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Le Lièvre et La Tortue

Yvains

Maître Poète
#1
Tradaptation de l'original de Roald Dahl (1916-1990):


La Triste Histoire de Madame Thérèse Tortue et de M Ludovic Lièvre


La Tortue (cette bête instruite
Et gastronome) savait bien –
Chose qu'elle avait souvent dite –
Qu'il n'était rien au monde – rien –
Qui pût plus plaire à ses quat' pattes
Et à son ventre, que le vert
Carré de choux de Monsieur Blatte –
C'était son paradis sur terre.​

Les fraises, l'ail, les artichauts,
Les rutabagas, la laitue,
Les potirons et les poireaux –
Tout était là pour la Tortue,
Etalé comme exprès pour plaire
À Madame Thérèse-Hélène –
Une installation tortuaire
De restauration reptilienne.​

T. profitait depuis longtemps
(Quand le patron n'y était pas)
De cet amène restaurant
Pour y prendre tous ses repas,
Mais un beau jour – ô quelle horreur –
Quelle affreuse calamité !
Dans son buffet, un braconneur,
Un intrus, s'était invité !​

C'était le Lièvre, Ludovic,
Qui tous les jours la devançait ;
Elle arrivait – et le pique-nique
De l'autre déjà s'achevait ;
Elle avait beau se coucher tôt,
Visant une entrée avant l'aube –
Le voilà qui poussait un rot
Content, ayant fini sa daube.​

Elle attendait le soir – le Lièvre
Était en train de repousser
Sa chaise, en s'essuyant les lèvres,
Lui ayant tout volé à T.
" Athée ! " criait-elle, " Tu es
Un saltimbanque, un parvenu ! "
De dix-sept plats, il chipait seize,
Et puis laissait la nappe nue.​

Pour elle, c'était du pain sec
Et parfois une goutte d'eau:
Du melon et de la pastèque
Ne restait jamais que la peau ;
Les choux étaient tous chouravés,
De navets, on n'en avait plus,
La mâche était toujours mâchée,
Les poireaux déjà dispoirus –​

C'était vraiment insupportable.
Thérèse ourdit donc un complot:
Le croisant à nouveau à table,
Elle lui dit, " Monsieur, allô –
Est-c' que cela vous tenterait,
Un pari sportif, vous et moi ?
Le lièvre qui refuserait
N'a jamais existé, je crois. "​

" Je dois confesser que je fais
Le tiercé, deux-trois fois par mois, "
Répondit-il, " Et il serait,
Ce pari, à propos de quoi ? "
" J'ai l'idée, " dit-elle, " De faire
Entre nous deux, la course – alors,
Il doit payer, celui qui perd,
Un forfait au gagnant – d'accord ? "​

" Mais vous hallucinez, Madame ! "
Dit Ludovic, "Vous le savez –
J'irais d'ici à Amsterdam
Le temps que vous vous maquillez !
Vous avez bu trop de genièvre
Ou bien de la liqueur d'érable, "
Lui dit-il, " Car en fait, un lièvre
Aux courses n'est pas dépassable. "​

" J'admets, vous courez vit', " dit-elle,
" Je gagnerai pourtant la lutte –
Et en passant, je vous rappelle
Que l'orgueil précède la chute. "
Le Lièvre faillit avaler
De travers, grignotant des pois –
" Chiche que je le fais, l'aller-
Retour – vous serez après moi !​

– Et le forfait ? " Madame T,
Sortant un contrat de sa bourse
(Qu'elle avait déjà apprêté)
Se mit à réciter : “ La Course,
Et Réglementations d'Icelle :
Je soussigné ici déclare
(Le cas échéant de ma perte)
Que j'irai plus jamais dans l'are
Ni goinfrerai ses douceurs vertes –
A signer – T.T., puis L.L.
"​

Ludovic, sûr de son affaire,
Ne réfléchit qu'un instant, puis
Répondit, " Tout cela m'a l'air
Tout à fait équitable, " et mit
Sa signature. En le quittant,
Thérèse pensait, " Toi, tu vas
Manger ailleurs, dorénavant,
Mais ça ne me concerne pas. "​

