Récit 8
Nos cousins, les gitans Mathurin, la nuit où ma grand-mère appelle au secours
Je devais absolument conclure le chapitre sur la vie au port de la Madeleine en vous parlant des pauvres parmi les pauvres, les gitans. Indigents certes, mais malins! Nous redoutions leur arrivée, ils avaient pour habitude d’aménager leur campement non loin de la barrière de la Madeleine dans une petite parcelle aride non exploitée. Ils positionnaient les roulottes en cercle à la manière des cowboys dans les westerns américains. Cette méthode bien rodée leur permettait de s’abriter des regards indiscrets mais aussi du vent et du froid. Ils attachaient les chevaux à l’aide d’une longe à un piquet en bordure des fossés pour qu’ils profitent gratuitement de l’herbe tendre et abondante.
Les Mathurin vivaient essentiellement de braconnage, ils excellaient dans beaucoup de domaines comme la pêche et la chasse. Ils glanaient toutes sortes de tubercules et fruits généreusement offerts par la nature, et accessoirement, ceux adroitement semés par la main de braves paysans. Ils confectionnaient avec adresse des paniers en osier qu’ils essayaient de fourguer aux habitants de la région. Ils possédaient ancestralement l’art du rempaillage des chaises et des fauteuils. Ma mère accueillait tout le monde, les nécessiteux de tous bords étaient les bienvenus, cependant elle éprouvait une certaine crainte à ouvrir sa porte aux manouches qui avaient une réputation de voleurs bien affirmée! Ils arrivaient souvent les mains vides et repartaient les mains pleines, en nous gratifiant de quelques bestioles qui se baladaient sur nos têtes. On se serait bien passé de cette offrande mais comment éviter ce présent quand on a un cœur charitable ? En tout état de cause, il était préférable de ne pas trop quitter la ferme avant qu’ils ne lèvent définitivement le camp. Décision qu’ils n’envisageaient que lorsqu’ils avaient bien ratissé le coin! Tous les prétextes et ruses pour approcher les habitations, ils les possédaient. Pour cela ils avaient, il faut bien le reconnaître, une imagination sans limite à faire pâlir de jalousie les plus fins stratèges !
Les femmes partaient dans toutes les directions de la commune avec quelques paniers tressés à vendre, suivies par une ribambelle d’enfants en guenilles qui n’étaient jamais scolarisés. Quand on naissait bohémien à cette rude époque, on avait un cursus à suivre et on n’y dérogeait pas! Ces dames écumaient le secteur méthodiquement, leurs bambins les suivaient pour faire diversion ! Je me souviens du jour où une de ces créatures en haillons est arrivée en titubant à notre porte. Le soleil d’août avait sûrement permis une deuxième fermentation du jus de raisin alcoolisé qu’elle avait absorbé goulûment pour étancher une soif infinie! Elle s’adressa à ma mère : « Je suis complètement déshydratée avec cette chaleur ! ». Suite à ces mots savants révélant une grande urgence, un verre d’eau lui a été immédiatement tendu!Dans la seconde qui a suivi, ma mère a reçu son contenu en pleine figure ! Elle balbutia ensuite cette phrase qui résonne encore en moi : « Je n’aime pas l’eau, je veux du vin et vite ! ». Mon père, qui était par chance dans les parages, a réagi spontanément, il faut dire que le choc thermique avait été violent et que ma pauvre maman n’avait pas pu s’empêcher de crier ! Le maître du port a raccompagné énergiquement l’insolente ! La descente des escaliers a été une des plus rapides que j’ai eu l’occasion d’observer dans ma jeunesse, les dernières marches se sont même dérobées sous ses pieds ! Quelques temps après, elle est revenue sans scrupule en diseuse de bonne aventure, comme quoi l’alcool favorise la voyance. Grâce au ciel, le chef de famille était encore là ! À la phrase : «Je viens vous prédire l’avenir !» Mon père lui a administré un coup de pied dans les fesses en lui disant : « Et ce futur-là, vous l’aviez prévu?». Inutile de vous dire qu’à nouveau et malgré les mots de protestation de la pouilleuse déguisée en Madame Soleil, le départ a été une fois de plus précipité.
