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Le début de mon livre ! En quatre-quarts ! Version définitive

#1
Premier quart

Une héroïne de la résistance, ma maman.

12 mai 1944 elle sauve deux enfants de la rafle SS à Figeac.


Hommage à une femme au courage et au dévouement exceptionnels, ma mère et à travers elle, à toutes les malheureuses victimes de la terrible rafle du 12 mai 1944 à Figeac. Ils ont quitté notre ville le cœur lacéré par la douleur, laissant derrière eux une partie de leur famille. La plupart de ces braves gens innocents ne reviendront jamais des camps de la mort ! J’ai déjà eu l’occasion de vous parler d’une personne exceptionnelle, mais je tenais à vous la présenter dans un hommage poignant, celui qui est animé par le cœur d’un fils à la reconnaissance éternelle. Vous savez à quel point un enfant peut éprouver de la fierté quand il parle de celle qui est à l’origine de sa vie.

Nous savons tous que ce lien est indéfectible. Au-delà de sa propre existence elle restera le symbole de notre vie, celui qui nous obligera à une montée de larmes chaque fois que nous penserons à elle. Son mérite a toujours été grand n’est-ce pas ? Il a débuté lors de sa souffrance lorsqu’elle nous a mis au monde, cette délivrance amoureuse à elle seule doit nous combler d’admiration. Ont suivi les nuits d’insomnie de cette merveilleuse femme sensible à tous nos gestes et maux nocturnes, tous ses sens étaient alors en éveil, et cela à l’heure où le silence enveloppe de son aile duveteuse naturellement la nuit.

Ma maman était comme la vôtre sûrement, à un point que l’on peut se demander si l’on n’a pas tous eu la même ! Des biberons aux changes, du lavage du linge, aux succulents gâteaux, en passant par l’attente obligée au pied du portail à la sortie des écoles elle a toujours été présente ! Une patience infinie habite nos mamans d’une abnégation surprenante. Les mères naviguent dans un univers qui peut à nos yeux paraître étrange, voire surprenant. On peut à tout instant se poser une question : mais comment font-elles pour arriver à gérer des journées aussi prenantes, pour ne pas dire surprenantes ? Épuisées elles le sont très certainement , mais elles n’en laissent rien paraître ; de l’aube au crépuscule, elles restent identiques à leur image pour notre plus grand bonheur ! Par amour, elles se vouent avec toute la force de leur tendresse à leur mission sur terre, elles sont là pour nous donner l’exemple, en chef de famille elles s’imposent. N’en déplaise aux pères, les reines de la maison sont bien nos mères !

La mienne a été grandiose dans une destinée rendue très pénible. Née en 1919 juste après la terrible guerre de 14-18 elle a eu à souffrir de l’après-guerre où la vie reprend péniblement son souffle, où tout a un air de misère. Comme les malheurs succèdent aux malheurs sur notre étrange planète, une deuxième folie secoua l’humanité à peine vingt ans plus tard ! Quelle ironie du sort pousse à souffler sur des bougies le jour de ses vingt ans, alors que le monde s’embrase à nouveau pour six ans. C’est durant cette période que l’infirmière de la Croix-Rouge Simone, de l’hôpital de Figeac, allait devenir un des phares de notre région en faisant preuve d’un grand dévouement doublé d’un courage exceptionnel ! Elle aurait refusé toute distinction, on ne lui en a jamais proposé une ! Dans la région de Figeac la résistance féminine était bien présente, croyez-moi, en ce tragique jour du 12 mai 1944. Cette date est profondément ancrée dans ma mémoire, comme dans celle de tous les habitants de mon pays !

Ma mère, depuis une fenêtre de l’hôpital, assistait impuissante au rassemblement des futurs déportés, vous savez, ces braves innocents que les SS de la Das Reich appelaient "les Terroristes !" pour justifier leur mission sordide ! C’est à cet instant précis qu’elle a reconnu deux enfants âgés de dix-huit ans. N’écoutant que son courage, dans un élan qu’elle-même a toujours eu du mal à expliquer, elle a quitté son poste pour voler à leur secours. Dans la cour de l’école où les malheureux avaient été conduits mains sur la tête, elle a désigné les deux collégiens en s’adressant à un soldat de la division SS, et lui a dit : «ces deux enfants n’ont pas à être là, ils n’ont pas seize ans». La réponse du militaire a été immédiate, il lui a asséné deux coups de crosse en pleine poitrine. Un officier a entendu ses cris de douleur, il s’est approché d’elle et dans un français parfait lui a posé cette question : « Que voulez-vous ?» Elle lui a simplement répété qu’elle connaissait bien ces jeunes écoliers, qu’ils étaient en classe de troisième et qu’ils n’avaient absolument pas à être dans cette cour. L’officier ordonna sur-le-champ sans autres explication qu’on les libère. L’a t-il fait pour bien montrer à ses hommes qu’il s’imposait en chef ? Ma mère était coiffée de sa toque aux couleurs de la Croix-Rouge, ce qui peut-être a joué un rôle déterminant dans l’ordre du gradé.

Toutefois, il aurait demandé une vérification d’ identité, il y a fort à penser que la sanction pour mensonge lui aurait été fatale ! Une balle dans la tête l’attendait !...Cette division n’avait pas pour habitude de faire dans le sentiment ! L’histoire nous l’apprend !...Les 99 pendus de la ville de Tulle, et la tragédie d’Oradour-sur-Glane qui a suivi, en sont l'horrible et sanglante preuve ! Alors, je sais bien que j’ai pour habitude de raconter ce fait élogieux mais peut-on me reprocher d’être fier de ma mère, elle qui à plusieurs reprises s’est exposée aux balles SS pendant cet horrible conflit ? Il lui en a fallu aussi du sang-froid, le jour où, alors qu’elle se rendait à son travail à l’hôpital depuis sa maison à Bagnac, elle entendit au loin mûrir des tirs soutenus ! Il s’agissait de la division du colonel De Wilde, célèbre pour ses exactions en Russie.Au vert à Montauban elle s’était spécialisée dans la recherche et l’extermination des maquisards. Leur emblème était une faux mise en évidence à l’avant de leurs terribles engins de guerre !

Ce corps d’élite allemand fut à l’origine de la tuerie de Gelles bien connue des habitants du pays. Ils avançaient vers elle et tiraient sans distinction sur toutes les personnes qui essayaient de fuir ! Imaginez un peu un défilé d’engins blindés ennemis de plus d’un kilomètre venant à votre rencontre! Elle aurait sûrement eu le temps de se cacher, eh bien non, droite sur son vélo elle croisa cette immense colonne ! Les guerriers SS surpris par son audace, la saluèrent bras tendus en la gratifiant de larges sourires. Elle était pourtant apeurée, m’a-t’elle raconté attendant à tout moment le coup de feu qui lui aurait été fatal ! Il en faut croyez-moi du cran pour résister à la peur, pour oser ne pas fuir ! Évidemment on peut tous ici être fiers de nos mères. Si j’ai pris la plume pour glorifier la mienne, c’est aussi pour vous dire qu’elle est partie comme elle a toujours vécue, modeste dans ses pantoufles fourrées souvent trouées, sans avoir jamais rien demandé pour elle, en ayant pour seule pensée le bien des autres.

Quand je vois des sportifs aujourd’hui recevoir des mains du Président de la République la légion d’honneur, je me dis que toutes nos mamans mériteraient pour leur courage et leur sacrifice journalier d’arborer fièrement cette reconnaissance de la nation. D’ailleurs je ne peux pas en croiser une, sans avoir cette pensée admirative en tête ! La patrie a reconnu l’engagement sans limite de quelques unes d’entre-elles, malheureusement, elles sont légion celles qui n’ont pas eu droit à ce vibrant hommage, mais peu importe, elles sont restées ainsi fidèles à l’image de femmes brillantes dans l’ombre des hommes.






Hommage à mon père et à travers lui à tous les résistants de France


Comme je l’ai fait pour ma mère, je tiens également à rendre hommage à mon père.
Le devoir de mémoire est, il me semble, aujourd’hui encore plus qu’hier, une exigence.
Et il me paraît important de rappeler que, si nous vivons en paix, c’est en grande partie grâce à des hommes qui n’ont pas hésité à défendre leur Patrie sans qu’on leur en ait intimé l’ordre. Ils l’ont fait avec une grosse dose de courage doublée d’une abnégation sans limites. Raymond était son prénom et son nom de code de résistant.

C’est dès la fin de l’année 1942 qu’il rejoint les rangs d’un petit groupe de maquisards dans la région de Latronquière, plus précisément à Terrou, village brûlé par les Allemands. Il devient "Chef de Roulage" en d’autres termes il est responsable du ravitaillement indispensable au maquis, vous vous en doutez. Il participe, à Capdenac-Gare, au sabotage du dépôt de la gare et des machines à vapeur, afin d’empêcher l’ennemi d’utiliser ces matériels à des fins militaires à l’approche du débarquement en Normandie.Il fallait beaucoup de courage à ces jeunes, certains n’étaient âgés que de 18 ans pour mener ce combat journalier contre l’envahisseur. En effet, on doit se souvenir, comme l’a fait fort justement l’association des réfractaires et maquisards de France qui lui décerna la médaille de la Résistance que Raymond, je cite, « a risqué les sanctions les plus graves : amandes, emprisonnement, peine de mort, pour avoir aidé, ravitaillé, hébergé des réfractaires au STO ou personnes recherchées » Participer à un combat et être fait prisonnier n’avait d’autres issue que d’être fusillé sur le champ. "Les terroristes" comme les appelaient les SS , n’avaient aucune chance d’échapper à la mort! Les nombreuses stèles qui fleurissent notre région sont là pour rappeler au passant que des enfants courageux sont tombés sous les balles de l’armée allemande.

Mon père était un ami de René Andrieu, connu dans notre région pour son rôle de responsable dans la Résistance Lotoise, et plus tard, comme Directeur du journal l’humanité.
Ils avaient pour habitude de se retrouver chaque année autour d’un bon repas, ils se remémoraient à cette occasion les moments glorieux et parfois tragiques de ces temps tourmentés. Peut-être que certaines personnes penseront qu’il est ringard de rappeler ces faits. Je suis de ceux qui pensent le contraire, au moment où dans certains milieux on remet en cause l’histoire et où la guerre rugit à nouveau à nos portes !

Les jeunes générations doivent saisir que des hommes humbles ont défendu le territoire pour une cause juste et la liberté de tous. Mon père fut de ceux là ! Et il mérite bien ces quelques lignes ! Non ? En conclusion à ces louanges, j’ajouterai que je suis fier de lui, il m’a appris à respecter les gens. Il percevait le vieux fusil de la maison comme une arme salvatrice résolument tournée vers l’autodéfense. Ce n’est sûrement pas pour rien qu’il se plaisait à me répéter : « Tu vois, Maurice, c’est grâce à cette arme que j’ai pu partir dans un premier temps combattre l’envahisseur en 1943 ; il te faut la voir comme une amie, elle est très importante à mes yeux, elle doit l’être aux tiens ! Elle te permettra peut-être un jour, comme je l’ai fait, d’aider à repousser des tyrans assoiffés de sang et d’orgueil hors de nos frontières » Ne dit-on pas justement que l’histoire a la fâcheuse habitude de se répéter ? Face aux paroles du sage, j’étais très attentif ! Elles m’ont permis rappelez-vous, de sauver ma grand-mère maternelle d’un assaut nocturne malveillant ! Que la paix élève son esprit et le votre vers les justes causes!

Merci, cher papa !










Le début de ma vie, au bord du Lot au port de la Madeleine.

Je vais essayer de vous brosser en quelques lignes un tableau de ce que fut mon début de vie au port de la Madeleine en bordure du Lot dans les années cinquante et cela, même si vous n’en avez rien à faire ! Cela n’a rien avoir avec la Madeleine de Proust pour vous aiguiller ainsi nous gagnerons du temps ! Pour ceux qui par hasard ne me lisent pas et qui tombent sur ces lignes, guidés par je ne sais quel instinct je vais vous résumer l’histoire de ce lieu qui comme l’écriture qu’enfante mon crayon ne paie pas de mine, mais qui par magie sait dévoiler son âme à celui qui tente de s’y intéresser. Le port fluvial a en effet été le témoin privilégié de nombreux passages depuis l’Antiquité. Des Romains au temps de la Guerre des Gaules jusqu’à moi l’eau pourrait nous chanter tout ce que son miroir a pu absorber puis refléter pendant ces longs siècles. C’est pour vous éviter une démarche compliquée vers cet élément limpide qui n’aura pas forcément envie de vous livrer ses secrets, que je vais en bon riverain qui se respecte vous rapporter ces mots.
La voie romaine débouchait au pied du débarcadère, ce fut donc un passage obligé pour tous les illustres personnages qui voyageaient, et contrairement à ce que l’on pense nos aïeux passaient beaucoup de temps sur les chemins caillouteux de France et de Navarre.

Cela me conduit inévitablement à commencer par le premier que relate les livres d’histoire en pays d’Olt. Je veux parler du célèbre et futur Henry IV roi de Navarre. Nous étions-vous n’allez pas me croire en période agitée et notre bon roi Henri ne traîna pas longtemps dans les parages. On raconte cependant qu’il s’arrêta un moment au passage pour se reposer et sûrement pour déguster une bonne poule au pot. Cette dernière précision, vous la devez à votre serviteur qui par moments, a un peu d’imagination. Puis, par ordre chronologique ce fut au tour de Louis XI qui avait entendu parler des fameux miracles de Rocamadour. L’histoire ne nous dit pas si, face à sa majesté la Vierge noire a exaucé ses demandes ce jour là. Pour les plus férus qui souhaitent approfondir ce pèlerinage royal, je donnerai des renseignements plus précis sur cette journée exceptionnelle.