Elle s'en fut à l'atelier
De Monsieur Rat, nommé Régis –
Comme de coutume occupé
À caresser son tournevis.
Il était partout reconnu
Comme ingénieur de gros talents,
Et augmentait son revenu
En escroquant tous ses clients.​

" Bonjour, vieux Rat, " dit la Tortue,
Le fixant de ses yeux de grotte,
" Je viens vous parler de laitues
– Ou bien plutôt d'une carotte
Qu'on peut tirer ensemble, vous
Et moi, de façon très discrète,
Car je me trouve dans les choux –
On m'a piqué mes belles bettes ! "​

Régis, posant son outil, dit,
" J'avoue que moi, je n'y vois goutte –
Mais si vous avez des radis,
Nous trouverons la bonne route ;
Donc, recommencez, je vous prie,
Votre histoire, plus calmement,
Sans tant de légumes, sans fruits,
Et sans la Belle au Bois Dormant. "​

Thérèse, reprenant haleine,
Lui expliqua toute l'affaire ;
" Je crois voir où cela nous mène, "
Dit Régis, " Et que là-derrière
Gît quelque chose de véreux.
Pour tout potage, dans la bouche,
Je crois flairer, entre nous deux,
Une odeur tant soit peu de louche –​

Car on voit bien, ma bonne poire,
Que si la course était égale,
Vous n'auriez ni le moindre espoir
De gagner contre ce rival. "
" Ecoutez seul'ment mon idée ! "
Dit la Tortue, " Et dites-moi
Après, ce que vous en pensez,
Et si on peut y prêter foi :​

Je veux que vous me fournissiez
Une petite auto de classe,
Et qu'ensuite, vous la vissiez
En secret, sous ma carapace,
De sorte que nul ne saura –
Et surtout pas ce Ludovic –
Que j'ai un moteur – Monsieur Rat,
La ruse doit être hermétique ! "​

Régis demeura ébahi,
S'écriant, " Madame, à votre âge,
Je ne vous aurais pas prédit
Autant de lumière à l'étage !
Ce sera fait dès aujourd'hui,
La livraison demain matin
(Du moment, bien sûr, que le prix
En tout point à tous deux convient). "​

Leur marché une fois conclu,
Thérèse paya en liquide
(Régis de dire, " Ainsi c'est plus
Commode, et nett'ment plus rapide,
Sans y mêler le gouvern'ment ").
Il attendit un instant, qu'elle
S'éloignât, puis, téléphonant,
Dit, " Ludovic ! – j'ai des nouvelles​

Qui t'intéresseront, je crois,
Au sujet d'un petit complot
Que l'on a tramé contre toi;
Veux-tu en entendre deux mots ?
Je dois d'avance t'avertir:
Ce service est payant, tu sais –
Pour savoir ce que j'ai à dire,
Il faudra compenser mes frais. "​

Le Lièvre cria, " Dis-le-moi !
Tu sais que je ferais pareil
Sans hésiter du tout, pour toi,
Et sans demander que tu paies ! "
Mais vite répliqua le Rat,
" Tu sais, ça me fait de la peine,
Mon ami, mais je ne peux pas –
Donc au revoir, à la prochaine ! "​

" Attends, attends ! " dit Ludovic,
" Je paierai, je paierai ! "
– Ainsi le Rat gagna du fric
Pour tromper, puis pour raconter.
Quand il eut entendu l'histoire,
Le Lièvre cria, " C'est infâme !
Pour une tricherie si noire,
Il faut disqualifier la dame ! "​

Régis répondit, " Je regrette,
Mais votre contrat n'exclut point
L'usage d'adaptations faites
Pour aller plus vite, ou plus loin. "
" J'ai donc mon compte !" s'écria
Le Lièvre, " Je suis bien flambé ! "
" Pourtant, peut-être, " dit le Rat,
" Qu'il y a moyen d'enjamber​

L'obstacle – à condition seul'ment
Que tu acceptes de fournir
Un ajout à ton abonn'ment...
Ainsi, je pourrais garantir
Que, malgré la vélocité
Nouvelle d'ici ta rivale,
Tu garderais ta primauté –
Cela te paraît bien, ou mal ? "​

