréation se trouvait à deux pas de moi, et on m'avait laissé carte blanche, je pouvais à tout moment quitter la salle de classe pour accomplir mon travail, qui je dois le reconnaître ne me déplaisait pas, il n’y a pas comme vous le savez tous de sot métier.
J’usais ma petite intelligence pour agrémenter cette responsabilité sans lourdeur administrative.
Il m’avait semblé au tout début, qu’après l’institutrice j’occupais le poste le plus important dans cette salle de classe.
Les jours se succédaient dans une ambiance bonne enfant, je me désintéressais totalement des paroles de l’intellectuelle qui dans des élans non contrôlés je suppose, allait finir par me dire régulièrement « toi Maurice tu resteras un âne, tu ressembles comme deux gouttes d’eau à ton frère ».
J’ai appris bien plus tard que l’âne faisait parti des cinq animaux les plus intelligents,
ce n’est pas par hasard qu’il refuse d’avancer quand on l’attelle à un Carreton!.
Mais, revenons à l’état de santé de Didier il empirait de mois en mois, ma deuxième ombre devenait de plus en plus pesante.
Il fallait que je devienne le bouclier de ses humeurs changeantes avec la rapidité de l’éclair, je passais les récréations près de lui pour le protéger, et surtout pour défendre les autres. S’ajoutait à cela la sempiternelle question de l’ensemble des écoliers : qu’est-ce qu’il a ton frère pourquoi il est comme ça ?
Je les remercie indirectement car peu à peu j’ai compris que mon aîné et moi, étions différents!
J’essayais de répondre à la question posée et mon imagination me permettait d’avoir une réponse différente tous les jours pour ne pas les décevoir !
Les cent-cinquante élèves de la cour dans une ronde incessante avaient une soif insatiable ils voulaient connaître la vérité !
Cependant, malgré cet étalage de réponses je comprenais qu’aucune ne pourrait satisfaire la curiosité de cette petite communauté en culottes courtes!
Devenu un vrai saint Bernard, mon abnégation restait totale, mes pauvres parents, pris par le dur labeur de la petite ferme familiale ne se doutaient de rien, mes jours passaient ainsi cadencés par un monde aux allures fraternelles.
Au deuxième son de cloche j’assistais pour la première fois à l’appel des élèves pour le passage en classe supérieure, Inutile de vous dire que je n’ai pas entendu mon nom résonner. Je devenais un redoublant, je méritais sûrement cette sentence, même si inconsciemment mes grandes oreilles écoutaient les paroles de la charmante dame rien ne voulait germer en moi, à l’écrit il faut bien le reconnaître je ne faisais pas beaucoup d’efforts, mon travail restait tou ailleurs!
Me voilà donc de retour à la place qui m’était assignée, je retrouve avec un certain plaisir le banc ciré par mes fesses l’année précédente, et près de moi une ombre bien connue qui devenait plus pesante, par contre l’horizon devant moi se dégageait et je disposais désormais d une vue imprenable sur le tableau!
Mon labeur restait le même, je le possédais par cœur, il me suffisait de subvenir à tous les gestes courant d’une deuxième vie!
Je me fixais pourtant l’objectif d’une bonne année scolaire.
J’apprenais dans mon coin, tout me paraissait simple, la meneuse d’enfants pour autant ne me faisait pas de cadeau, pour ses yeux vitreux je représentais toujours l’esclave et surtout le bourricot!
Ainsi l’année passa, rien ne me laissa entrevoir une quelconque amélioration j’étais voué à mon triste sort.
Peu importe, je devais avancer malgré les brimades et la lourdeur de mon fardeau. Didier, malade mentalement et physiquement vomissait de la bile, face à cette nouvelle situation j’éprouvais une certaine honte vis-à-vis de mes petits camarades je faisais écran, j’essayais de tout prévoir, je le maîtrisais parfaitement!
Il rentrait dans des colères monstres se mordait le poignet, je le calmais aussi rapidement que possible j’étais son calmant, en ces temps reculés les neuroleptiques n’existaient pas encore.
Le troisième son de cloche fut semblable au second et a abouti à la même sanction. Figé, je ne bougeais pas du rang je triplais ainsi le cours préparatoire sans comprendre la décision qui avait été prise par les rigolos qui arpentaient la cour dans des allers retours incessants, je commençais à connaître les cours par cœur, j’aurais je vous l’avoue pu remplacer l’an-saignante psychorigide !….ne cherchez pas, je n’ai pas fait de faute! mon fort intérieur se révoltait.
Mais j’ai encore rejoins mon petit bureau boulet au pied. Maurice demeurait nécessaire à Didier plus que jamais. On ne pouvait envisager de le scolariser si je ne restais pas à ses côtés, tout paraissait simple aux yeux des adultes sans cerveau!
Ma taille devenais à mes yeux encombrante, je mesurais facilement deux têtes de plus que les petits assis devant moi, un sentiment de frustration m’envahissait mais j’étais impuissant face à cette situation voulue, la grosse vache Germe, ne me faisait pas de cadeau, elle continuait à me rabaisser, me faisait à nouveau remarquer ma ressemblance avec mon frère, je n’avais à ses yeux qu’un seul rôle!