Ce fut ensuite le tour de Louis XIII en compagnie de Richelieu. Les notables de la région s’en furent l’accueillir rapporte le responsable de la Dépêche du midi de l’époque, au port de la Madeleine. C’est là que les discours de bienvenue furent prononcés, il ne fallait pas froisser les clans, Religieux et bourgeois du pays étaient tous là vous vous en doutez ! L’un d’entre-eux, un nommé Paillasse, remarqua que Richelieu lorgnait longuement en direction de la place forte d’Uxellodunum. Dès lors, la décision de désarmer la place fut prise ! Les pauvres habitants de Capdenac-le-Haut ont dû obstruer la fontaine de Jules César. Une brave centenaire, au début des années soixante, nous disait : "Le Roi a dormi chez vous". Même si je n’ai pu malgré mes recherches confirmer ses dires, il plane quand même une certaine certitude à ce sujet. Son départ du port fut un triomphe une double haie d’honneur jusqu’à Figeac était présente, avec des «Vives le Roi retentissants qui gravèrent de leur empreinte les roches les plus dures du Quercy.
Mais je m’égare. Revenons au vingtième siècle au début des années cinquante retrouver le port à peu près tél que comme nous le connaissons aujourd’hui.

Je suis le quatrième enfant de la famille un robuste. Nous sommes en 1958 j’ai six ans, je vis avec mes pauvres parents et mes trois frères dans une annexe de la bâtisse principale datant du 15 août 1668, sobre. Il s’agit de l’ancienne écurie du relais des diligences, elle a été transformée sommairement et composée de deux chambres et d’une cuisine. Nous dormons à quatre dans le même lit ! Eh oui, il faut savoir partager savamment l’étroitesse du lieu et ma foi en période hivernale une agréable chaleur humaine est toujours appréciable! Nous disposons, pour vous dire que nous ne sommes quand même pas en situation de pauvreté extrême du chauffage central, il s’agit d’un vieux poêle à bois placé au centre de la maison! L’eau abondante nous allons la chercher au puits dans un seau de dix litres, je me souviens de sa chaîne qui se déroulait rapidement durant sa descente, la remontée à la manivelle était beaucoup plus laborieuse ! Dix litres du précieux liquide à tout faire qui au bout de mes minces phalanges déséquilibraient l’ensemble de mon corps surtout quand au dernier instant, il fallait hisser l’ensemble hors de la cavité sombre à l’écho lugubre.

Bien plus tard, vers la fin des années soixante nous nous sommes raccordés au réseau communal pour faire comme tout le monde, bien plus pratique. Ce grand pas vers la modernité nous a conduits inévitablement vers l’eau paiera ! Les commodités se trouvaient au coin de la basse-cour. près de la fosse à purin derrière la grange. Une porte en bois ajourée nous protégeait des regards indiscrets, quelques pages de vieux journaux bien pratiques étaient accrochés là en permanence, elles nous permettaient d’avoir accès aux anciennes nouvelles. En période hivernale le froid saisissait mes tendres fesses ; l’été, une multitude de mouches voletaient autour du trou béant aux effluves très caractéristiques, et parfois l’une d’entre elles s’aventurait au point d’explorer ma plus tendre intimité en me chatouillant ! À portée de main se trouvait le gros bâton à fureter. J’adorais engager cet objet sanitaire dans le cavité qui au bout d’un moment se retrouvait obstruée par les excréments mélangés au feuilles lettrées en décomposition. J’enfonçais alors, à plusieurs reprises, le gros manche dans des ploufs et des plafs irrésistibles ! Comme par miracle le magma allait se loger dans l’abysse à lisier, libérant pour un long moment l’endroit béni dédié au grand soulagement.

Ma mère en grande courageuse, n’hésitait pas à braver toutes les conditions climatiques : une fois par semaine, munie de sa planche en bois inclinée, elle l’avait le linge et, et grâce à un bloc de savon de Marseille, nantie de gestes ancestraux calculés, savonnait puis frottait nos précieux vêtements les frappait en cadence pour enfin les rincer avant des les essorer. Une brouette en bois bien pratique attendait patiemment le précieux chargement. Suis-je l’inventeur de la multi-traction ?
La remontée n’était pas des plus aisées, même si avec le temps une trace indiquait la voie à suivre absolument. Je me souviens de l’avoir aidée,en me mettant derrière elle, et en la poussant avec toute la force de ma faiblesse !

Ma grand mère paternelle habitait la maison de maître attenante à la notre c’était la patronne des lieux, elle savait nous le faire comprendre, elle était cependant gentille avec nous tout en jonglant avec son caractère étrangement espiègle. Une grande cheminée trônait à ses pieds deux tisons de bois qui se touchaient à peine lui permettaient de se chauffer, une grande marmite contenant de la soupe était continuellement accrochée sur l’âtre flamboyant!...et elle jetait de temps en temps à l’intérieur de cette réserve parfumée tout ce qui lui tombait sous la main ! C’était une rude à cuire, comme on n’en voit plus, ou peu de nos jours. Elle passa le terrible mois de février 1958 où les températures oscillèrent entre moins quinze et moins vingt -six degrés toute la lune, la porte de sa cuisine s’ouvrait sur une très grande pièce au sol cimenté récemment victime de la modernité ambiante du moment. Elle avait trouvé ce moyen ingénieux pour éviter que la fumée n’ envahisse la pièce. La nuit venue elle montait à l’étage où elle avait sa chambre, munie d’un galet de la rivière qui s’était réchauffé lentement sous la rare cendre, en effet pour éviter la surconsommation de bois en dehors de la cuisson. Elle avait une technique infaillible ! L’astuce tenait dans l’ art de positionner les bûches qui tête à tête se touchaient à peine ! Mais elle aussi fut victime du progrès qui commençait à germer dans nos campagnes, avec l’arrivée du gaz au début des années soixante. Elle me lança :"tu vois comme c’est pratique le gaz, Maurice, une allumette et hop, c’est de suite chaud, et surtout la nourriture n’a plus goût à fumée !". Je me souviens de l’avoir souvent entendue dire en patois : « ce soir j’ai trois plats au dîner, la soupe, chabrot et au lit ». Elle était néanmoins une grande cuisinière elle avait à son actif plusieurs années de restaurant, une toute petite affaire à l’entrée du pont nommée aujourd’hui Belle Rive.,Eh oui, il faut souvent, vous le savez commencer avec peu de moyens.
Mon grand-père était pêcheur d’eau douce professionnel, il louait une concession entre les deux chaussées du Lot construites pour le rendre navigable. Il allait vendre sa pêche à Figeac, où les restaurateurs lui faisaient bon accueil !…Perches, tanches, cabots, anguilles, carpes, gardons, et autres remplissaient sa charrette. Marceline au restaurant les préparait et elle roulait souvent ses clients dans la farine comme les poissons qu’elle leur servait ! Le client se faisait souvent rouler dans la farine par cet espiègle personnage ! " Elle est excellente votre truite madame !" En réalité il dégustait sans le savoir un bon cabot fraîchement pêché ! C’était la maîtresse de la basse cour, elle seule s’arrogeait le droit de gérer la volaille de la ferme ! Elle nous conviait à un bon repas à condition qu’on lui capture l’animal désigné par son doigt. Inutile de vous dire que la bête n’avait aucune possibilité de nous échapper, le ventre creux favorise l’agilité ! La volaille aussitôt attrapée, elle la saignait en nous demandant de la tenir par les pattes, et on voyait la victime se vider de son sang dans une lente agonie. Sang, qui était récupéré dans une assiette creuse où un savant mélange de persil et d’ail entre-autres allait permettre de concocter une excellente sanguette dont elle avait le secret ! L’eau bouillante était déjà prête elle plongeait alors la défunte bestiole à l’intérieur du récipient fumant et commençait à la plumer. Une petite demi-heure après s’épanouissaient des parfums aux effluves divines, à faire frissonner les narines les plus délicates, et qui exaltaient mes sens conquis pour toujours ! Savait-elle lire ?…De toute évidence, pour moi elle faisait semblant ! Elle marmonnait en remuant la tête de droite à gauche, sans jamais prendre le journal à l’envers. Cependant , il y avait déjà quelques images ! Née, en 1888, je suppose qu’elle n’était pas allée à l’école. Les enfants des fermes et les filles en particulier avaient des occupations bien plus importantes aux yeux de leurs parents car le travail autour de la ferme primait avant tout, ce n’était pas le moment de s’asseoir sur un banc face à un tableau noir ! Cela ne l’empêchait pas d’avoir l’intelligence vive, elle se moquait ouvertement de ma grand-mère maternelle en l’imitant dans sa gestuelle, et sa répartie était très aiguisée. Le frère de mon père professeur fut le meilleur élève du lycée Champollion. Les parents de ma mère logeaient dans la maison du mendiant. Inutile de vous dire que le confort était cruellement absent. Leurs toilettes se trouvaient au-dessus de la rivière, une construction digne d’un poilu de la première guerre. Ils nourrissaient ainsi la faune et la flore environnantes ! Mais peu importait, ils étaient près de leur fille, la misère les avait accompagnés toute leur triste vie. On s’habitue à tout, n’est-ce pas ? Mon grand-père légionnaire nous racontait ce que fut pour lui et ses camarades le calvaire de la guerre 14 18. Nous avions d’ailleurs souvent droit aux mêmes épisodes, mais qu’importe nous buvions ses paroles, et à six ans les horreurs qui succèdent aux horreurs se ressemblent toutes.

La pauvreté nous entourait, il faut bien le reconnaître cependant on ne pouvait pas dire que l’on était parmi les plus malheureux du pays. De temps en temps les journaliers passaient nous voir, et pour un maigre repas ou un morceau de pain nous aidaient au travail de la ferme toute la journée. Ma mère avait le cœur sur la main, un jour elle a préparé une couche de fortune mais confortable pour Carnus le miséreux qui dormait habituellement sur une paillasse. Il avait deux phrases fétiches dites en patois:
Aquò rai çò qui mingi tot que hèi vente.
« Peu importe ce que l’on mange!....Tout fait pour ventre ! ».
Que mingi quan n'i a, quan n'i a pas be me'n passi !
Ou, « je mange quand il y en a, quand il n’y en a pas je m’en passe ! ».
Pour moi ces deux phrases m’ont aidé à avancer dans mon existence chaotique.
Le lendemain ma mère lui demande : « vous avez bien dormi Carnus ?».
Traduit du patois…« Com un président ! ».
« Comme un président !».









Quand résonne le son de la cloche à l’école primaire de Capdenac Gare années : 1958…1959…1960.

Ding…dingue…donc !

L’enfant aux deux ombres

Dieu, qu’il me semble lourd le son de la cloche qui résonne sous le ciel pâle de septembre. Je l’ai entendu à trois reprises dans la cour de l’école primaire de Capdenac Gare!
J’allais enfin découvrir la grande école, après une maternelle cousue main d’époque, dans le petit village du Mas de Noyer où j’ai appris à pétrir la pâte à modeler un couple d’années, sous l’ œil noir et glacial d’une institutrice qui déjà reconnaissait en moi très certainement un don d’artiste sculpteur, et qui me laissait réaliser des œuvres en long, en large et parfois même en travers tout en me gratifiant d’une paix royale.

Après ce brillant passage à la maternelle j’allais enfin fièrement commencer mes vraies études dans une grande école accompagné de mon fidèle frère à peine plus âgé que moi.
Immédiatement assis à ses côtés j’ai compris que le fond de la classe m’était assigné! Quelle délicate attention ! peu importe je disposais d’une bonne vue et j’étais déjà un grand garçon pour mon âge, les trente petites têtes assises devant moi n’allaient en aucun cas éclipser le tableau noir !
Mon aîné ne paraissait pas très éveillé pour son âge, la maîtresse en s’approchant de moi, m’a dit d’une voix sèche : « toi, Maurice, tu t’occuperas de Didier !…» Tiens, me voilà déjà investi d’une responsabilité, ici au moins on me fait confiance! J’allais vite déchanter. Dans cet environnement public, je devenais sans le savoir un auxiliaire de vie scolaire, non rémunéré bien entendu. L’enfant aux deux ombres entrait déjà dans la vie active sans le vouloir et surtout sans le savoir! Ma tâche toutefois restait simple, il faut bien le reconnaître! Je devais simplement subvenir à la déficience mentale de Didier, dans tous les gestes de la vie quotidienne et surtout m’organiser pour ne déranger personne! La porte de la classe donnant sur la cour de récréation se trouvait à deux pas de moi, et on m'avait laissé carte blanche, je pouvais à tout moment quitter l’endroit pour accomplir mon travail, qui je dois le reconnaître ne me déplaisait pas. Il n’existe pas comme vous l’avez appris de sot métier. J’usais de ma faible intelligence pour agrémenter cette responsabilité dépourvue de lourdeur administrative!

Il m’avait semblé au tout début qu’après l’institutrice j’occupais le poste le plus important de la salle de classe. Les jours se succédaient dans une ambiance bonne enfant, je me désintéressais totalement des paroles de l’intellectuelle qui dans des élans non contrôlés je suppose, allait finir par me dire régulièrement : « Toi Maurice, tu resteras un âne, tu ressembles comme deux gouttes d’eau à ton frère ». Je n’avais pas pas l’impression que c’était l’image que me renvoyait le miroir! J’ai appris bien plus tard que le quadrupède aux grandes oreilles faisait partie des cinq animaux les plus intelligents sur terre, ce n’est pas par hasard qu’il refuse d’avancer quand on l’attelle à un carreton !

Mais revenons à l’état de santé de Didier qui empirait de mois en mois, ma deuxième âme devenait de plus en plus pesante. Il fallait que je sois le bouclier de ses humeurs changeantes avec la rapidité de l’éclair, je contenais ses réactions soudaines, je me tenais constamment près de lui pour protéger les enfants de ses crises de nerfs qui pouvaient prendre des proportions énormes ! S’ajoutait à cela la sempiternelle question de l’ensemble des écoliers : qu’est-ce qu’il a ton frère pourquoi il est comme ça ? Je les remercie indirectement aujourd’hui car peu à peu j’ai compris que nous étions finalement différents! J’essayais tant bien que mal de répondre à cette interrogation et mon imagination me permettait d’avoir une réponse un peu différente tous les jours.
Les cent cinquante élèves de la cour dans une ronde incessante avaient une soif insatiable ils voulaient comprendre ! Cependant, malgré cet étalage de phrases curatives j’ai vite réalisé qu’aucune ne pourrait satisfaire la curiosité de cette petite communauté en galoches et culottes courtes! Devenu un vrai saint-Bernard, mon dévouement était sans limite. Mes pauvres parents pris par le dur labeur de la petite ferme familiale ne se doutaient de rien, mes jours passaient ainsi cadencés par un monde aux fausses allures fraternelles. Lors du deuxième son de cloche, j’assistai pour la première fois à l’appel des élèves pour le passage en classe supérieure, Inutile de vous dire que je n’ai pas entendu mon nom résonner. Je devenais un redoublant, je méritais sûrement cette sentence car mème si inconsciemment mes grandes oreilles étaient attentives aux les paroles de la maîtresse rien ne voulait vraiment germer en moi ! À l’écrit je dois bien le reconnaître je ne faisais pas beaucoup d’efforts, mon travail comme vous l’avez compris restait désespérément ailleurs!