" Combien ? " demanda-t-il, " Combien ? "
Un instant réfléchit le Rat,
Puis, " En effet, ce n'est qu'un rien –
Disons, le prix de dix repas. "
En fait, le règlement rendit
Tout à fait dénuée la bourse
Du Lièvre ; puis l'on attendit,
Le lendemain matin, la course.​

Dès l'aube, on voyait des badauds
Qui fourmillaient sur le chemin
Depuis le départ (château d'eau)
Jusqu'à la fin, près du moulin –
Tous venus assister à cet
Évén-e-ment de la saison –
Les Musaraignes, les Belettes,
Les Campagnols, les Hérissons,​

Vêtus de leurs meilleurs habits,
Ils pique-niquaient en attendant –
Sans oublier le Rat qui, lui,
Attendait aussi son moment,
Muni d'un petit sac de clous
Qu'il déversa sur la chaussée –
Puis trouva dans la haie un trou
Qui convenait pour se cacher.​

Un vieux Renard, qui gérait tout,
Cria aux deux compétiteurs,
" À vos marques ! Préparez-vous ! "
Et, entouré de spectateurs
Devenus enfin silencieux,
Prit de sa poche un pistolet,
Puis, visant le soleil, fit feu,
Pour dire aux deux rivaux, " Partez ! "​

Le Lièvre, lui, prit le devant
Au début, mais fut rattrapé –
N'ayant pas de moteur dedans,
Il demeurait handicapé.
Lorsqu'elle freinait, la Tortue
Poussait des bruits perçants des fesses,
Et de la fumée de son cul
Quand elle changeait de vitesse ;​

En effet, c'était un spectacle,
Un happening exceptionnel,
Un phénomène, un gros miracle –
" Je vais gagner ! " s'écria-t-elle;
" Eh non ! " répliqua Ludovic,
" Le Rat l'empêchera pour moi ! "
– Sur quoi, en fait, les pneumatiques
Crevèrent, les quatre à la fois.​

La Tortue était donc contrainte
De s'arrêter, n'en pouvant plus.
Le Lièvre, lui, noyait ses plaintes
En criant, " Je prends le dessus ! "
Mais ce disant, il oubliait
Les clous qu'avait semés le Rat –
Quoiqu'à l'instant qu'il la doublait,
Bien vite il se les rappela...​

Ses patt's étaient piquées partout,
Donc lui aussi dut s'arrêter.
Tous deux en panne avec les clous,
C'était match nul, égalité ;
Et entretemps, ce Rat diable
Rentra pour compter son argent –
Après sa journée profitable,
Il en avait bien plus qu'avant.​

Je te conseille donc, l'enfant :
Que cette triste histoire sert
De leçon – dis à tes parents
(Qu'ils soient reptil's ou mammifères)
Qu'en fin de compte, tu préfères
Qu'ils ne se trouv'nt en pareil cas
Avec notre ami, Monsieur Rat ;
Dis à ton père et à ta mère,
Qu'ils évitent les rats d'affaires.
Dis-leur dix fois, puis réitère –
Dis-leur, d'un ton des plus sévères,
" Les gains seront imaginaires –
C'est eux qui gagnent, toi qui perds. "
Je n'ai plus rien à dire, là.​
 
Dernière édition:
#3
Bonsoir Yvains,

La vue du château d'eau, m'a rappelé des souvenirs
Même La Fontaine, aurait savouré la morale

Tendre soirée

Paule
 

Yvains

Maître Poète
#4
Bonsoir Paule

Je suis profondément touché que tu te sois donné la peine de faire ce commentaire. Je ne suis pas capable, comme d'autres, de produire une demi-douzaine de poèmes par jour (c'est plutôt un poème par mois, puisque chacun me coûte des centaines d'heures) - je suis donc d'autant plus reconnaissant quand un d'entr'eux fait réagir quelqu'un! :)

Merci beaucoup, et je te souhaite une excellente soirée!

Amicalement

Jerry