Je suis l’écran
Dressé entre ta vie et le réel
Omniprésent
Dans un monde que j’ai divisé
Pour mieux régner
Sur des quotidiens fragmentés en pixels
Célèbre-moi, je suis l’issue de l’existence
Créé pour faciliter
T’informer, te cultiver
C’est ce que susurrent ceux qui me financent
A ta pensée aveuglée
Par ma lumière artificielle
Qui sait distiller la peur dans tes veines
Jusqu’à ce que tu cèdes tes droits
Et t’enferme docilement chez toi
Jusqu’à ce que tu brades les vraies richesses
Sacrifiées au vide qui surplombe leurs promesses
Je suis tout, sauf loyal
Je ronge ta vie, comme une drogue malsaine
Je suis le signal
Qui brouille la connexion humaine
Et s’accapare
La moindre parcelle d’énergie vitale,
J’aspire chaque seconde et le moindre regard
Je suis fatal
Une conversation profonde qu’on achève
Définitivement
Têtes inclinées, êtres absorbés sans trêve
Par le néant
Je suis l’œil de la matrice
Qui draine ta vie
Et donne des airs d’amatrice
A la narcolepsie
Je suis l’écran
Sur lequel tu navigues
Machinalement
Alors que ton présent fait naufrage
En arrière plan d’un parfait désintérêt
Victime des dérives
D’un prétendu progrès
Je suis l’écran
Qui t’apprend à dé-penser
Et te transforme doucement
En pantin télé-guidé
Mitraillé d’effets spéciaux
Conditionné à la violence
Aux abus, à l’ignorance
Géolocalisé, scanné, enregistré
Au cas où tu pêterais un cable
Monitoré à ton insu
Portable
Je suis une liste de maux dérivés
De notre chère modernité
Difficile de panser
Notre chair modernisée
Matricules noyés dans des banques de données
De la glue dans les neurones
En sortant des usines à clones
Qu’on fabrique à coup de somnifères
T’as laissé ton esprit vif au vestiaire
Pour mieux profiter du spectacle
L’ère du divertissement, de l’orne-mental
Et des porte-mentaux
Je suis l’écran
Qui te grille le cerveau
Quand tu restes assis sagement
L’écran qui traque les hérétiques
Et veille à l’inaction
D’un peuple à cran
Est-ce qu’on laissera le numérique
Etre notre seule révolution ?
Ecrit par Charlotte Dubost 26 décembre 2018