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Lettre de Jacques à Maryse

#1

Cet extrait du roman "Les deux cœurs" comprend les vers 7373 à 7504


MERS-EL-KÉBIR, le 5 Juin 1961,


« - Maryse, mon aimée,
C’est notre anniversaire,
- Il y a juste un an, oui, un an aujourd’hui
- Que je te découvrais, ma douce partenaire,
- Pour combler ce grand vide, effacer mon ennui.
- Un an de déchirure, et souffrance, et tourmente,
- Quoiqu’ un an de bonheur, nous ne pouvons le nier ;
- Un an où nous avons supporté une attente
- Déchirant notre esprit qui bravait le danger.
- Ô !... qu’il me serait doux de revoir ton visage,
- Te prendre dans mes bras, te serrer sur mon cœur,
- Mais je suis condamné, errant sur ce rivage,
- A devoir supporter ma peine, mon malheur.
- Je m’ennuie à mourir et c’est pour toi je pense
- Une chose pareille, or, il nous faut lutter,
- Patienter pour avoir, un jour, la récompense,
- Le ciel est contre nous, il veut nous éprouver.
- Nous devons tenir bon, éviter la défaite
- Sous peine de subir un sort trop malheureux,
- Force est de constater que la vie est mal faite
- Et qu’il nous faut souffrir, nous sentir miséreux.
- Nous avons en commun la foi et l’innocence
- Rien ne semblait pouvoir accabler notre esprit ;
- Nous portions nos espoirs sur notre providence
- Et non sur un destin qui, toujours, nous poursuit.
- Qu’avons fait au ciel qui jette l’amertume
- Dans deux cœurs déchirés sous le poids du fardeau,
- Qui place dans nos âmes ce nuage de brume
- Et nous marque au fer rouge en guise de cadeau ?
- Pourquoi donc tous les anges, enivrés de colère,
- Se liguent contre nous et nous jettent le sort,
- Heureux de nous plonger dans l’atroce misère
- Nous menant par la main aux portes de la mort ?
- Pourquoi Dieu garde-t-Il pour lui Son indulgence
- Au lieu de nous offrir Son aide, Son amour ?
- Il connaît pourtant bien l’affreuse conséquence
- Que peut représenter le point de non retour.
- Nous devrions nager dans une folle ivresse
- Plutôt que nous meurtrir, nous déchirer les chairs,
- De nous sentir en proie à l’étrange tristesse
- Qui obscurcit des cieux pourtant toujours si clairs.
- Pourquoi doit-Il user d’autant de brusquerie
- Alors que nous avons voulu tout lui donner ?
- Car ce geste apparaît comme une félonie
- Puisqu’il m’est impossible à le contrecarrer.
- Maryse, mon humeur très souvent me chagrine,
- Je sens le désespoir qui vient pour m’envahir
- Et ce triste destin me brise, m’abomine,
- Sans ta chère présence il me semble mourir.
- Je m’enfuis dans des rêves et sombre dans des songes
- Pour rechercher en eux des planches de salut,
- Mais le bois est pourri, aussitôt que je plonge
- Un requin se tient là, toujours prêt, à l’affût.
- Je ne sais plus que faire, et sortir du désastre
- Me semble difficile, à moins de renoncer ;
- Je suis un comédien placé sur un théâtre
- Mais que les spectateurs ont voulu délaisser.
- Pourtant, ma pièce est belle et mon rôle est sublime,
- Un peu trop il est vrai, c’est du moins mon avis.
- Chaque instant qui s’en vient me plonge dans l’abîme,
- Que reste-t-il de moi sinon que des débris ?
- Me voilà à l’autel, prêt à mon holocauste,
- Et je vois le bourreau qui tente d’approcher,
- Que j’aimerais pouvoir lui donner la riposte
- Mais, une fois de plus, je ne peux l’espérer.
- Dans un dernier sursaut, je fais une culbute
- Qui m’emporte bien loin dans un autre univers
- Or, à peine arrivé, dès l’instant je dispute
- Une lutte inégale en un monde pervers.
- Faut-il abandonner pour laisser à l’outrage,
- Avec un grand respect, une place de choix ?