Ces nomades avaient des chiens exceptionnels, tout ce qu’il y a de plus bâtard, mais dressés de mains de romanos ! Leur spécialité était axée sur la chasse des animaux de basse-cour.
Notre poulailler, la volière aux faisans et aux pigeons avaient été visités à plusieurs reprises quand l’heure des mesures radicales a enfin sonné. Bien sûr, au début de cette hécatombe, nous avions pensé qu’il s’agissait peut-être d’un renard, mais curieusement, aucun indice ne permettait d’affirmer que ces disparitions puissent être imputées à l’œuvre du rusé! S’il s’était agi de lui, des plumes auraient volé dans tous les sens, et surtout, nous aurions entendu un vacarme bien spécifique à une telle attaque, les poules ayant un caquetage strident dans ce cas précis. Nous disposions de pièges qui allaient nous permettre de capturer le coupable sans tarder, c’est du moins ce que le fin tacticien des lieux pensait, donc nous ne pouvions que le croire! Bien disposés à l’entrée et aux quatre coins de la cour, sans omettre son centre, ils paraissaient une stratégie infaillible, le nuisible ne pourrait pas ignorer les appétissants appâts !
La vie est jonchée d’inattendus. Figurez-vous que ce soir-là, alors que l’endroit s’était drapé d’une nuit sans lune, notre cousin est venu nous présenter sa fiancée. Afin d’ajouter un peu plus de surprise à sa démarche, il a eu l’idée géniale d’emprunter l’entrée des artistes où se trouvait notre dispositif pratiquement infranchissable ! Par miracle, car il faut appeler les choses par leur vrai nom, le couple a évité l’armada de mâchoires à pression. Impressionnant, non? Évidemment, comme on ne peut pas se fier continuellement à la chance, nous leur avons conseillé de prendre l’itinéraire normal lorsqu’ils sont repartis ! Une fois dans mon lit, je me souviens d’avoir eu le sommeil léger, je ne voulais surtout pas manquer ce rendez-vous avec le prédateur amateur de gibier domestique. Aussi j’ai été le premier à entendre des gémissements, il n’y avait plus de doute sur l’efficacité des mâchoires que nous avions tendues, l’homme pouvait y échapper, reconnaissons-le, mais un animal sauvage, non ! C’est dans un élan de satisfaction que je me suis précipité vers la chambre de mes parents pour les prévenir. Mon père a pris instinctivement son fusil, nous avons éclairé l’espace et sous nos yeux nous avons assisté à une scène incroyable. Un chien était capturé près de la volière aux faisans, alors qu’un autre, une proie entre les dents, est passé comme une balle en sortant du poulailler. A cet instant précis, nous avons entendu des sifflets de rappel ! Mon père épaula l’arme à double détente qui libéra ses plombs dans une déflagration assourdissante!
Les gémissements cessèrent et au même moment, au loin, nous avons entendu ces mots de désespoir: « Ils ont tué notre meilleur chien !». Nous avions une fois pour toutes réglé le mystère de la disparition des faisans, des poules et des pigeons!
Quelque temps après cette scène nocturne, un bohémien du campement qui avait pour habitude de surnommer mon père son cousin, sûrement en reconnaissance des nombreuses volailles qu’il avait mangées sans qu’on s’en aperçoive, lui a glissé cette phrase à l’oreille :
- Nous sommes malheureux, nous avons perdu notre meilleur chien !
- Ah bon!… et comment est-ce arrivé ?
- Il a été victime d’un accident de chasse!