Me voilà donc de retour à la place qui m’était assignée, je retrouvais avec un certain plaisir le banc ciré par mes fesses l’année précédente, et près de moi une tête bien connue qui devenait naturellement plus lourde, par contre l’horizon se dégageait et je disposais désormais d’une vue imprenable sur le tableau noir! Mon occupation restait la même je la possédais par cœur, il me suffisait de subvenir à tous les gestes courants d’une seconde vie! Je me fixais pourtant l’objectif d’une bonne année scolaire. J’apprenais dans mon coin et tout me paraissait simple, la meneuse d’enfants pour autant ne me faisait pas de cadeau. Face à ses yeux vitreux je représentais toujours l’esclave et surtout le bourricot! Ainsi l’année passa-t-elle, rien ne me laissa entrevoir une quelconque amélioration j’étais voué à ce triste sort.

Peu importe, je devais avancer malgré les brimades et le poids de mon fardeau. Didier, malade mentalement et physiquement vomissait abondamment de la bile, face à cette nouvelle situation j’éprouvais une certaine honte vis-à-vis de mes petits camarades et je m’efforçais de leur cacher cette nouvelle catastrophe, j’essayais de tout anticiper je maîtrisais ma fonction de soignant parfaitement! Il rentrait parfois dans des colères monstres, se mordait le poignet, je le calmais aussi rapidement que je le pouvais, en ces temps reculés les neuroleptiques hélas n’existaient pas encore.
Le troisième son de cloche fut semblable au deuxième et aboutit la même sanction. Figé, je ne bougeais plus du rang, je triplais ainsi le cours préparatoire sans comprendre la décision qui avait été prise par la bande d’instituteurs qui arpentait la cour dans des allers retours incessants ! J’ai fini par posséder la teneur des cours sur le bout des doigts, j’aurais je vous l’avoue pu remplacer l’an-saignante psychorigide !….Ne cherchez pas, je n’ai pas fait de faute, mon for intérieur se révoltait et il était en droit de le faire n’est-ce pas? J’ai donc encore rejoint mon petit bureau qui devenait de plus en plus petit, boulet au pied! Maurice demeurait l’enfant nécessaire à Didier plus que jamais. On ne pouvait envisager de le scolariser sans moi, d’ailleurs dans un sursaut d’intelligence il avait dit : « Je ne veux pas aller à l’école sans Maurice ! ».

J’ouvre une petite parenthèse pour vous dire que je n’avais pas de devoirs à faire le soir en rentrant à la maison, je pouvais donc me concentrer sur un rôle qui m’était entièrement assigné.
Mon père dès que j’arrivais à la ferme après ma rude journée me disait d’aller détacher les vaches pour les garder, ce que je faisais avec plaisir, j’ai toujours adoré les animaux. Eh bien, savez-vous ce qu’il se passait ? Mon fidèle frère était à mes côtés pour m’aider ! Les cloches mènent au clocher des églises. Le jour béni de la communion solennelle le curé de Capdenac-le-Haut m’a dit clairement: «Maurice il faudra que tu parles deux fois plus fort que les autres communiants pour que le seigneur puisse entendre la voix de ton frère ! Bien plus tard il m’avouera avoir été en admiration devant ma petite personne à qui il reconnaissait un sacrifice sans limite. Il m’a confié ces mots ! « Toi, Maurice, tu rencontreras le Christ ! ». Depuis je me demande avec une grande anxiété ce que je vais bien pouvoir lui dire!

Mais ne nous égarons pas comme des brebis, et revenons aux deux cloches ou ânons de cette histoire. Cette troisième année au cours préparatoire la plus longue pour moi, je la dois sûrement en partie à une des rares phrases raisonnées de Didier, qui pouvait laisser penser qu’il allait peut-être refaire un jour surface. À la remarque « Tu as renversé l’encrier sur le bureau, ce n’est pas bien, vilain ! », il a répondu : « Ce n’est pas grave, on dira que c’est l’imbécile qui a fait ça ! ». Ma taille devenait à mes yeux très encombrante, je grandissais très vite, trop vite !…Je toisais facilement deux têtes de plus que les petits bonhommes assis devant moi, un sentiment de honte m’envahissait mais j’étais impuissant face à cette fatalité voulue par l’infâme mégère, qui continuait à me brider, que dis-je à m’enterrer dans un cynisme savamment orchestré! L’année harassante passa ainsi, je portais une croix de plus en plus blessante sur mes frêles épaules, j’étais confronté de plus en plus aux coups bas des enfants dans la cour je vivais en enfer.

Au quatrième son de cloche, je suis sorti enfin du rang pour connaître le cours élémentaire première année dans un soulagement total, mon frère allait à nouveau s’asseoir près de moi au fond de la classe, on ne change pas les habitudes qui fonctionnent aussi rapidement! L’instituteur m’est apparu comme un dangereux psychopathe, les coups de règle pleuvaient sur les petites têtes! Rien n’avait changé dans mon rôle je me rendais toujours à l’école le ventre serré, je refusais intérieurement ces conditions anormales, je ressentais de plus en plus la fatigue, je souhaitais mourir. Reconnu malade après une analyse sanguine, j’ai été hospitalisé au milieu de l’année scolaire. Chaque jour pendant plusieurs semaines dans une clinique j’ai tendu le bras pour des transfusions, je me suis remis lentement enfin seul et libéré d’un monde très cruel.

Puis est venu le temps de ma convalescence, mes parents ont enfin compris qu’ils devaient me protéger de mon frère. J’étais en train de reprendre goût à la vie quand une gentille assistante sociale de Capdenac a insisté auprès de ma mère pour me placer dans un centre héliomarin à Biarritz. Hélas, sans le savoir, j’allais à nouveau remettre mes pieds dans l’enfer des hommes ! Mais cela relève d’une autre aventure beaucoup plus dure et surtout effrayante !

















La guérite de mon enfance.

Mon père a exercé un temps le dur métier de garde-barrière qu’il jumelait avec le travail à la ferme. Je l’accompagnais souvent pour lui tenir compagnie et j’ai connu les passages à niveau de la voie ferrée entre la Madeleine et Cajarc. La nuit de ce récit nous avions posé notre sac à la barrière de Montbrun. Le métier n’était pas reposant, même si, à la fin des années cinquante les voitures ne roulaient pas pare-chocs contre pare-chocs dans ce secteur rocailleux de la vallée du Lot ! Munis d’une gamelle bien remplie pour l’occasion, réveillon oblige, on passait la nuit dans un minuscule abri très sobre, équipé d’un bureau, d’une chaise et d’un petit poêle à charbon qui n’avait aucun mal à réchauffer l’atmosphère et à la rendre rapidement très agréable. Il faut savoir que le froid dans nos régions prenait des allures disproportionnées à cette époque en paralysant une grande partie du pays. Lors du mois de février 1956 les températures ont oscillé entre moins seize et moins vingt huit degrés. Les plus anciens rapportent que ce phénomène exceptionnel a duré toute la lune du mois!
On vivait dans un monde où l’espace et le temps semblaient s’être définitivement figés.
Le froid glacial dans ce contexte favorisait le passage de quelques bêtes sauvages affamées qui venaient déranger parfois cette apparente quiétude. Ce fut le cas ce soir-là. S’est fait alors entendre un grand fracas de branches piétinées, de bambous éclatés qui me sortirent rapidement d’une courte mais agréable léthargie. Mon père toujours en éveil se précipita vers une cachette où se trouvait son vieux fusil pour tenter d’éliminer un de ces inconscients pachydermes ! Les hordes de sangliers de pures souches quercynoise ne manquaient pas dans ce secteur, au point que l’on aurait pu se demander si elles n’appartenaient pas à la compagnie des chemins de fer français ! A ma question :
« pourquoi veux-tu tuer ces animaux, papa ? » Il me répondit : « Ils risquent de faire dérailler un train, et cela va nous permettre de manger pendant un bon bout de temps ! ». Cependant ces phacochères gris qui se fondaient dans l’obscurité s’en sortirent sans une seule égratignure ! Les cartouches utilisées pour les empêcher de nuire étaient ce soir-là inappropriées à ce type de gibier! « Sans chevrotines je ne pouvais rien faire ! » Enfin, ce furent les paroles peu convaincantes du médaillé de la Résistance , qui souhaitait sortir la tête haute d’une situation pas très glorieuse pour lui vous en conviendrez avec moi !

Revenons à notre petite guérite et parlons du travail de nuit du veilleur. Le mot d’ordre pour ces noctambules était de ne jamais s’endormir ! L’exercice était presque surhumain et quelques-uns d’entre eux s’assoupissaient, m’a rapporté un ancien forçat du rail qui alimentait en permanence en boulets grisâtres les entrailles surchauffées des bêtes noires. Il n’avait m’a t’il dit, jamais constaté cet état de faiblesse chez mon géniteur! Ce détail m’est apparu important quand on connaît les conséquences dramatiques qu’une telle faiblesse peut occasionner ! Décidément, mon idole avait des capacités physiques exceptionnelles doublées d’un esprit professionnel exemplaire. Les horaires des trains de marchandises étaient inscrits sur un petit carnet, et les grands bras à manivelles n’étaient levés que lorsqu’un véhicule se présentait en klaxonnant. La nuit était donc relativement calme côté route en semaine, et à l’inverse les trains de marchandises tractant des wagons lourdement chargés d’anthracite se succédaient à un rythme infernal. Les plus imposants convois qui circulaient sur la ligne Translotoise étaient tirés par deux machines à vapeur 141 R ! La longueur des reptiles noirs faits de wagons au-dessus des méandres de la rivière pouvait atteindre 800 mètres pour un poids total roulant supérieur à deux mille deux cents tonnes.
Essayez de vous représenter la force de traction d’une de ces puissantes motrices d’une longueur de 25 mètres avec leur tender, d’un poids de 190 tonnes ! Elle développait une puissance de 2500 kilowatts et sa consommation énergétique moyenne au kilomètre était de 12 kg de charbon enfourné à la pelle par le chauffeur! Une cuve de 30000 litres d’eau fournissait la vapeur nécessaire à leur avancée! Ce gigantesque amas déboulait à 80 km à heure face à nous! Eh bien,vous aurez peut-être du mal à me croire mais mon père muni d’un énorme pétard qu’il fixait sur un rail, était en mesure de stopper cette course effrénée !

Il n’était pas rare en effet qu’un énorme bloc rocheux dans la traversée de Toirac à Cajarc dans un bruit de tonnerre, se détache de la falaise abrupte et vienne finir sa course au milieu des rails. Grâce à un système ingénieux par câbles reliant toutes les guérites, les veilleurs de nuit engagés dans une épreuve contre le temps se prévenaient et installaient ce dispositif d’arrêt avant que la rame ne se présente toute vapeur dehors. Parfois les essieux chauffaient au point de devenir rouge écarlate, le garde téléphonait alors au chef de gare de Cajarc ou de Capdenac pour signaler le grave problème. Cela permettait au passage au veilleur de nuit si vous me permettez l’expression, d’arrondir un peu ses fins de mois. Une prime était en effet versée par les chemins de fer français pour récompenser cet acte de conscience à la valeur hautement professionnelle. La nuit me paraissait interminable! Chaque arrivée d’un train dans un grondement assourdissant provoquait un tremblement de terre de magnitude huit à neuf qui me faisait craindre le pire, mon lit de fortune se trouvait à peine à trois mètres des voies. Heureusement l’événement cyclique était précédé par le bruit retentissant de l’énorme cloche au pied d’un support de la barrière. Ripette, le mécanicien à bord de la motrice, ajoutait à cette harmonieuse ambiance un long coup de sifflet strident à la sortie du tunnel. C’était sa façon à lui de faire savoir à son ami Raymond qu’il était cette nuit-là le chauffeur de la locomotive.

Je rends grâce à Morphée qui me permettait de me rendormir par moment sur le bureau qui faisait office de couche douillette. J’étais à nouveau lentement bercé par le calme qui revenait et qui contrastait avec le grincement sinistre de cette énorme masse de ferraille que rien ne semblait pouvoir arrêter. Je me souviens d’avoir aidé mon père à relever les immenses bras qui rendaient la route infranchissable. Ils étaient munis de manivelles qui me paraissaient tout simplement démesurées. Inutile de vous dire que j’étais fier de ce formidable exploit !

Ainsi pointait tranquillement le jour, je ne vous cache pas qu’il me tardait de rentrer à la maison pour retrouver enfin mon lit. J’avais quand même quelques heures de sommeil à rattraper ! Je me suis par contre toujours demandé par rapport à ce métier à la haute responsabilité, si le garde-barrière de Capdenac avait le même salaire que celui de la vallée de la Diège après la mine sur le chemin empierré qui mène à Lieucamp ? Le premier avait un travail considérable par rapport à l’affluence intense du rail et de la route en direction du centre ville. L’autre ne voyait passer qu’un tombereau tiré par des bœufs une fois dans un sens, une autre fois dans l’autre, les jours de grand trafic !


L’autorail de mon enfance.