L’année passa harassante je portais une croix sur mes petites épaules, j’étais confronté de plus en plus aux coups bas des enfants dans la cour je vivais en enfer.
Au quatrième son de cloche, je sors enfin du rang je vais connaître le cours élémentaire première année, dans un soulagement total, mon frère va à nouveau s’asseoir près de moi au fond de la classe, on ne change pas d’habitudes aussi rapidement!
L’instituteur Serres, n’ayons pas peur de citer les noms, m’est apparu comme un dangereux psychopathe, les coups de règle sur les têtes étaient quotidiens.
Même si rien n’avait changé dans mon emploi fictif je me rendais toujours à l’école le ventre serré. Je refusais ces conditions anormales, je ressentais de plus en plus la fatigue je souhaitais mourir.
Reconnu malade après une analyse sanguine, je fus hospitalisé au milieu de l’année scolaire. Chaque jour pendant plusieurs semaines dans une clinique j’ai tendu le bras pour des transfusions, je me suis remis lentement enfin seul!
Puis est venu le temps de la convalescence, mes parents ont enfin compris qu’ils devaient me protéger de mon frère.
J’ai repris goût là la vie, jusqu’au moment où une gentille assistante sociale de Capdenac a insisté auprès de ma mère, pour me placer dans un centre héliomarin à Biarritz.
Hélas, sans le savoir j’allais à nouveau remettre un pied dans l’enfer des hommes! Mais cela relève d’une autre histoire, beaucoup plus dure et émouvante.
Ma maîtresse d’école psychorigide !.
Dieu qu’il semble lourd le son de la cloche qui résonne sous le ciel pâle de septembre. Je l’ai entendu à trois reprises dans la cour de l’école primaire de Capdenac Gare.
J’allais enfin connaître, après une maternelle cousue main « d’époque », dans le petit village de Mas de Noyer où j’ai appris à pétrir la pâte à modeler un couple d’années, sous l’ œil noir et glacial d’une institutrice, qui déjà reconnaissait en moi très certainement un talent d’artiste sculpteur, et qui me laissait réaliser des œuvres en long, en large et parfois même en travers tout en me gratifiant d’une paix royale.
Après ce brillant passage à la maternelle, j’allais enfin fièrement commencer mes études dans une grande école accompagné de mon frère à peine plus âgé que moi.
Immédiatement assis à ses côtés j’ai compris que le fond de la classe m’était assigné! Quelle délicate attention, peu importe, je disposais d’une bonne vue et j’étais déjà un grand garçon pour mon âge, les trente petites têtes assises devant moi n’allaient en aucun cas me faire de l’ombre!
Mon frère paraissait moins éveillé pour son âge, la maîtresse se rapprocha de moi et me dit d’une voix sèche : toi, Maurice tu t’occuperas de Didier ! tiens me voilà déjà investi d’une responsabilité, ici au moins, on me fait confiance!
J’allais vite déchanter, dans cet environnement public, je devenais sans le savoir un auxiliaire de vie scolaire, non rémunéré bien entendu. L’enfant aux deux ombres entrait déjà dans la vie active sans même le savoir!
La tâche restait simple, il faut bien le reconnaître!
Je devais subvenir à la déficience mentale de mon frère dans tous les gestes de la vie quotidienne et m’organiser pour ne déranger personne!
La porte de la classe donnant sur la cour de récréation se trouvait à deux pas de moi, et on m'avait laissé carte blanche, je pouvais à tout moment quitter la salle de classe pour accomplir mon travail, qui je dois le reconnaître ne me déplaisait pas, il n’y a pas comme vous le savez tous de sot métier.
J’usais ma petite intelligence pour agrémenter cette responsabilité sans lourdeur administrative.
Il m’avait semblé au tout début, qu’après l’institutrice j’occupais le poste le plus important dans cette salle de classe.
Les jours se succédaient dans une ambiance bonne enfant, je me désintéressais totalement des paroles de l’intellectuelle qui dans des élans non contrôlés je suppose, allait finir par me dire régulièrement « toi Maurice tu resteras un âne, tu ressembles comme deux gouttes d’eau à ton frère ».
J’ai appris bien plus tard que l’âne faisait parti des cinq animaux les plus intelligents,
ce n’est pas par hasard qu’il refuse d’avancer quand on l’attelle à un Carreton!.
Mais, revenons à l’état de santé de Didier il empirait de mois en mois, ma deuxième ombre devenait de plus en plus pesante.
Il fallait que je devienne le bouclier de ses humeurs changeantes avec la rapidité de l’éclair, je passais les récréations près de lui pour le protéger, et surtout pour défendre les autres. S’ajoutait à cela la sempiternelle question de l’ensemble des écoliers : qu’est-ce qu’il a ton frère pourquoi il est comme ça ?
Je les remercie indirectement car peu à peu j’ai compris que mon aîné et moi, étions différents!
J’essayais de répondre à la question posée et mon imagination me permettait d’avoir une réponse différente tous les jours pour ne pas les décevoir !