Quelques mois plus tard, ma grand-mère maternelle a eu la visite, une après-midi, de vendeurs à domicile à la peau typée. Par politesse elle leur a pris quelques bricoles afin de se débarrasser d’eux au plus vite, tout en ne trouvant pas leur démarche très catholique ! Avant de la quitter, ils lui avaient demandé si les voisins étaient présents.Sans se méfier, elle leur a répondu: «Non, je vis seule ici ». Cette phrase bien entendu a été prononcé sans méfiance pour éviter que nous soyons à notre tour importunés. Dans le courant de la nuit, alors que j’étais ce soir-là avec ma mère et mon frère handicapé, nous avons été réveillés par des cris de frayeur ponctués par des «Au secours !» qui ne faisaient planer aucun doute : mon aïeule se trouvait en grand danger ! Aussitôt nous nous sommes levés pour observer, grâce à une toute petite ouverture, ce qui se passait à l’extérieur. Une faible lueur d’ampoule nous a permis d’apercevoir des formes inquiétantes qui se déplaçaient autour de sa petite maison assiégée! Il y avait urgence! N’écoutant que mon instinct protecteur, je suis sorti de la maison en pyjama avec pour seule arme mes mains. Ainsi j’allais vers l’inconnu, en me rendant bien compte du haut de mes dix ans que je m’exposais sans défense à une situation très dangereuse ! J’ai contourné la bâtisse et ne voyant personne dans l’obscurité, je me suis avancé vers la sablière, avant d’avoir la première véritable frayeur de ma jeune existence. J’ai été victime d’une volée de pierres qui ne m’atteignirent pas, fort heureusement. J’ai couru et j’ai croisé ma mère qui se trouvait à une cinquantaine de mètres derrière moi :
- Que fais-tu ? , me lança-t-elle, alors que je remontais les escaliers de la maison à toute vitesse.
- Attends-moi, rassure mémé, cache-toi, je reviens !
Je suis rentré dans la chambre de mes parents où se trouvait le fusil qui devait nous sauver, dans la cartouchière j’ai pris trois chevrotines, j’en ai glissé deux dans le fût afin d’armer les détentes. Aussi rapidement que mes jambes pouvaient le faire, je me suis à nouveau dirigé vers les assaillants nocturnes. Ma mère, surprise de me voir revenir armé jusqu’aux dents, ne m’a pas freiné dans mon élan et a juste eu le temps de me lancer au passage cette recommandation : « Sois prudent, Maurice, fais attention à toi! » J’avais à peine fait cinquante mètres quand, à nouveau, des pierres fusèrent autour de moi et là, sans hésiter, j’ai épaulé l’arme comme mon créateur m’avait appris à le faire, et j’ai fait feu à deux reprises dans la direction des bandits qui, dans un repli brutal, ont fui en criant « Vite, à la voiture!» Je n’avais plus qu’une cartouche pour défendre ma position ! Aujourd’hui, lorsque je me remémore cette terrible situation, je me dis : « Pourquoi n’as-tu pas pris la ceinture à cartouches ?» En effet je n’avais plus qu’une balle pour repousser les éventuelles attaques! Peu de temps après, j’ai entendu un moteur en furie, les phares se sont allumés et j’ai tiré face à l’ennemi. Un bruit de ferraille s’est fait entendre, et après un dérapage violent, le véhicule et ses occupants apeurés ont pris la fuite en abandonnant le combat ! Ma grand-mère et ma mère m’ont fêté en héros. Tôt dans la matinée mon père, qui revenait de son travail de garde-barrière, m’a réveillé pour me féliciter, pour la première fois je pouvais m’identifier à lui! Nous n’avons jamais eu de nouvelles de nos visiteurs ! Nos voisins, réveillés par ce tapage nocturne, nous ont posé la question : « Que s’est-il passé cette nuit chez vous ? » Notre réponse est restée évasive : « Rien de grave, rassurez-vous ! »
Je suis devenu depuis cette nuit là le sauveur de ma grand-mère, la fierté de ma mère et la gloire de mon père! Je me demande sans anxiété aujourd’hui si j’ai blessé un des agresseurs... Je ne le saurai jamais. Ils ne sont pas revenus pour s’en plaindre, et nous n’avons pas eu de leur nouvelle dans les journaux !