Vous l’avez toutes et tous pris pour vous rendre à Cahors avec un changement obligatoire en gare de Capdenac! Des trains pas comme les autres, la ligne trans-Quercynoise. Le premier autorail que j’ai eu le «plaisir restreint» d’emprunter pour me rendre de la Madeleine à l’école primaire de Capdenac datait du secondaire. Il était pour l’époque très confortable, bien plus que celui d’antan à l’ensemble des wagons au sièges en bois tractés par une sacrée bête noire! On n’échappe pas au progrès qui conduit au modernisme ! Il s’arrêtait à toutes les gares entre Capdenac et Cahors, il prenait son temps. Le contrôleur à la voix rocailleuse des causses, portait des gants blancs et vous étiez en droit de ne pas lui présenter votre titre de transport si par un curieux hasard il ne les avait pas enfilés ! Par les grands froids d’hiver, comme celui de février 1956 où les températures durant tout le mois ont fait le yoyo entre moins 15 et moins 26 degrés, la chaleur fournie par le poêle à charbon à l’entrée des wagons et de l’autorail était appréciée par tous les voyageurs ! Il fallait beaucoup d’expérience et de doigté au conducteur de la petite rame dans les conditions climatiques extrêmes, pour s’arrêter face à la Gare ! En effet, le givre qui recouvrait les rails ne facilitait pas la manœuvre et s'en suivaient alors des glissades spectaculaires sur plus de trois cents mètres! L’été en revanche nous profitions des larges baies vitrées coulissantes pour nous rafraîchir et cheveux au vent, nous respirions à pleins poumons l’air aux effluves campagnardes gratuites et généreuses. Il était bien entendu recommandé de ne pas se pencher vers l’extérieur, à l’intérieur des frais tunnels aux parfums de cave enfumées indescriptibles. C’était donc un havre de paix paradisiaque en déplacement sur une des voies les plus pittoresques de notre belle région. Et comble du luxe ambiant les toilettes se présentaient sur leur plus belle face, avec un simple verrou coulissant qui garantissait l’intimité, et une vue imprenable sur les poutres qui défilaient à grande vitesse, l’ensemble harmonieusement cadencé à la manière d’un métronome par les intervalles de dilatation des rails. Le Lot aux majestueuses boucles et aux couleurs changeantes se montrait toujours généreux pour le plaisir de nos yeux. La nature apporte cet enchantement et est inimitable, de reliefs en reliefs de villages en villages pittoresques classés, le film était passionnant et à la portée de toutes les bourses, tout s’animait dans les champs les collines et dans les prés, c’était vachement beau! Déjà la publicité entrait dans les habitudes et sur un grand tableau, il était écrit sous une photo représentant un homme rustre un litron de vin au pur sang seigneurial à la main :
«Travailleurs, pour votre santé buvez au moins une bouteille de vin rouge tous les jours!».

Certains, en bons catholiques appliquaient cette recommandation à la lettre, et ne sachant pas très bien compter, dépassaient souvent la dose prescrite! Les voyageurs sobres s’en apercevaient au départ du train du soir. Il faut dire que l’euphorie pléthorique du peuple vers la médecine n’avait encore pas commencé! Il existait trois classes, histoire de ne pas mélanger la vraie pauvreté à un semblant de de richesse. Les sièges en bois étaient relativement confortables et à la portée de toutes les bourses et chose miraculeuse riches et pauvres arrivaient tous à la même heure en gare de destination, une vraie justice à la clé sur ce parcours de soixante cinq kilomètres , distance entre les deux villes principales de la trans-quercynoise. Toutes les petites gares avaient leur chef, cela permettait d’employer beaucoup de personnes du terroir, les barrières aux grandes manivelles, elles aussi étaient occupées, toute cette vie qui s’agitait au moindre son d’un convoi en approche, a disparu aujourd’hui depuis longtemps, le mot chômage en ce temps pas si éloigné n’existait pas encore! Si! Si!…je vous demande de me croire! Mais l’heure n’est pas aux remords même si la voie a disparu depuis belle lurette, recouverte d’un épais linceul végétatif aux racines profondes et aux ramifications tentaculaires indestructibles! Longtemps on a cru à la remise en vie de ce parcours mythique et qui un jour appartiendra au monde des légendes.

Ah!…Si les anciens revenaient ils n’en reviendraient pas, et ils se demanderaient avec anxiété du côté de l’aiguillage du Soulier, ce qu’est devenu le fameux décrochement qui un long instant laissait penser aux passagers que l’ensemble de la rame allait finir sa course où le lit du Lot lèche fraternellement les pieds de la cité gauloise d’Uxellodunum. Le convoi peu de temps après s'engouffrait dans le long tunnel sous la cité antique, puis empruntait le pont Eiffel qui enjambe le Lot. Ce n'est pas sans un petit pincement au cœur, que nous entendions sous la marquise, une voix féminine bien connue de nous tous, alors s'élever ! Capdenac...Capdenac ! Teminus ! Tous les voyageurs descendent de voiture ! Direction Rodez premier quai première voie...direction Brive deuxième quai première voie et cela dans l'ambiance vaporeuse des impressionnantes bêtes noires en action.




Rolf un loup dans un corps de chien ou un chien dans un corps de loup ?

Je devais avoir à peine plus de cinq ans lorsqu’un matin poussé par un besoin naturel bien légitime je me dirigeais vers les latrines… quand soudain derrière le muret j’ai aperçu un loup ! Affolé, après un demi-tour d’une rapidité qui m’a sûrement permis d’approcher ?…, voire de battre au passage le record du soixante mètres des petites jambes de mon âge, j’ai ouvert la porte de la maison pour la refermer presque dans la même foulée ! « Papa !…papa!…Il y a un loup ! il y a un loup derrière la maison !…J’ai peur !». Sans s’affoler, mon père a répondu à mon affirmation par une phrase que j’ai détestée sur le coup : « Maurice, les loups n’existent plus dans la région depuis bien longtemps !». Je me souviens de lui avoir répondu : « Et bien tu n’as qu’à aller voir ! »

C’est après cette alerte non moins légitime, que quelques minutes plus tard l’incroyable se produisit ! Mon géniteur, héros de la deuxième Guerre mondiale, avait réussi l’exploit d’amadouer la bête sauvage en moins de temps que j’ai mis en forme ces quelques lignes ! J’étais fier de lui !…mais au fond de moi je calculais les progrès qu’il me restait à faire avant de lui ressembler. Décidément je n’étais qu’un tout petit bonhomme sans envergure ni courage ! En présence du fauve, les phrases rassurantes fusèrent : « C’est sûrement un chien abandonné, il vient se donner. » Il nous arrivait effectivement parfois d’adopter un orphelin à quatre pattes, pas par un manque quelconque d’animaux mais tout simplement parce que j’étais dans une famille qui avait le sens développé de l’hospitalité. « On va le garder » entonna le chef de famille !
-Tu crois ? lui a répondu ma mère, penses-tu que nous manquons d’animaux ici ?
-De toute façon il est là, et c’est un superbe représentant de la race canine, non ?

Dans mon for intérieur la peur qui m’avait tenaillé un long moment s’estompa à la vue de ce chien-loup, qui comme par magie avait perdu les allures du tueur sanguinaire décrites dans les livres fantastiques. Et pour montrer que j’avais quand même un peu de courage, je n’ai pas pu me retenir en lançant cette petite phrase : « Oui !….il est à nous maintenant !». Cette phrase a t’elle été comprise par l’animal, ou bien est-ce parce qu’il m’avait aperçu en premier ? Toujours est-il qu’un élément déclencheur se produisit chez lui et il se donna entièrement à moi ! Dès cet instant sacré mon aventure, notre aventure avec Rolf commença !

On ne connaissait pas son nom de baptême, on ne savait pas à quelles intonations de voix il allait réagir, il devait avoir mon âge ce beau représentant de la race canine aux oreilles droites attentives. Après de nombreuses essais où des noms de chiens fusèrent, il a fini par redresser sa tête au nom de Rolf. Il s’est très vite adapté au rythme de la ferme, il nous a montré en reconnaissance tout ce qu’il savait faire. Tous les jours, fier comme un loup, il nous ramenait sa chasse. C’était une suite de hérissons, de lapins, de macreuses, enfin, tout ce que la faune avait comme représentants il le déposait à nos pieds. Il y avait là de quoi nourrir la maison en cette période difficile d’après-guerre. Il ne manquait jamais l’arrivée du car scolaire. Pressé de me revoir il avait toujours plusieurs longueurs d’avance ! Dans un rituel programmé il n’hésitait pas à braver le bras d’eau qui sépare le Lot de l’Aveyron pour venir m’accueillir, c’était vous allez vous en apercevoir un grand champion de natation. Il avait remarqué que les jeux de la fratrie tournaient autour de formes ovales ou presque rondes qui nous servaient de ballons ! Ces objets de substitution étaient parfois avantageusement remplacés en période de vente de tabac par une balle rebondissante que notre brave père nous ramenait de Cahors. Le déclic dans sa tête fut prodigieux. Sans qu’on le lui demande, il a prit l’initiative d’aller récupérer pour nous tout ce qui était rond et que la rivière charriait généreusement. Il avait un sens de la trajectoire très évolué afin de tomber nez à nez avec l’objet convoité. Dans un premier temps il se mettait aux aguets sur un grand monticule de sable afin de repérer l’objet convoité. Lorsqu’il l’avait dans sa ligne de mire, il se précipitait vers l’embarcadère, sautait sans une hésitation dans l’eau, longeait la rive où les contre-courants savamment se forment, puis dans une diagonale parfaite dont il avait le secret, il continuait sa nage pour se retrouver face à son trésor ! Il le poussait alors en le dirigeant avec son museau, et ressortait de l’eau aussi vite qu’il y était rentré très satisfait de lui. Puis dans un dernier geste de satisfaction il déposait sa trouvaille à nos pieds. Nous étions heureux, en possession d’un nouveau ballon que nous n’avions aucune appréhension à réexpédier dans la rivière, Rolf était un formidable ramasseur de balle ! Il s’est rapidement spécialisé dans le sauvetage de tout ce qui, à ses yeux, semblait utile et il n’hésitait pas à braver les éléments même en période de crue! Il nous ramena ainsi des gros morceaux de bois pour le chauffage, des barques en perdition enfin tout ce qui permet d’améliorer l’existence des pauvres gens. Ces cadeaux inespérés n’étaient pas pour déplaire à ma grand-mère Marceline, qui me disait juste après la levée du campement des gitans : « Tu viens, Maurice, on va voir si les romanichels n’ont pas oublié quelque chose !». Eh bien, croyez-moi ou non, elle trouvait toujours un objet intéressant en me disant : « Tu vois, cela n’a peut-être pas une très grande valeur, mais on ne sait jamais, cela pourra toujours nous servir en cas de guerre !». Je prenais ces paroles comme du pain béni, ne sachant pas quoi lui répondre !

Rolf était un merveilleux chien de garde, il avait cet instinct ancré en lui ! Que dire du jour où reconnaissant un gitan alors que nous n’étions pas là, il lui a permis de gravir l’escalier jusqu’à la grande terrasse sans montrer d’agressivité, puis il se positionna face à la première marche et refusa qu’il redescende! Ce fut mon père, en rentrant de Figeac qui délivra le manouche terrorisé.
Notre chapardeur a rapporté que chaque fois, qu’il tentait de faire un pas, le chien lui montrait les crocs en grognant. Un jour où nous étions attablés, un voisin est arrivé en faisant des grimaces derrière la porte. Rolf sans hésiter est passé à travers un carreau, et c’est un ordre d’arrêt rapide de mon père qui stoppa net son attaque! Les miracles existent, il n’y eut aucun blessé ce jour-là ! Mon brave chien loup m’avait prouvé que je pouvais rester avec lui à l’intérieur de la maison sans craindre personne lorsque mes parents étaient absents. Rolf était aussi un redoutable chasseur de rats, sa réserve se trouvait dans le talus où nous jetions les déchets ménagers! Rassurez-vous en ces temps anciens ils étaient non polluants ! Il s’agissait essentiellement des restes d’épluchures de légumes et autres résidus consommables que les rongeurs éliminaient écologiquement ! Rolf se chargeait donc de la régulation de ces mammifères, utiles finalement ! Il avait une technique infaillible pour les tuer. Il prenait sa proie dans la gueule et à la manière d’un tennisman quand il frappe sa balle à l’engagement, d’un mouvement de tête puissant, il l’envoyait à une hauteur d’environ deux mètres et il lui cassait la colonne vertébrale quand elle se retrouvait face à son museau ! Cette action de jeu était très rapide, efficace et radicale ! C’était sa façon à lui de donner un coup de patte aux très nombreux chats de la ferme. Ils feront partie, d’une prochaine histoire.

La vie de Rolf, fut, hélas relativement courte, il se paralysa lentement du train arrière.
La veille de sa mort mon père m’a prévenu que le vétérinaire allait venir le piquer, qu’il était inutile de le laisser souffrir ainsi plus longtemps ! Mon âme d’enfant fut profondément blessée face à cette phrase à l’irrémédiable sentence ! J’allais devoir m’habituer à l’absence de mon meilleur compagnon de vie. Les larmes aux yeux j’ai fermé la porte de ma chambre pour que Rolf ne puisse pas en ce dernier soir d’existence se coucher au pied de mon lit comme il avait l’habitude de faire tous les soirs. Ce ne fut pas une bonne idée. Dans un dernier élan d’amour il a réussi à tourner la poignée, et s’est allongé en gémissant une dernière fois près de moi ! J’ai eu, pour la première fois de ma jeune existence, beaucoup de mal à m’endormir ! J’ai pris soudain conscience qu’il allait falloir que je m’habitue à voir partir mes meilleurs amis ! Après une dernière caresse d’adieu ce matin maudit, j’ai repris le chemin de l’école le cœur et la gorge serrés. Je savais que mon fidèle ami dans la journée allait cesser de vivre, et que son corps allait rejoindre le coin de terre dédié aux nombreux chiens du port de la Madeleine. Rolf le loup avait un caractère à l’opposé d’Obelix qui allait bientôt naître, son bonheur il le cherchait et le trouvait dans un seul but, celui du bonheur de ses maîtres!













Nos cousins, les gitans Mathurin, la nuit où ma grand-mère appelle au secours

Je devais absolument conclure le chapitre sur la vie au port de la Madeleine
en vous parlant des pauvres parmi les pauvres, les gitans. Indigents certes, mais malins! Nous redoutions leur arrivée, ils avaient pour habitude d’aménager leur campement non loin de la barrière de la Madeleine dans une petite parcelle aride non exploitée. Ils positionnaient les roulottes en cercle à la manière des cowboys dans les westerns américains. Cette méthode bien rodée leur permettait de s’abriter des regards indiscrets mais aussi du vent et du froid. Ils attachaient les chevaux à l’aide d’une longe à un piquet en bordure des fossés pour qu’ils profitent gratuitement de l’herbe tendre et abondante.