- Je hurle, me débats, pousse des cris de rage
- Et je reste à porter une trop lourde croix.
- L’abandon me saisit, il me prend à la gorge,
- J’ai beau donner des coups, il ne peut rien sentir,
- Je le sens peu à peu qui, sans pitié, m’égorge,
- Il ne me lâche plus car il sait me tenir.
- Donnant un coup de pied, je me bats à outrance
- Mais la prise m’enserre et me fait tant de mal
- Que je voudrais vomir devant son arrogance,
- Prisonnier dans ce jeu comme un cérémonial.
- Je souffre dans ma tête, au fond de ma poitrine,
- Le feu qui me dévore est tel un feu d’enfer ;
- Au lieu de m’éclairer, je sens qu’il m’hallucine,
- Me détruit lentement, pareil à un cancer.
- Où pourrais-je trouver l’aide monumentale
- Qui viendrait s’opposer à de telles pressions ?
- J’ai perdu, de ma foi, la force principale
- Pour me laisser aller dans d’affreuses visions.
- Je dois te l’avouer, bien que cela me coûte,
- Que je perds ma confiance envers ce Dieu puissant
- Qui, chaque jour, me met un peu plus en déroute,
- Se ligue contre moi avec acharnement.
- Oui, Il m’a tout donné, mais pour mieux me reprendre,
- Méprisant mes prières et mon fou désespoir,
- En percevant mes cris, Il jouit de les entendre,
- Il pense que mes yeux sont un vaste urinoir.
- Me rejetant ainsi de Son monde si chaste
- C’est qu’Il a des raisons, or quels sont Ses desseins ?
- Je n’ai aucun pouvoir à lui être néfaste
- Moi, Son enfant perdu, et chassé des chrétiens.
- Je n’osais pas y croire, en niais l’évidence
- Dieu se trouvait mon maître et je n’avais que Lui,
- Peut-être a-t-Il commis, là, une négligence,
- Une erreur, une faute, ou même un simple oubli.
- Pourtant, au fond de moi, et ça, je te le jure,
- Le serment que j’ai fait avec toi reste entier,
- Jamais je n’oserais devenir un parjure
- Envers toi, ô Maryse !... et qui reste à m’aimer.
- Si tu me vois rageur, si je perds le contrôle,
- C’est que Dieu qui s’acharne contre deux innocents
- N’a vraiment pas le droit de détenir ce rôle
- Qui conviendrait bien mieux à des anges déments.
- Ah !... que file le temps et que s’enfuient les heures,
- Que je revienne vite au petit port breton,
- Que n’ai-je point d’appuis, des aides extérieures
- Pour pouvoir permuter et changer de région.
- Non, il me faut rester et vivre dans les larmes,
- Laisser mon cœur mourir tout autant que ma foi ;
- Dieu use contre moi de bien puissantes armes
- Sans que je sache rien, ne devine pourquoi.
- Je dois continuer ma route en solitaire,
- Accepter mon tourment ainsi que Son mépris,
- Ignorer Son vrai but en voulant me faire taire,
- En plongeant notre amour dans un affreux gâchis.
- Il ne suffisait pas de la brume automnale
- Qui nous enveloppait, nous saisissait de froid,
- Il a utilisé la puissance infernale
- Dans un geste suprême et remplit de sang-froid.
- Nous devons nous jouer de Sa folle démence,
- Maryse, je t’en prie, garde confiance en moi,
- Peut-être usera-t-Il, un jour, de Sa clémence !...
- Ô Maryse !... je t’aime, et je n’ai plus que toi.»
 
#2
éh bien, ça, c'est une lettre!
c'est toujours aussi superbement écrit et toujours autant bourré d'émotions.
 

lebroc

Maître Poète
#3
Une superbe supplique à Maryse
Toujours ce grand plaisir à te lire
Tendrese et émotion embelissent ce poème
1 vote les mains jointes
Bravo Jack
A très bientôt
 

sensemo

Nouveau poète
#4
Que de souvenirs remués pour écrire cette lettre et décrire votre situation de l'époque, ces temps incertains perturbant vos amours,
ton ressenti est tellement précis... Merci pour cette lecture.

Maryse.