Nos cousins, les gitans Mathurin, la nuit où ma grand-mère appelle au secours
Je devais absolument conclure le chapitre sur la vie au port de la Madeleine en vous parlant des pauvres parmi les pauvres, les gitans. Indigents certes, mais malins! Nous redoutions leur arrivée, ils avaient pour habitude d’aménager leur campement non loin de la barrière de la Madeleine dans une petite parcelle aride non exploitée. Ils positionnaient les roulottes en cercle à la manière des cowboys dans les westerns américains. Cette méthode bien rodée leur permettait de s’abriter des regards indiscrets mais aussi du vent et du froid. Ils attachaient les chevaux à l’aide d’une longe à un piquet en bordure des fossés pour qu’ils profitent gratuitement de l’herbe tendre et abondante.
Les Mathurin vivaient essentiellement de braconnage, ils excellaient dans beaucoup de domaines comme la pêche et la chasse. Ils glanaient toutes sortes de tubercules et fruits généreusement offerts par la nature, et accessoirement, ceux adroitement semés par la main de braves paysans. Ils confectionnaient avec adresse des paniers en osier qu’ils essayaient de fourguer aux habitants de la région. Ils possédaient ancestralement l’art du rempaillage des chaises et des fauteuils. Ma mère accueillait tout le monde, les nécessiteux de tous bords étaient les bienvenus, cependant elle éprouvait une certaine crainte à ouvrir sa porte aux manouches qui avaient une réputation de voleurs bien affirmée! Ils arrivaient souvent les mains vides et repartaient les mains pleines, en nous gratifiant de quelques bestioles qui se baladaient sur nos têtes. On se serait bien passé de cette offrande mais comment éviter ce présent quand on a un cœur charitable ? En tout état de cause, il était préférable de ne pas trop quitter la ferme avant qu’ils ne lèvent définitivement le camp. Décision qu’ils n’envisageaient que lorsqu’ils avaient bien ratissé le coin! Tous les prétextes et ruses pour approcher les habitations, ils les possédaient. Pour cela ils avaient, il faut bien le reconnaître, une imagination sans limite à faire pâlir de jalousie les plus fins stratèges !
Les femmes partaient dans toutes les directions de la commune avec quelques paniers tressés à vendre, suivies par une ribambelle d’enfants en guenilles qui n’étaient jamais scolarisés. Quand on naissait bohémien à cette rude époque, on avait un cursus à suivre et on n’y dérogeait pas! Ces dames écumaient le secteur méthodiquement, leurs bambins les suivaient pour faire diversion ! Je me souviens du jour où une de ces créatures en haillons est arrivée en titubant à notre porte. Le soleil d’août avait sûrement permis une deuxième fermentation du jus de raisin alcoolisé qu’elle avait absorbé goulûment pour étancher une soif infinie! Elle s’adressa à ma mère : « Je suis complètement déshydratée avec cette chaleur ! ». Suite à ces mots savants révélant une grande urgence, un verre d’eau lui a été immédiatement tendu!Dans la seconde qui a suivi, ma mère a reçu son contenu en pleine figure ! Elle balbutia ensuite cette phrase qui résonne encore en moi : « Je n’aime pas l’eau, je veux du vin et vite ! ». Mon père, qui était par chance dans les parages, a réagi spontanément, il faut dire que le choc thermique avait été violent et que ma pauvre maman n’avait pas pu s’empêcher de crier ! Le maître du port a raccompagné énergiquement l’insolente ! La descente des escaliers a été une des plus rapides que j’ai eu l’occasion d’observer dans ma jeunesse, les dernières marches se sont même dérobées sous ses pieds ! Quelques temps après, elle est revenue sans scrupule en diseuse de bonne aventure, comme quoi l’alcool favorise la voyance. Grâce au ciel, le chef de famille était encore là ! À la phrase : «Je viens vous prédire l’avenir !» Mon père lui a administré un coup de pied dans les fesses en lui disant : « Et ce futur-là, vous l’aviez prévu?». Inutile de vous dire qu’à nouveau et malgré les mots de protestation de la pouilleuse déguisée en Madame Soleil, le départ a été une fois de plus précipité.