Les Mathurin vivaient essentiellement de braconnage, ils excellaient dans beaucoup de domaines comme la pêche et la chasse. Ils glanaient toutes sortes de tubercules et fruits généreusement offerts par la nature, et accessoirement ceux adroitement semés par la main de braves paysans. Ils confectionnaient avec adresse des paniers en osier qu’ils essayaient de fourguer aux habitants de la région. Ils possédaient ancestralement l’art du rempaillage des chaises et des fauteuils. Ma mère accueillait tout le monde, les nécessiteux de tous bords étaient les bienvenus, cependant elle éprouvait une certaine crainte à ouvrir sa porte aux manouches, qui avaient une réputation de voleurs bien affirmée!. Ils arrivaient souvent les mains vides et repartaient les mains pleines, en nous gratifiant de quelques bestioles qui se baladaient sur nos têtes. On se serait bien passé de cette offrande, mais comment éviter ce présent quand on a un cœur charitable ? En tout état de cause. il était préférable de ne pas trop quitter la ferme avant qu’ils ne lèvent définitivement le camp. Décision qu’ils n’envisageaient que lorsqu’ils avaient bien ratissé le coin! Tous les prétextes et ruses pour approcher les habitations, ils les possédaient. Pour cela ils avaient, il faut bien le reconnaître une imagination sans limite à faire pâlir de jalousie les plus fins stratèges !
Les femmes partaient dans toutes les directions de la commune avec quelques paniers tressés à vendre, suivies par une ribambelle d’enfants en guenilles qui n’étaient jamais scolarisés. Quand on naissait bohémien à cette rude époque, on avait un cursus à suivre et on n’y dérogeait pas! Ces dames écumaient le secteur méthodiquement, leur bambins les suivaient pour faire diversion ! Je me souviens du jour où une de ces créatures en haillons est arrivée en titubant à notre porte. Le soleil d’août avait sûrement permis une deuxième fermentation du jus de raisin alcoolisé qu’elle avait absorbé goulûment pour étancher une soif infinie! Elle s’adressa à ma mère : « Je suis complètement déshydratée avec cette chaleur ! ». Suite à ces mots savants révélant une grande urgence, un verre d’eau lui a été immédiatement tendu!Dans la seconde qui a suivi ma mère a reçu son contenu en pleine figure ! Elle balbutia ensuite cette phrase qui résonne encore en moi : « Je n’aime pas l’eau, je veux du vin et vite ! ». Mon père qui était par chance dans les parages a réagi spontanément, il faut dire que le choc thermique avait été violent et que ma pauvre maman n’avait pas pu s’empêcher de crier ! Le maître du port a raccompagné énergiquement l’insolente ! La descente des escaliers a été une des plus rapides que j’ai eu l’occasion d’observer dans ma jeunesse, les dernières marches se sont même dérobées sous ses pieds ! Quelques temps après, elle est revenue sans scrupule en diseuse de bonne aventure, comme quoi l’alcool favorise la voyance. Grâce au ciel le chef de famille était encore là ! À la phrase : «Je viens vous prédire l’avenir !» Mon père lui a administré un coup de pied dans les fesses en lui disant : « Et ce futur là vous l’aviez prévu?». Inutile de vous dire qu’à nouveau et malgré les mots de protestation de la pouilleuse déguisée en Madame Soleil le départ a été une fois de plus précipité.

Ces nomades avaient des chiens exceptionnels, tout ce qu’il y a de plus bâtards mais dressés de mains de romanos ! Leur spécialité était axée sur la chasse des animaux des basses-cour.
Notre poulailler, la volière aux faisans et aux pigeons avaient été visités à plusieurs reprises quand l’heure des mesures radicales a enfin sonné. Bien sûr au début de cette hécatombe nous avions pensé qu’il s’agissait peut-être d’un renard, mais curieusement aucun indice ne permettait d’affirmer que ces disparitions puissent être imputées à l’œuvre du rusé! S’il s’était agi de lui des plumes auraient volé dans tous les sens, et surtout nous aurions entendu un vacarme bien spécifique à une telle attaque, les poules ont un caquetage strident dans ce cas précis. Nous disposions de pièges qui allaient nous permettre de capturer le coupable sans tarder, c’est du moins ce que le fin tacticien des lieux pensait, donc nous ne pouvions que le croire! Bien disposés à l’entrée et aux quatre coins de la cour, sans omettre son centre, ils paraissaient une stratégie infaillible, le nuisible ne pourrait pas ignorer les appétissants appâts !

La vie est jonchée d’inattendus. Figurez-vous que ce soir-là, alors que l’endroit s’était drapé d’une nuit sans lune, notre cousin est venu nous présenter sa fiancée. Afin d’ajouter un peu plus de surprise à sa démarche, il a eu l’idée géniale d’emprunter l’entrée des artistes où se trouvait notre dispositif pratiquement infranchissable ! Par miracle, car il faut appeler les choses par leur vrai nom, le couple a évité l’armada de mâchoires à pression. Impressionnant non? Évidemment, comme on ne peut pas se fier continuellement à la chance, nous leur avons conseillé de prendre l’itinéraire normal lorsqu’ils sont repartis ! Une fois dans mon lit, je me souviens d’avoir eu le sommeil léger, je ne voulais surtout pas manquer ce rendez-vous avec le prédateur amateur de gibier domestique. Aussi j’ai été le premier à entendre des gémissements, il n’y avait plus de doute sur l’efficacité des mâchoires que nous avions tendues, l’homme pouvait y échapper reconnaissons-le, mais un animal sauvage, non ! C’est dans un élan de satisfaction que je me suis précipité vers la chambre de mes parents pour les prévenir. Mon père a pris instinctivement son fusil, nous avons éclairé l’espace et sous nos yeux nous avons assisté à une scène incroyable. Un chien était capturé près de la volière aux faisans, alors qu’un autre une proie entre les dents est passé comme une balle en sortant du poulailler. A cet instant précis nous avons entendu des sifflets de rappel ! Mon père épaula l’arme à double détente qui libéra ses plombs dans une déflagration assourdissante!
Les gémissements cessèrent et au même moment, au loin nous avons entendu ces mots de désespoir: « Ils ont tué notre meilleur chien !». Nous avions une fois pour toutes réglé le mystère de la disparition des faisans, des poules et des pigeons!

Quelque temps après cette scène nocturne, un bohémien du campement qui avait pour habitude de surnommer mon père son cousin, sûrement en reconnaissance des nombreuses volailles qu’il avait mangées sans qu’on s’en aperçoive, lui a glissé cette phrase à l’oreille :
- Nous sommes malheureux, nous avons perdu notre meilleur chien !
- Ah bon!… et comment est-ce arrivé ?
- Il a été victime d’un accident de chasse!

Quelques mois plus tard, ma grand-mère maternelle a eu la visite une après-midi de vendeurs à domicile à la peau typée. Par politesse elle leur a pris quelques bricoles afin de se débarrasser d’eux au plus vite, tout en ne trouvant pas leur démarche très catholique ! Avant de la quitter, ils lui avaient demandé si les voisins étaient présents.Sans se méfier, elle leur a répondu: «Non, je vis seule ici » cette phrase bien entendu a été prononcé sans méfiance pour éviter que nous soyons à notre tour importunés. Dans le courant de la nuit, alors que j’étais ce soir-là avec ma mère et mon frère handicapé, nous avons été réveillés par des cris de frayeur ponctués par des «au secours !» qui ne faisaient planer aucun doute mon aïeule se trouvait en grand danger ! Aussitôt nous nous sommes levés pour observer grâce à une toute petite ouverture ce qui se passait à l’extérieur. Une faible lueur d’ampoule nous a permis d’apercevoir des formes inquiétantes qui se déplaçaient autour de sa petite maison assiégée! Il y avait urgence! N’écoutant que mon instinct protecteur je suis sorti de la maison en pyjama avec pour seule arme mes mains. Ainsi j’allais vers l’inconnu, en me rendant bien compte du haut de mes dix ans que je m’exposais sans défense à une situation très dangereuse ! J’ai contourné la bâtisse et ne voyant personne dans l’obscurité je me suis avancé vers la sablière, avant d’avoir la première véritable frayeur de ma jeune existence. J’ai été victime d’une volée de pierres qui ne m’atteignirent pas fort heureusement. J’ai couru et j’ai croisé ma mère qui se trouvait à une cinquantaine de mètres derrière moi :
- Que fais-tu ? , me lança-t’elle, alors que je remontais les escaliers de la maison à toute vitesse.
- Attends-moi, rassure mémé, cache toi, je reviens !

Je suis rentré dans la chambre de mes parents où se trouvait le fusil qui devait nous sauver, dans la cartouchière j’ai pris trois chevrotines j’en ai glissé deux dans le fût afin d’armer les détentes. Aussi rapidement que mes jambes pouvaient le faire, je me suis à nouveau dirigé vers les assaillants nocturnes. Ma mère,surprise de me voir revenir armé jusqu’aux dents ne m’a pas freiné dans mon élan et a juste eu le temps de me lancer au passage cette recommandation : « Sois prudent, Maurice, fais attention à toi! » J’avais à peine fait cinquante mètres quand à nouveau des pierres fusèrent autour de moi et là sans hésiter j’ai épaulé l’arme comme mon créateur m’avait appris à le faire, et j’ai fait feu à deux reprises dans la direction des bandits qui dans un replis brutal ont fui en criant « Vite, à la voiture!» Je n’avais plus qu’une cartouche pour défendre ma position ! Aujourd’hui, lorsque je me remémore cette terrible situation, je me dis : « Pourquoi n’as-tu pas pris la ceinture à cartouches ?» En effet je n’avais plus qu’une balle pour repousser les éventuelles attaques! Peu de temps après, j’ai entendu un moteur en furie, les phares se sont allumés et j’ai tiré face à l’ennemi. Un bruit de ferraille s’est fait entendre, et après un dérapage violent, le véhicule et ses occupants apeurés ont pris la fuite en abandonnant le combat ! Ma grand-mère et ma mère m’ont fêté en héros, tôt dans la matinée mon père qui revenait de son travail de garde-barrière m’a réveillé pour me féliciter, pour la première fois je pouvais m’identifier à lui! Nous n’avons jamais eu de nouvelles de nos visiteurs ! Nos voisins, réveillés par ce tapage nocturne, nous ont posé la question : « Que s’est-il passé cette nuit chez-vous ? » Notre réponse est restée évasive : « Rien de grave, rassurez-vous ! »

Je suis devenu depuis cette nuit là : le sauveur de ma grand-mère, la fierté de ma mère et la gloire de mon père! Je me demande sans anxiété aujourd’hui si j’ai blessé un des agresseurs, je ne le saurai jamais. Ils ne sont pas revenus pour s’en plaindre, et nous n’avons pas eu de leur nouvelle dans les journaux !



Les miaous, du port de la Madeleine

Avant de clôturer cette petite série sur mes amis à quatre pattes, et parler naturellement des poids lourds de la ferme, je ne pouvais pas écarter de mes récits les animaux sûrement les plus incroyables par leur intelligence. Les petits félins naissaient la plupart du temps sans que l’on puisse les localiser. Les mères très malignes avaient compris depuis longtemps que la discrétion absolue favorisait la reproduction de l’espèce. Aussi on pouvait difficilement approcher une portée dès sa venue au monde ! La plupart du temps on apercevait les petites créatures alors qu’elles étaient presque sevrées. Il s’agissait de chats communs du type européen aux qualités très redoutables, vous pouvez me croire, même si je n’ai plus à vous convaincre de ma bonne foi, nous nous connaissons maintenant depuis suffisamment longtemps ! Les rats entre autres quelle que soit leur taille se méfiaient d’eux ! Il n’était pas rare que l’on trouve des dépouilles aussi grosses que le prédateur ronronnant qui leur avait donné la mort ! Le silo à grains fournissait aux nombreux rongeurs une abondante nourriture ainsi que les grains de blé stockés dans la maison du mendiant. Les spécimens à très forte corpulence n’étaient donc pas rares ! Les matous régnaient en vrais chasseurs, ils n’étaient pas du style à jouer avec les souris. Combien de fois je les ai vus littéralement gober leur proie largement enfoncée dans leur gorge! La pauvre victime étouffée remuait désespérément ses petites pattes arrière, un peu comme si elle voulait écourter sa lente agonie !

L’heure de la traite pour les pattes de velours était la bienvenue, une gamelle traînait toujours dans un coin de l’étable, et mon père sacrifiait un peu du précieux liquide blanc contenu dans le seau à traire. Par dizaines, n’écoutant que leur faim, les félins à moitié sauvages se jetaient goulûment sur cet excellent breuvage ! C’est à ce moment précis qu’il n’était pas rare d’apercevoir un rongeur équilibriste en balade sur le rebord supérieur du râtelier! Le faisait-il exprès pour les narguer, je ne le pense pas, la troupe des poilus était bien trop occupée pour l’apercevoir. Nous vivions en compagnie de ces répugnantes bestioles à poil ras sans avoir la possibilité de nous en débarrasser ! Le poison était un danger pour les chats, en effet, ils pouvaient en consommant leur proie s’empoisonner et mourir dans d’atroces souffrances. La solution se trouvait donc dans cette proximité, qui crée finalement un équilibre naturel entre la population féline et les nuisibles. Le bord du Lot où nous avions l’habitude de jeter les déchets biologiques, était également propice à cette prolifération exponentielle. Parfois, une crue soudaine pouvait éliminer une partie de ces nichées. Mais une montée progressive de la rivière au contraire était nocive à nouveau à notre environnement, les rats quittaient alors leur trou et se réfugiaient dans les greniers! Alors que mon frère avait invité pour quelques jours un correspondant, le lendemain matin ma mère toujours soucieuse du confort des personnes qu’elle recevait, posa cette question : « Vous avez bien dormi ? ». « J’ai mis un moment à trouver le sommeil, j’entendais des pas au plafond ! ».
Sa réponse fut très claire : «Ah ! Je vois, il s’agit des chats qui jouent aux équilibristes sur les poutres la nuit ! ». Je ne sais pas si elle a réussi à le convaincre, mais il ne nous a plus parlé de ce phénomène à la limite du paranormal durant son séjour.