Les cent-cinquante élèves de la cour dans une ronde incessante avaient une soif insatiable ils voulaient connaître la vérité !
Cependant, malgré cet étalage de réponses je comprenais qu’aucune ne pourrait satisfaire la curiosité de cette petite communauté en culottes courtes!
Devenu un vrai saint Bernard, mon abnégation restait totale, mes pauvres parents, pris par le dur labeur de la petite ferme familiale ne se doutaient de rien, mes jours passaient ainsi cadencés par un monde aux allures fraternelles.
Au deuxième son de cloche j’assistais pour la première fois à l’appel des élèves pour le passage en classe supérieure, Inutile de vous dire que je n’ai pas entendu mon nom résonner. Je devenais un redoublant, je méritais sûrement cette sentence, même si inconsciemment mes grandes oreilles écoutaient les paroles de la charmante dame rien ne voulait germer en moi, à l’écrit il faut bien le reconnaître je ne faisais pas beaucoup d’efforts, mon travail restait tou ailleurs!
Me voilà donc de retour à la place qui m’était assignée, je retrouve avec un certain plaisir le banc ciré par mes fesses l’année précédente, et près de moi une ombre bien connue qui devenait plus pesante, par contre l’horizon devant moi se dégageait et je disposais désormais d une vue imprenable sur le tableau!
Mon labeur restait le même, je le possédais par cœur, il me suffisait de subvenir à tous les gestes courant d’une deuxième vie!
Je me fixais pourtant l’objectif d’une bonne année scolaire.
J’apprenais dans mon coin, tout me paraissait simple, la meneuse d’enfants pour autant ne me faisait pas de cadeau, pour ses yeux vitreux je représentais toujours l’esclave et surtout le bourricot!
Ainsi l’année passa, rien ne me laissa entrevoir une quelconque amélioration j’étais voué à mon triste sort.
Peu importe, je devais avancer malgré les brimades et la lourdeur de mon fardeau. Didier, malade mentalement et physiquement vomissait de la bile, face à cette nouvelle situation j’éprouvais une certaine honte vis-à-vis de mes petits camarades je faisais écran, j’essayais de tout prévoir, je le maîtrisais parfaitement!
Il rentrait dans des colères monstres se mordait le poignet, je le calmais aussi rapidement que possible j’étais son calmant, en ces temps reculés les neuroleptiques n’existaient pas encore.
Le troisième son de cloche fut semblable au second et a abouti à la même sanction. Figé, je ne bougeais pas du rang je triplais ainsi le cours préparatoire sans comprendre la décision qui avait été prise par les rigolos qui arpentaient la cour dans des allers retours incessants, je commençais à connaître les cours par cœur, j’aurais je vous l’avoue pu remplacer l’an-saignante psychorigide !….ne cherchez pas, je n’ai pas fait de faute! mon fort intérieur se révoltait.
Mais j’ai encore rejoins mon petit bureau boulet au pied. Maurice demeurait nécessaire à Didier plus que jamais. On ne pouvait envisager de le scolariser si je ne restais pas à ses côtés, tout paraissait simple aux yeux des adultes sans cerveau!
Ma taille devenais à mes yeux encombrante, je mesurais facilement deux têtes de plus que les petits assis devant moi, un sentiment de frustration m’envahissait mais j’étais impuissant face à cette situation voulue, la grosse vache Germe, ne me faisait pas de cadeau, elle continuait à me rabaisser, me faisait à nouveau remarquer ma ressemblance avec mon frère, je n’avais à ses yeux qu’un seul rôle!
L’année passa harassante je portais une croix sur mes petites épaules, j’étais confronté de plus en plus aux coups bas des enfants dans la cour je vivais en enfer.
Au quatrième son de cloche, je sors enfin du rang je vais connaître le cours élémentaire première année, dans un soulagement total, mon frère va à nouveau s’asseoir près de moi au fond de la classe, on ne change pas d’habitudes aussi rapidement!
L’instituteur Serres, n’ayons pas peur de citer les noms, m’est apparu comme un dangereux psychopathe, les coups de règle sur les têtes étaient quotidiens.
Même si rien n’avait changé dans mon emploi fictif je me rendais toujours à l’école le ventre serré. Je refusais ces conditions anormales, je ressentais de plus en plus la fatigue je souhaitais mourir.
Reconnu malade après une analyse sanguine, je fus hospitalisé au milieu de l’année scolaire. Chaque jour pendant plusieurs semaines dans une clinique j’ai tendu le bras pour des transfusions, je me suis remis lentement enfin seul!
Puis est venu le temps de la convalescence, mes parents ont enfin compris qu’ils devaient me protéger de mon frère.
J’ai repris goût là la vie, jusqu’au moment où une gentille assistante sociale de Capdenac a insisté auprès de ma mère, pour me placer dans un centre héliomarin à Biarritz.
Hélas, sans le savoir j’allais à nouveau remettre un pied dans l’enfer des hommes! Mais cela relève d’une autre histoire, beaucoup plus dure et émouvante.
Ma maîtresse d’école psychorigide !.
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