Ces nomades avaient des chiens exceptionnels, tout ce qu’il y a de plus bâtard, mais dressés de mains de romanos ! Leur spécialité était axée sur la chasse des animaux de basse-cour.
Notre poulailler, la volière aux faisans et aux pigeons avaient été visités à plusieurs reprises quand l’heure des mesures radicales a enfin sonné. Bien sûr, au début de cette hécatombe, nous avions pensé qu’il s’agissait peut-être d’un renard, mais curieusement, aucun indice ne permettait d’affirmer que ces disparitions puissent être imputées à l’œuvre du rusé! S’il s’était agi de lui, des plumes auraient volé dans tous les sens, et surtout, nous aurions entendu un vacarme bien spécifique à une telle attaque, les poules ayant un caquetage strident dans ce cas précis. Nous disposions de pièges qui allaient nous permettre de capturer le coupable sans tarder, c’est du moins ce que le fin tacticien des lieux pensait, donc nous ne pouvions que le croire! Bien disposés à l’entrée et aux quatre coins de la cour, sans omettre son centre, ils paraissaient une stratégie infaillible, le nuisible ne pourrait pas ignorer les appétissants appâts !
La vie est jonchée d’inattendus. Figurez-vous que ce soir-là, alors que l’endroit s’était drapé d’une nuit sans lune, notre cousin est venu nous présenter sa fiancée. Afin d’ajouter un peu plus de surprise à sa démarche, il a eu l’idée géniale d’emprunter l’entrée des artistes où se trouvait notre dispositif pratiquement infranchissable ! Par miracle, car il faut appeler les choses par leur vrai nom, le couple a évité l’armada de mâchoires à pression. Impressionnant, non? Évidemment, comme on ne peut pas se fier continuellement à la chance, nous leur avons conseillé de prendre l’itinéraire normal lorsqu’ils sont repartis ! Une fois dans mon lit, je me souviens d’avoir eu le sommeil léger, je ne voulais surtout pas manquer ce rendez-vous avec le prédateur amateur de gibier domestique. Aussi j’ai été le premier à entendre des gémissements, il n’y avait plus de doute sur l’efficacité des mâchoires que nous avions tendues, l’homme pouvait y échapper, reconnaissons-le, mais un animal sauvage, non ! C’est dans un élan de satisfaction que je me suis précipité vers la chambre de mes parents pour les prévenir. Mon père a pris instinctivement son fusil, nous avons éclairé l’espace et sous nos yeux nous avons assisté à une scène incroyable. Un chien était capturé près de la volière aux faisans, alors qu’un autre, une proie entre les dents, est passé comme une balle en sortant du poulailler. A cet instant précis, nous avons entendu des sifflets de rappel ! Mon père épaula l’arme à double détente qui libéra ses plombs dans une déflagration assourdissante!
Les gémissements cessèrent et au même moment, au loin, nous avons entendu ces mots de désespoir: « Ils ont tué notre meilleur chien !». Nous avions une fois pour toutes réglé le mystère de la disparition des faisans, des poules et des pigeons!
Quelque temps après cette scène nocturne, un bohémien du campement qui avait pour habitude de surnommer mon père son cousin, sûrement en reconnaissance des nombreuses volailles qu’il avait mangées sans qu’on s’en aperçoive, lui a glissé cette phrase à l’oreille :
- Nous sommes malheureux, nous avons perdu notre meilleur chien !
- Ah bon!… et comment est-ce arrivé ?
- Il a été victime d’un accident de chasse!