Revenons si vous le voulez bien, à nos amis les greffiers. Alors qu’une portée venait de naître, une voisine nous a rendu visite et nous a demandé si nous pouvions lui garder un chaton, et presque au même moment une cousine de Faycelles a formulé la même demande. Évidemment le préposé aux chats du port de la Madeleine était votre écrivaillon ! Cela ne me posait aucun problème après quelques échanges avec ma mère l’affaire était en marche ! Déjà me direz-vous ! La tâche allait être facile, la mère des petits était ma minette préférée une magnifique et pure Isabelle à poils longs ! Elle était docile c’était la seule que l’on autorisait à se promener à l’intérieur de la maison. Chez Marceline ma grand-mère certains chats osaient parfois s’aventurer la porte étant toujours ouverte, mais le grand balai en paille se trouvait à portée de sa main, et inutile de vous dire que les allers-retours étaient plus que précipités. Une poule osait parfois franchir le seuil, mais il était très rare qu’elle ressorte vivante, donc l’instinct animal de survie primait sur toutes les gourmandises convoitées ! Mon ancêtre je n’en avais aucun doute à l’époque était à l’origine de la cocotte minute ! Chez elle, la fameuse dose de rappel n’existait pas ! Pour l’ensemble de la volaille cette fermière était impitoyable ! J’avais baptisé l’adorable génitrice Zabelou, ce fut le cas pour toutes les Isabelle à poil long que j’ai connues par la suite. À l’exception après réflexion, d’une qui je dois vous l’avouer, avait une tête et un corps jusque là rien d’anormal, mais dont l’anatomie se prolongeait par deux jambes !

Revenons à nos moutons ! Non, que me faites-vous dire ! A nos chatons ! Je dois vous dire qu’à leur vue sur le coup j’ai été péniblement déçu, la Belle avait enfanté uniquement des petites boules noires ! Quel était donc le chat qui l’avait séduite ? Mais vous l’avez tous entendu une fois : des goûts et les couleurs on ne doit pas discuter! Après cette courte désillusion, j’ai fini par choisir deux bébés au hasard, en espérant qu’ils fassent bien l’affaire. Les semaines se succédèrent assez rapidement, et les deux rejetons passaient presque autant de temps avec moi qu’avec leur mère qui m’en laissait la garde entre parenthèses bien volontiers. Sachant que je devrais un jour m’en séparer, je les avais surnommé mes deux petits, semblables à deux agates noires à poils longs, leurs yeux étaient étrangement bleu ciel. L’éducation à la Maurice ne tarda pas à se mettre en place, bien plus originale et rigolote que celle de leur maman, qui ne manquait pas de les remettre à leur place quand ils l’agaçaient en leur assénant un sévère coup de patte ! J’avais décrété qu’ils seraient définitivement sevrés et éduqués à l’âge de quatre mois, et qu’il m’était impossible d’imaginer que je les donnerais à leur futur propriétaire avant cette date limite. Je les autorisais à m’accompagner quand j’allais pêcher sur la rivière, ils ont pris alors rapidement conscience que le lait maternel n’était pas la seule gourmandise qu’ils pouvaient convoiter. Ils profitaient d’une agréable promenade sur mon petit navire, tout en dégustant une partie de mes plus petites prises. Leur mère de son côté finissait l’apprentissage en leur apportant toutes sortes de bestioles amusantes et remuantes, souvent comestibles. Lorsque nous allions lancer l’épervier à l’étang la grande armada était alors en déplacement derrière la cheftaine arborant en guise de drapeau son uniforme à trois couleurs. Il y avait des alevins en prévision à dévorer pour la petite troupe de soldats. Le signal en début de matinée avait été clair. Dans un grand chaudron, nous préparions de quoi appâter la petite surface d’eau que nous appelions le trou du sable, où vers minuit le filet fermement lancé pour qu’il épouse une forme la plus ronde possible se refermerait sur la pêche en train d’apprécier notre savant mélange. Il s’agissait d’un cocktail de pomme de terre, blé, maïs, mie de pain, menthe sauvage et d’ingrédients relevant subtilement l’ensemble. Sur le brasier la marmite dégageait des senteurs sauvages qui se répandaient sous la forme de grappe parfumée tout autour de la propriété. Vous pensiez peut-être que j’allais vous donner la recette complète du petit pêcheur d’eau douce, eh bien non! Vous n’aurez pas son temps de cuisson ! Les félins étaient prévenus, la soirée allait être frugale et mes deux très jeunes amis allaient connaître leur premier festin. Je faisais d’eux ce que je voulais, je les mettais dans une petite bouilloire sans qu’ils bougent, sur mes épaules, mais leur plus grand plaisir ils le trouvaient en jouant aux funambules sur la bordure à bâbord et à tribord de la barque.

Un jour et c’est là que je voulais vous embarquer mine de rien, sans vouloir pour autant vous mener en bateau, un jour, disais-je, alors que pour une fois j’avais oublié de les prévenir et que j’étais à une centaine de mètres du rivage, je les ai entendus miauler près du quai avec insistance!
Que faire ? La solution ils l’ont trouvée eux-mêmes et c’est là que ma petite histoire prend un petit air pimenté, ou du relief si vous préférez. Voyant que j’étais indifférent à leurs appels désespérés, ils se sont mis à l’eau et m’ont rejoint à la nage! Je n’en revenais pas, j’étais en train d’assister à une scène incroyable, nous étions à la mi-août, il est vrai, mais quand même le spectacle paraissait irréel un peu comme les apparitions qui avaient eu lieu ce jour-là partout dans le monde et depuis plusieurs siècles. Les voyant arriver sans encombre, j’ai accueilli ces créatures à la physionomie surprenante de deux avortons mouillés comme des rats ! ils avaient préféré cette situation peu commune dans le cadre de leur espèce plutôt que de s’ennuyer…comment ?…Je vous laisse réfléchir une seconde !…Eh oui !…Comme des rats morts ! Et deux minets qui se morfondent seuls croyez-moi, c’est vraiment pathétique à observer! Maintenant ne m’accusez pas de vous avoir tendu ma canne à pêche pour vous faire comprendre en détail ce que j’ai vécu ce jour-là ! Les nageurs, dans cette traversée stressante, avaient perdu la moitié de leur volume, j’ai salué bien entendu leur initiative héroïque! Nous avons ensuite comme à notre habitude taquiné le gardon, le goujon, la perche, ou le soleil.

Il a bien fallu que l’on se sépare, les semaines passent trop vite au gré des uns, trop lentement au gré des autres, mais elles perdent toute consistance lorsqu’on est un petit bonhomme très heureux! Arriva fatalement le jour des grands au revoir et j’ai dû tenir à contrecœur mon engagement. Une boule ronde est partie sur l’autre berge à cent mètres du lieu où elle avait ouvert pour la première fois les yeux. Heureusement j’ai obtenu l’autorisation d’aller lui rendre visite quand je le souhaitais. Quand il m’apercevait il ne manquait pas l’occasion de venir se frotter en ronronnant contre ma jambe. Il a eu une vie heureuse car très choyé, il est mort à un âge très respectable dans sa dix septième année. Sa sœur a eu presque le même parcours chez ma cousine de Faycelles, à la différence près que nous l’avons récupérée alors qu’il venait d’avoir seize ans. Elle a fini son existence près de son ami le gentil dresseur et de sa mère à la patte agile Baronne du port de la Madeleine. Elle nous a quittés à l’âge de dix-huit ans, avant Zabelou que j’ai aperçue très affaiblie pour la dernière fois, alors qu’elle allait avoir vingt et un ans. Elle se trouvait dans la grange aux naissances et c’est là que je lui ai fait un dernier câlin. Je pense qu’elle est allée mourir dans un coin de la ferme, je n’ai jamais retrouvé son corps au pelage tricolore.

















Obélix en terre lotoise


Voici un chien qui marqua de sa forte empreinte ma jeunesse, mon adolescence, et une partie de ma vie d’adulte : Obelix ! Ils sont légion les animaux qui m’ont accompagné fidèlement quand, jeune enfant, j’ai commencé à me balader sur les sentiers pierreux de l’existence. Je vais vous parler aujourd’hui de celui qui m’a particulièrement ému par son comportement, mais aussi grâce à l’incroyable parcours qu’il a eu avant de nous quitter. Je l’ai aperçu pour la première fois dans une portée que notre chienne de chasse Ita avait eu la délicatesse pour une fois de ne pas nous cacher! J’étais excité à l’idée qu’un de ses rejetons aurait peut-être la chance de connaître les joies de l’existence. Eh oui, chers lecteurs, malgré l’amour que mon père et ma mère portaient aux meilleurs amis de l’homme, nous étions contraints d’opérer une très sévère sélection quand venaient au monde d’adorables créatures !

A l’époque dans nos campagnes les pulsions sentimentales passaient après les exigences que nous imposait la rudesse des jours. Un tri sévère s’imposait rien ne pouvait s’opposer à un destin où les dès avaient été jetés par avance ! J’entends parfois des personnes ici et là, regretter ces temps reculés, parler même de glorieuses années! Ce type de paroles m’interroge un peu et me mène à cette réflexion : ont-ils vraiment connu la période d’après-guerre dans nos contrées sauvages, que les citadins avaient pour habitude de caricaturer en les qualifiant péjorativement de France profonde? Le mal- être des pauvres gens croyez-moi était bien présent et visible. Je ne vais pas vous en reparler aujourd’hui, je pense avoir développé suffisamment ce sujet au cours de mes précédents récits. Je vais donc reprendre mon histoire après ce court intermède qui me paraissait nécessaire. Que devenaient les portées alors me direz-vous ? Je n’ai appris que bien plus tard comment le maître de la propriété les faisait disparaître. Bien entendu je vais passer sur les détails pour ménager l’ensemble des âmes sensibles présentes sur ces lignes. Pour vous rassurer cependant, je peux vous affirmer que les sacrifiés ne souffraient pas. Il arrivait parfois, après une forte insistance de ma part, que mes parents finissent par accepter d’épargner la vie d’un de ces petits êtres, on pouvait considérer ce geste comme un grand miracle !Ce fut le cas en ce début d’année 1958. Mon cœur d’enfant subitement propulsé au zénith, je me suis approché calmement du nid douillet fraîchement bordé par une mère déjà très préoccupée par les soins de sa nichée. Je connaissais mon rôle, je devais sélectionner le chiot qui me paraîtrait le plus alerte le plus fobuste, le plus beau! Ce choix délicat s’avérait toujours difficile !

Cette sélection impitoyable était malheureusement incontournable je les aurais bien tous gardés! Je les ai examinés, le mot n’est pas trop fort, les uns après les autres dans mes petites mains et j’ai remarqué qu’un d’entre eux, un mâle était d'une constitution massive, solidement accroché à une tétine de sa mère. Il m’avait fait comprendre par un gémissement qu’il ne voulait pas être dérangé dans sa tété ! Ita sa mère avait l’habitude de ce rituel barbare, elle attendait patiemment que la sentence arrive tout en priant très certainement le ciel pour qu’il ne lui tombe pas sur la tête ! Vous avez tous entendu parlez des causes à effet ? Eh bien, en ce jour béni des dieux Celtes face à la robuste physionomie de sa progéniture j’allais dans la foulée l’appeler Obélix. N’est-ce pas un joli prénom de baptême pour un animal né à proximité des remparts du célèbre village gaulois d'Uxellodunum ? Je vous pose la question! Plus les jours passaient et moins je regrettais mon choix. Pas de doute, sans vaccin ni nourriture spéciale, ce gros toutou qui n’était pourtant pas tombé dans une marmite profitait à vue d’œil en se contentant de téter le lait maternel. Je lui offrais quand même en complément quelques bols fraîchement tirés du pis de la Flourette pour soulager sa mère. Il faut dire que le libre service se trouvait à deux pas de la nursery. Ainsi passèrent les jours et les semaines, le futur guerrier prenait du poids rapidement et nous montrait déjà qu’il allait devenir un celtique indépendant.

Très gentiment, il me faisait comprendre au bout d’un moment qu’il souhaitait être seul. Il faut dire que je n’avais pas mon pareil pour agacer le monde à quatre pattes qui m’entourait, c’était une sorte de mise en condition à mes bons désirs! Une éducation sans violence mais bien particulière à la Maurice. Le temps passa ainsi, Obélix à mes yeux grandissait bien trop vite! Il a rapidement pris l’habitude de faire un petit tour de quartier et très vite en prenant un peu d’âge, il a étendu son terrain de prospection à une grande partie de la commune. D’une gentillesse incroyable il était connu de tous, et les gens du pays ne manquaient pas de lui tendre une petite gâterie. Il rentrait le soir à bon port, en roulant de sa très forte corpulence sans se poser la question de savoir si nous avions été inquiets de son absence. Il commença ainsi sa vie de chien domestique errant, fier de vivre sans corde au cou avec une petite préférence tout, de même pour son port d’attache ! Il m’accordait ses faveurs par de gros câlins, je le méritais bien, après tout n’étais-je pas son sauveur ? Au fil des mois puis des années il s’est montré de plus en plus autonome, négligeant parfois même la soupe que ma mère lui tendait. Jamais malade malgré les tiques entre autre qui jalonnaient son corps et que je lui enlevais épisodiquement sans aucune précaution. Est arrivé rapidement le temps des interrogations : comment faisait-il pour être en pleine possession de ses moyens, alors qu’il ne se jetait pas sur la gamelle qu’on lui donnait ? La réponse nous l’avons rapidement eue d’un rustre connu pour son aptitude au braconnage! « Votre chien est bien meilleur chasseur que moi, pas une truffe ou autres chairs vivantes appétissantes n’échappent à son flair!». Il faut dire que mon père l’avait éduqué à la recherche de l’or noir du Quercy cependant, en Obélix qui se respecte la prospection il préféra la faire sans assistance !

Obélix était devenu bien plus rusé qu’un renard en effet et rien ne pouvait, le distraire dans sa quête gourmande. Sa gentillesse quand il nous voyait , n’avait d’égale que son indépendance toujours croissante c’était un pur Gaulois dans l’âme. Les années succédèrent aux années vous savez celles qui passent bien trop vite au gré des uns et trop lentement au gré des autres! Cependant, malgré cette fatale réalité mon chien les supportait sans faiblesse au point que l’on aurait pu se poser la question : est-il insensible à la fuite inexorable du temps ? On fêta ses dix ans, puis ses quinze ans ! Un ami de passage à la maison entama une discussion sur la chasse, au moment où mon brave Obélix pointait le bout de son museau. « Voilà le meilleur chasseur de la région lui ai-je lancé ! » Je lui expliquai la vie agitée du seigneur de la vallée en vadrouille « Je peux voir comment il chasse, nous lança Georges » « Pas de soucis, tu n’as qu’à l’embarquer, tu nous le ramèneras après demain». Aussitôt dit, aussitôt en voiture, Obélix ne refuse pas le voyage! Le soir même la gâchette nous appelait, affolé : «le chien s’est échappé, je ne sais pas où il se trouve !». Le maraîcher chasseur habitait le village d’Ournes à une quinzaine de kilomètres de la Madeleine.
Eh bien, le lendemain matin j’ai eu la surprise d’apercevoir mon chien couché dans la grange sur son lit de paille au fond de la grange ! Il m’a salué comme il avait l’habitude de le faire, fatigué quand même par cette petite virée nocturne qu’il n’avait pas lui-même programmée ! Le parcours d’Obelix avait été tout tracé ! Il a suivi naturellement les sentiers escarpés des coteaux où se trouve le village perché d’Uxellodunum.