Quelques mois plus tard, ma grand-mère maternelle a eu la visite, une après-midi, de vendeurs à domicile à la peau typée. Par politesse elle leur a pris quelques bricoles afin de se débarrasser d’eux au plus vite, tout en ne trouvant pas leur démarche très catholique ! Avant de la quitter, ils lui avaient demandé si les voisins étaient présents.Sans se méfier, elle leur a répondu: «Non, je vis seule ici ». Cette phrase bien entendu a été prononcé sans méfiance pour éviter que nous soyons à notre tour importunés. Dans le courant de la nuit, alors que j’étais ce soir-là avec ma mère et mon frère handicapé, nous avons été réveillés par des cris de frayeur ponctués par des «Au secours !» qui ne faisaient planer aucun doute : mon aïeule se trouvait en grand danger ! Aussitôt nous nous sommes levés pour observer, grâce à une toute petite ouverture, ce qui se passait à l’extérieur. Une faible lueur d’ampoule nous a permis d’apercevoir des formes inquiétantes qui se déplaçaient autour de sa petite maison assiégée! Il y avait urgence! N’écoutant que mon instinct protecteur, je suis sorti de la maison en pyjama avec pour seule arme mes mains. Ainsi j’allais vers l’inconnu, en me rendant bien compte du haut de mes dix ans que je m’exposais sans défense à une situation très dangereuse ! J’ai contourné la bâtisse et ne voyant personne dans l’obscurité, je me suis avancé vers la sablière, avant d’avoir la première véritable frayeur de ma jeune existence. J’ai été victime d’une volée de pierres qui ne m’atteignirent pas, fort heureusement. J’ai couru et j’ai croisé ma mère qui se trouvait à une cinquantaine de mètres derrière moi :
- Que fais-tu ? , me lança-t-elle, alors que je remontais les escaliers de la maison à toute vitesse.
- Attends-moi, rassure mémé, cache-toi, je reviens !
Je suis rentré dans la chambre de mes parents où se trouvait le fusil qui devait nous sauver, dans la cartouchière j’ai pris trois chevrotines, j’en ai glissé deux dans le fût afin d’armer les détentes. Aussi rapidement que mes jambes pouvaient le faire, je me suis à nouveau dirigé vers les assaillants nocturnes. Ma mère, surprise de me voir revenir armé jusqu’aux dents, ne m’a pas freiné dans mon élan et a juste eu le temps de me lancer au passage cette recommandation : « Sois prudent, Maurice, fais attention à toi! » J’avais à peine fait cinquante mètres quand, à nouveau, des pierres fusèrent autour de moi et là, sans hésiter, j’ai épaulé l’arme comme mon créateur m’avait appris à le faire, et j’ai fait feu à deux reprises dans la direction des bandits qui, dans un repli brutal, ont fui en criant « Vite, à la voiture!» Je n’avais plus qu’une cartouche pour défendre ma position ! Aujourd’hui, lorsque je me remémore cette terrible situation, je me dis : « Pourquoi n’as-tu pas pris la ceinture à cartouches ?» En effet je n’avais plus qu’une balle pour repousser les éventuelles attaques! Peu de temps après, j’ai entendu un moteur en furie, les phares se sont allumés et j’ai tiré face à l’ennemi. Un bruit de ferraille s’est fait entendre, et après un dérapage violent, le véhicule et ses occupants apeurés ont pris la fuite en abandonnant le combat ! Ma grand-mère et ma mère m’ont fêté en héros. Tôt dans la matinée mon père, qui revenait de son travail de garde-barrière, m’a réveillé pour me féliciter, pour la première fois je pouvais m’identifier à lui! Nous n’avons jamais eu de nouvelles de nos visiteurs ! Nos voisins, réveillés par ce tapage nocturne, nous ont posé la question : « Que s’est-il passé cette nuit chez vous ? » Notre réponse est restée évasive : « Rien de grave, rassurez-vous ! »
Je suis devenu depuis cette nuit là le sauveur de ma grand-mère, la fierté de ma mère et la gloire de mon père! Je me demande sans anxiété aujourd’hui si j’ai blessé un des agresseurs... Je ne le saurai jamais. Ils ne sont pas revenus pour s’en plaindre, et nous n’avons pas eu de leur nouvelle dans les journaux !