En ce haut lieu de la résistance, trois mille valeureux et courageux Gaulois ont résisté à l’envahisseur romain pendant plus de six mois! Imaginez un peu une armée de légionnaires composée de trente mille gladiateurs face à ce promontoire! Les assaillis ont fini par se rendre, vaincus par le génie militaire de Jules César qui alerté par les chefs fit creuser un tunnel pour dévier la veine d’eau qui alimentait la source du village. Les guerriers encerclés, pensant alors qu’ils étaient abandonnés des dieux, préférèrent se rendre. César, dans la grande clémence qu’on lui avait toujours connue, épargna ces valeureux et très courageux combattants et ordonna simplement de leur couper les mains! Leur chef, prisonnier de la légion de l’empire, se laissa mourir de faim. Voilà pour la petite histoire ! Eh non! Le dernier village Gaulois à avoir résisté aux envahisseurs de la Guerre des Gaules n’est pas breton qu’on se le dise!

Obélix, de toute évidence ne voulait pas chasser en terre inconnue, et surtout accompagné par une piètre gâchette! Un accident est si vite arrivé ! Il nous a quitté bien plus tard en 1976 victime de sa surdité,. Un satané train a eu la mauvaise idée de passer au moment où il traversait la voie ! Il partait faire son tour habituel, en quête de quelques bonnes surprises, se fiant à son adorat toujours intact! Ainsi prit fin la vie de ce puissant et brave chien de chasse indépendant, qui a toujours fait honneur à son nom de baptême ! Gageons, n’en doutons pas un instant que sa descendance dans le pays est toujours bien présente! Aussi, si vous vous promenez dans la région non loin du bras de la rivière qui vient langoureusement lécher les pieds du célèbre oppidum et que vous croisez un chien solitaire dites-vous bien qu’il a sûrement un Obelix dans l’âme!


















La vie au port de la Madeleine pimentée par les caprices du Lot.


C’était un ancien port à histoire plus ou moins tourmentée, à l’image de l’eau qui à ses pieds pouvait se montrer aussi calme et rassurante que celle d’un lac, puis sortir de son cours furieusement, en prenant des allures de torrent indomptable. Nous étions habitués à ses humeurs changeantes, il faut dire que notre vie était étroitement liée au rythme de ce long serpent aux couleurs fuyantes et changeantes. Il nous baignait d’une relative fraîcheur en période estivale, et nous enveloppait l’hiver d’un voile givrant qui noyait dans une torpeur inquiétante le paysage puis finissait par le faire totalement disparaître. Le terrible froid du mois de février 1956 nous a permis d’assister à l’impensable, les deux rives étaient soudées l’une à l’autre et l’on pouvait pour la première fois éviter d’emprunter le pont pour se rendre chez nos plus proches voisins les aveyronnais. Sur l’étang ,des cygnes sauvages surpris dans leur migration avaient jugé nécessaire de se poser afin de reprendre des forces. Dans une ronde infernale, ils ont réussi à maintenir une ligne de survie! Nous les gratifions d’une visite journalière et nous pouvions alors assister en contrepartie à la majestueuse danse de ces oiseaux sauvages. C’est avec une certaine tristesse que j’ai constaté juste avant la fin du redoux qu’ils avaient décidé de quitter leur rond de pèlerinage. J’étais pour la première fois de ma vie confronté à leur célèbre chant. Mais la renaissance ne manque pas de charme. Le dégel favorisait la fonte des neiges en amont sur les hauteurs où le Lot prend sa source, elle cadençait ses caprices, il pouvait rapidement alors muter en un cours d’eau à la puissance dévastatrice. Nous avions nos repères centenaires.Il s’agissait de marques tracées au burin et datées sur le mur attenant au portail d’entrée de la maison principale. La très grande bâtisse avait été construite intelligemment, deux quais permettaient de couper la puissance phénoménale des eaux en créant un contre-courant aux eaux domptées ! Le chemin de halage et le débarcadère offraient une protection exceptionnelle, sur notre petite île, nous étions en sécurité.

Bien entendu, dès notre plus jeune enfance, notre éducation avait tourné autour d’un rite bien rôdé par rapport à cet espace fluctuant et par moments hostile ! Lorsque des pluies importantes survenaient, on surveillait méthodiquement l’évolution de la crue. Un simple bâton pouvait nous indiquer sa progression, et on avait repéré l’endroit exact où par un effet de vases communicants
la rivière allait se déverser dans l’étang. Très rapidement, nous étions isolés sur notre bout de terre, sans possibilité de quitter ce qui ressemblait de loin à un navire échoué! Heureusement, en bon lotois qui se respecte, une barque était en permanence à notre disposition. On profitait de la montée des eaux et de notre grande expérience de riverains pour l’amarrer à la rampe de l’escalier. Parfois l’inondation devenait très inquiétante, au point de flirter avec le record établi en 1927. Les vaches dans la grange, racontait mon grand-père, avaient cette année- là les pis dans l’eau. Semblable à un rouleau compresseur dans un grondement continuel impressionnant ,ce géant emportait tout sur son passage ! Une scène incroyable qui n’appartient pourtant pas au monde des légendes, raconte qu’un coq perché sur ce qui restait de son poulailler face au port est passé en poussant de puissants cocoricos. Le maître de la basse-cour à cet instant précis, se prenait-il pour le Roi du cours d’eau ? Le spectacle dans un défilé permanent était là! Sous nos yeux, depuis le balcon, nous avions une vue imprenable sur tout ce que pouvait charrier la bête emballée sur son tapis roulant ! Nous étions excités, on criait notre joie à la vision des arbres immenses déracinés qui parfois percutaient la pile centrale du pont dans un bruit de fin du monde! Des barques sans rameur, qui avaient fini par rompre leurs amarres victimes des remous incessants, donnaient du piment à ce décor surréaliste. Mieux encore ! Quelques flottaisons blêmes, personnes ou animaux, victimes de la vague soudaine descendaient tels des ballots de paille, en reculant, cela ne s’invente pas! Là, je fais une petite allusion au grand poète Arthur Rimbaud, qui l’écrit deux fois dans son merveilleux poème le Bateau Ivre ! Sonnait , ces jours-là , l’heure du grand nettoyage des berges. Aucun détritus n’échappait à ce monstre aux immenses tentacules bouillonnantes et rugissantes.

Je me souviens que du haut du balcon, je pissais entre les barreaux pour éviter que la décrue ne s’amorce, tant le scénario me comblait dans sa diversité. Mais vous le savez tous, les représentations aussi éblouissantes soient-elles , ont hélas une fin! On se rendait bien compte que la vision perdait en intensité émotionnelle. De moins en moins d’objets s’offraient à nos yeux, il fallait se rendre à l’évidence le fleuve allait regagner sagement son lit. C’est au moment du début de ce retranchement stratégique que mon grand-père , l’ancien légionnaire,a osé défier les éléments ! Il avait pris l’habitude de mettre son existence en danger ,et pour susciter en lui une montée d’adrénaline, il a relevé un défi fou, celui d’avoir le cœur de tenter la traversée du géant toujours en furie, sur la barque. Imaginez un peu la puissance des eaux à cet instant ! Il ne faut pas tenter le diable dit-on ,pourtant Il l’a fait. Face aux remous violents qui s’enchaînaient, il a ramé avec puissance dans un travers dont il avait le secret, pour finalement trouver un espace plus calme sur l’autre rive. Il a réussi enfin à accoster sur une minuscule plage à deux cents mètres de la première chaussée éclusière, où des vagues aux crêtes vaporeuses de plus de trois mètres déferlent balayant tout sur leur passage! Un exploit inconscient, je vous l’accorde, mais un nouvel acte héroïque qui prouvait que l’homme ne reculait devant rien!

Il nous est arrivé quand même de quitter le navire, invités par nos voisins les Delrieu qui habitaient une chaumière perchée sur la colline en face de chez nous. La catastrophe du barrage de Fréjus était inscrite dans toutes les mémoires et nous avions en tête les images de ce dramatique événement. Celui de Sarrans ,en amont, pouvait lui aussi rompre à tous moments. L’histoire a pris la triste habitude se répéter , n’est-ce pas? Alors enfin perchés sur ce nid d’aigle, nous pouvions surveiller la ferme sans le moindre risque et profiter d’un excellent repas de fête affectueusement préparé par nos amis. Nous jouissions d’un point de vue imprenable sur notre port d’attache, où la vallée prenait pour la circonstance l’image d’un immense lac aux berges englouties!



L’accident avec Pompon et la vie à la fin des années cinquante au port de la Madeleine

Je vous vois venir! Vous allez penser que ce petit écrivaillon veut nous parler d’une époque si lointaine qu’elle a été sûrement oubliée par la plupart des personnes qui l’ont vécue! N’en croyez rien, c’était hier, nous vivions le bon temps enfin, celui que nous envient les jeunes générations qui sont persuadées de voguer dans un monde qui a atteint le paroxysme de ce qu’un être humain est en mesure de supporter. C’est oublier cette période d’avant-guerre et d’après-guerre où les pauvres étaient de vrais pauvres, où les gitans sillonnaient nos contrées et où les journaliers mendiants pour la plupart dormaient dans le coin d’une grange après avoir trimé une journée pour un simple morceau de pain! J’ai connu cette cambrousse paysanne qui s’est transformée très rapidement sans avoir vraiment eu d’autres choix ! Cependant le progrès, marqué essentiellement par l’arrivée de l’éclairage a été le bienvenu. Ce ne fut pas le seul, l’eau allait bientôt se déverser dans la vasque de l’évier en pierre grâce à un robinet. Sonnait ainsi la fin de la corvée épuisante du seau remonté à la force des bras au bord du puits! Ne vous faites pas de fausses idées sur le courant électrique, à cette époque il n’était utilisé que pour alimenter en lumière les pièces à vivre et l’écurie de la ferme. Un peu plus tard encore est apparu le cheval moteur qui a sonné, hélas le glas de la traction animale !

Cela me conduit naturellement à vous parler de ces braves bêtes ! C’étaient les poids lourds des étables, ils allaient encore faire illusion un moment face à cette inévitable évolution.
Mais avant de rembobiner ce ruban cinématographique très imagé, j’ai le souhait de vous faire part d’une situation quelque peu insolite. Mon plus jeune enfant était au cours élémentaire première année en 2012 quand sa maîtresse a abordé un sujet ô combien intéressant ,celui des gens du pays à l’âge lointain de la vapeur. En parlant d’âge, je suis certain à cet instant précis que beaucoup d’entre vous se sont déjà lancés dans de grands calculs pour connaître celui de l’auteur, non? Je reprends…Le nœud ferroviaire de la petite ville de Capdenac construite autour de sa gare se prêtait fort bien à ce type de discussion. Alors que l’institutrice parlait des fameuses locomotives baptisées par les cheminots du nom évocateur de bêtes noires, mon fils a cru bon de lever énergiquement son bras !« Madame !…Madame!…Mon papa a connu les machines à vapeur !». Un moment plus tard ce fut le tour des tombereaux tirés par les bœufs et les chevaux. Naturellement est arrivée l’heure du pénible dépiquage du blé à l’ancienne, puis du battage aux rouages toujours animés par des nuées ardentes. Les bohémiens suite à ce déploiement de nouvelles technologies ne tardèrent pas à emboîter le pas! Figurez-vous que ces nomades organisaient leur campement en cercle comme le faisaient les cow-boys du far west américain! A ces paroles pour le moins dépaysantes, mon gamin très attentif persistait à affirmer que son père avait vécu ces scènes authentiques d’autrefois ! Arriva naturellement l’inévitable période où les hordes de loups hurlants colonisaient nos bois. Et là, sans hésiter une seconde, l’insatiable garnement leva à nouveau sa main, avec ces mots : «Mon père a également connu les loups!». La maîtresse avait à peine plus d’une vingtaine d’années, je me suis posé la question de savoir si la convocation que j’avais reçue de sa part quelques jours plus tard, n’avait pas une corrélation avec ce sujet ancestral ! La rencontre à venir du très vieil homo sapiens père de ce très jeune élève en chair et en os méritait bien ces quelques lignes n’est-ce pas? Elle fut rassurée à ma vue, l’enfant n’était pas un menteur, enfin juste avant que le loup ne pointe le bout de son nez! Même si aujourd’hui certains de ces carnivores aux dents aiguisées comme des sabres ont été aperçus à nouveau dans notre région.

Quittons ce monde inquiétant pour revenir à pas de loup visiter la grange et son étable où logeaient les lourds sabots de la ferme. Après avoir passé le porche daté de l’an huit de la République française on pouvait apercevoir à droite le puissant percheron Pompon. A ses côtés une charmante jument nommée Coquette de robe baie foncée avait l’œil vif ! La dame au très fort caractère n’était pas du genre à se laisser manœuvrer facilement, elle avait toujours refusé de travailler seule! Suivaient dans l’ordre trois vaches, baptisées en fonction de leur robe : Flourette, Blanchette, et Négrote. Deux ânesses complétaient ce cheptel important, elles avaient pour nom Nénette et Fatma. Dans la petite porcherie ,on engraissait un cochon, toujours prêt à sauter sur une poule inconsciente qui se hasardait dans son espace restreint! Elle était attirée par quelques vermisseaux et la gourmande finissait généralement sa vie dans l’estomac du carnivore grognant.
Pompon et Coquette étaient des robustes chevaux de trait, nous les attelions à différents outils à la fin des années cinquante afin de travailler les champs. La faucheuse, l’andaineuse étaient utilisées au mois de juin pour la récolte du foin. Le brave Pompon secondé parfois par Coquette ,collier sur l’encolure, ne chômait pas! La ferme n’avait pas une grande surface d’exploitation , tous les terrains étaient regroupés dans un rayon d’environ un kilomètre. Le chef de famille se plaisait à dire en plaisantant aux curieux qui lui posaient la question «Nous sommes des grands propriétaires, nous possédons des biens sur deux départements et quatre communes !» Pour finir de les convaincre et afin d’appuyer ses paroles , il les énumérait : Le Lot , l’Aveyron étaient suivis des célèbres noms des villages bien connus des gens du pays d’Olt, Faycelles, Capdenac -le -Haut, Loupiac et Capdenac- Gare Il y avait là de quoi asseoir une certaine notoriété, même lorsqu’on se sentait fauché comme les blés!

Au début de l’été ,la période des fenaisons nous donnait beaucoup de travail ! La tâche était rude. Sur une surface d’environ six hectares une fois le travail mécanique achevé, nous devions rassembler le foin en meule avant de le charger sur la remorque et le remiser au-dessus de l’étable. Les grosses chaleurs ne facilitaient pas notre labeur alors qu’à grandes enfourchées , mon père élevait le foin jusqu’à l’ouverture de l’étage supérieur où mon frère aîné dégageait le passage et envoyait la précieuse herbe séchée près de nous. Notre rôle consistait à tasser l’herbe avec nos petits pieds dans des allers et retours incessants pour qu’un maximum du précieux regain sec puisse entrer dans la remise. Je ne peux que difficilement vous décrire l’ambiance du coin chargé en diverses poussières aux très fortes effluves, qui avaient le pouvoir de nous irriter la gorge nous piquer les yeux et nous plongeaient dans des atchoums à n’ en plus finir! Heureusement un bon verre de menthe à l’eau bien fraîche que nous amenait notre chère mère nous permettait de retrouver un second souffle. La journée se terminait toujours par une baignade bien méritée près de la cale qui mettait fin au mur du port. Nous étions satisfaits du boulot accompli, Pompon, Coquette et la grande troupe de poids lourds auraient de quoi manger durant la longue période hivernale.

Pompon était un cheval admirable, taillé dans la masse comme un athlète, d’un poids approchant la tonne. Toujours aux moindres ordres il obligeait Coquette la rebelle à suivre la cadence, même si parfois elle n’était pas partante pour transpirer plusieurs heures. Le travail de la vigne était assuré par le percheron. Il partait seul pour tracter la décavaillonneuse qui permettait une approche des ceps avec une précision millimétrée ainsi, le moindre pied d’herbe était éliminé.l Mais là où le roi Pompon était surprenant c’était quand attelé à la sarcleuse, seul en bout de la rangée il reprenait l’allée suivante ! L’entretien du petit vignoble prenait fin par une récompense que je n’aurais manquée pour rien au monde. Mon brave père me hissait sur le dos puissant cheval pour une balade inoubliable depuis les grappes de raisins vers l’écurie. C’est à cet instant précis que commençait pour moi le grand frisson. D’un pas sûr, frappant le chemin avec ses larges et lourds sabots. Pompon se déplaçait tranquillement vers son lieu de repos, et faisait de moi l’écuyer le plus fier à dix lieues à la ronde! Avant de passer sous le porche d’entrée, il ralentissait conscient que sur son dos ,je devais baisser la tête. Puis il se dirigeait vers l’abreuvoir où dans une aspiration continue qui me paraissait interminable, il buvait six à sept litres d’eau sans relever la tête avant de reprendre place fièrement à côté de sa princesse.

Arriva le fameux jour où tout a basculé ! Nous avions dans les coteaux une parcelle plantée en betterave, non loin des quelques chênes truffiers qui nous permettaient d’améliorer en période hivernale notre quotidien. Nous devions aller récolter les tubercules au poids conséquent, et c’est donc à Pompon que nous avions confié la traction de la charrette dans les travers vertigineux. À vide ,tout se passa normalement mais déjà je mesurais la prise de risque du déplacement où les pierres éparpillées soulevaient par intermittence les solides roues porteuses au point d’ébranler fortement l’ensemble de l’attelage. Sur le lieu de la récolte, nous n’avons pas ménagé nos efforts, et pas à pas nous avons fini par avoir l’ensemble des betteraves chargées. Je m’étais hissé moi-même sur le monticule, la puissance du courageux cheval allait être mise à rude épreuve. Sans broncher, Pompon tractait la périlleuse cargaison qui se déplaçait titubante dans ce dévers très incertain quand l’inévitable se produisit. Un bloc énorme a agi comme un bras de levier ascensionnel en déséquilibrant le tombereau. Je me suis senti propulsé, et dans une roulade qui m’a paru interminable, favorisée par cette horrible pente, j’ai terminé ma course stoppé par un genévrier sauvage. Aussitôt sur mes jambes, j’ai aperçu Pompon couché bloqué par les brancards, poussé par je ne sais quel courage, je suis revenu vers lui aussi vite que je m’en étais éloigné !. Mon père s’attelait déjà à le dételer! La tête plaquée par moments au sol, Pompon tentait désespérément de la redresser par un mouvement puissant d’encolure. « Caresse-le, parle lui pour le calmer », me dit alors celui qui n’aurait à mes yeux jamais dû prendre un tel risque! Pour la première fois de mon existence je crois que j’ai eu un sentiment de révolte face à celui que j’admirais!. Le plus près possible de la tête de mon cheval qui à chaque aspiration avait les narines qui doublaient de volume, j’essayais avec toute la force de ma faiblesse de le calmer en le caressant. Je voyais ses yeux affolés, ouverts au maximum, scruter le ciel dans des va-et -vient effrayants. Sa puissante respiration me laisser espérer qu’il allait survivre mais j’ignorais s’il s’était brisé un membre. Et tout à coup j’ai entendu une voix prononcer ses mots : « Eloigne-toi vite, je viens de désolidariser les brancards, s’il n’a rien de cassé il va se redresser sur ses pattes !» Les miracles arrivent parfois, rassemblant dans un élan ses dernières forces, la brave bête se redressa, puissamment avant de pousser de brefs hennissements de satisfaction ou de soulagement ! « On rentre maintenant, je trouverai un autre moyen pour récupérer la charrette et le chargement », ce qui entre-nous, n’avait aucune importance ! Mon brave Pompon et moi n’avions que quelques égratignures, là était l’essentiel!
Le rituel dans nos contrées était donc étroitement lié aux saisons plus ou moins favorables aux récoltes. L’animal était le moteur d’un système, sans lui rien n’aurait été possible. Il arrivait parfois qu’un paysan voisin vienne vers nous pour nous demander si nous pouvions lui prêter mon animal de trait préféré pour une journée. Croyez-moi, il est plus facile de répondre oui à une demande concernant l’outillage qu’à ce type de sollicitation ! Même si notre cher cheval était suffisamment habitué à travailler, et que sa docilité fusionnait avec le courage qu’il déployait au labeur, mon père préférait être à ses côtés. Il lui fallait alors prendre une décision rapide. Le plus souvent, il proposait sa présence pour ne pas froisser le paysan, Il partait ainsi pour honorer un travail dont il se serait bien passé. Cette situation n’était pas exceptionnelle, il arrivait qu’un animal se blesse, ne laissant aucune autre possibilité. Certaines cultures ne peuvent pas attendre elles sont rythmées aussi précisément qu’une symphonie!. « C’est le temps qui commande», se plaisaient à répéter les agriculteurs du pays. Hélas, parfois il n’y avait pas d’autres alternatives que de décliner la demande. On ne peut être à deux endroits à la fois, bien que j’aie ouï dire qu’un personnage célèbre y était arrivé ! S’ensuivait alors une mésentente, qui parfois prenait des proportions inimaginables, on ne se parlait plus! Ainsi entre les Sirvain et les Marcouly avons-nous assisté à près d’un siècle de profonde animosité! On s’ignorait, la haine prenait des proportions délirantes sans que l’on sache vraiment pourquoi ni quand elle avait débuté, et surtout quelle en était la raison. Elle était ancrée dans nos gènes, on ne peut expliquer l’inexplicable ,n’est-ce pas ? Un jour, alors que je me promenais ,j’ai aperçu le fils Sirvain au fond de l’étang. Il faisait mine de ne pas me voir quand une de crever l’abcès me guida irrésistiblement vers lui. Il ne refusa pas la conversation. Après tout, peut-être que dans son for intérieur de brave paysan, il souhaitait lui aussi inconsciemment sortir de cette impasse. Aussitôt près de lui, j’ai engagé la conversation avec cette phrase directe. «Bonjour, j’ai une question qui turlupine mon esprit depuis longtemps ! Connais-tu la raison pour laquelle nous ne nous parlons pas, et pourquoi nous entretenons cette horrible relation doublée d’une tension constante depuis des dizaines d’années entre nos deux familles ?». Sa réponse a été aussi directe et précise que ma question :
« - Je n’en sais rien !
- Eh bien écoute-moi, à partir d’aujourd’hui si tu es d’accord, on fait une croix sur ce lointain passé relatif à nos aïeux et nous entretenons à nouveau une relation amicale.
- Mais bien sûr ! » Le plus rigolo dans cette histoire, c’est que dans la généalogie de nos familles, j’ai découvert à ma grande surprise que nous étions cousins! Depuis, nous vivons des jours sans tension, mais nous restons vigilants ! Il n’est pas interdit qu’un jour cette paix retrouvée prenne fin, les rancœurs ainsi étouffées peuvent renaître sournoisement et mûrir toutes ensemble, le fils n’est pas le père!

Laissons ce feu couver et parlons à nouveau du cheval à la lourde crinière blonde.
Pompon a eu une vie bien remplie . Sa mort fut le reflet de son parcours exemplaire. Nous l’avons découvert un matin ,allongé face au râtelier qui avait tant vu son museau happer puis broyer le foin qu’il contenait. Il a eu droit à des obsèques dignes d’un grand destrier et nos larmes l’ont accompagné jusqu’à l’énorme fosse qui avait été creusée par le premier bulldozer en service de la sablière Grégory. Son corps repose depuis face aux parcelles qu’il a si souvent arpentées avec courage un collier autour de l’encolure. Coquette ne s’est jamais remise de cette brutale séparation. En totale déprime, elle a refusé de travailler seule. L’heure de la mécanisation à outrance allait bientôt sonner, poussant la traction animale hors des écuries. Mon père en grand seigneur décida néanmoins de résister à ce soudain séisme du terroir. La jument a eu droit aux honneurs d’un bel étalon et quelques mois plus tard naissait Pucette une belle alezane. Cette arrivée fut pour nous tous une délivrance. Nous ne doutions pas que la mère s’occuperait de sa pouliche et finirait par reprendre comme on l’entend chez nous du poil de la bête ! Après le sevrage de Pucette, elle n’avait cependant toujours pas retrouvé l’entrain qu’un propriétaire attend d’une jument de trait. L’heure des interrogations est arrivée, nous ne pouvions pas nous permettre de continuer à nourrir un animal en déprime ! Mon père décida de la vendre suitée à un maquignon du coin. Bien plus tard, j’ai appris qu’un triste sort leur avait été réservé !

L’argent ainsi gagné rapidement nous a permis de faire entrer dans la maison un instrument diabolique où des personnages en noir et blanc s’agitaient continuellement. Ce petit écran n’était pas avare en conseils pratiques, il incita le chef de famille à se tourner résolument vers l’avenir.
Il acheta un motoculteur de marque Staub. Ce curieux engin motorisé était équipé de tous les accessoires utiles pour cultiver la terre. On ne pouvait lui trouver que des avantages par rapport aux animaux! Il suffisait de le lancer d’un geste sec avec une ficelle pour qu’il démarre au quart de tour!
Il ne rechignait pas à la tâche ! Comble du bonheur une substance liquide à la forte odeur qu’on lui donnait à ingurgiter suffisait pour le propulser pendant près d’une heure sans risque d’emballement ! Pas de doute, l’affaire du siècle, mon géniteur l’avait entre ses mains! On ne voyait que des avantages à ce tas de ferraille ronronnant ! Alors me direz-vous, elle n’était pas porteuse d’un avenir meilleur cette brillante avancée mécanique qui allait enfin libérer l’esprit des pauvres paysans ? Du moins le croyait on! Ne nous laissons pas attendrir par une nostalgie naissante, il faut savoir évoluer intelligemment pour vivre en symbiose avec son époque et pour cela on doit sans aucune appréhension se remettre continuellement en question ! Nous rentrions de plain-pied dans l’ère ultramoderne des chevaux moteur, de l’électricité, de l’eau paiera ! Nos habitudes allaient être totalement bouleversées le confort entrait dans nos vieilles demeures, la planche à laver le linge avait trouvé sa remplaçante presque autonome ! Un tracteur Massey Harris Pony ne tarda pas à faire son apparition triomphale dans la cour de notre ferme, entre Pony et grand Poney. Il suffisait simplement d’affranchir une lettre de commande n’est-ce pas?

Nos occupations étaient toujours les mêmes, Négrote, Flourette, et Blanchette n’ont absolument rien remarqué d’anormal. On continuait notre chemin en allant les garder, mais c’était sans compter sur une nouvelle invention géniale qui elle aussi allait révolutionner nos habitudes, la clôture électrique! On aurait pu ,croyez-moi, surnommer avec justesse cette période l’époque miraculeuse ! Cependant elle a eu ses victimes ! Le forgeron installé dans tous les petits hameaux ne lui survivrait pas longtemps ! Ainsi prit fin la chevaleresque aventure du travail équin, mais également celle du bovin au sein de nos communes. Une banque de crédit agricole allait faciliter les échanges et permettre l’achat du nec plus ultra en matière d’avancée technologique grâce à des facilités de paiement. Pour rester à la pointe du progrès, il ne faut pas avoir peur de se lancer sans a priori dans son aventure. Des paysans pris à la gorge par les emprunts n’eurent qu’une alternative celle du suicide! Est-ce ce que l’on nomme communément la rançon du progrès ? J’ai cependant vu certaines petites fermes résister à cette défiguration fulgurante du paysage agricole jusqu’au début des années soixante dix. Ce n’est pas sans une certaine nostalgie doublée d’une grande tristesse que je vous ai fait part de ces quelques pages qui témoignent d’un passé heureux, où l’animal a eu un rôle prédominant grâce à son intelligence et à son dévouement inné pour l’homme.

N’oublions pas que durant la première guerre mondiale les chevaux de trait sous une mitraille nourrie de l’artillerie ont été employés à la traction des canons. C’est dans un délire sanguinaire total que ces pauvres bêtes sont mortes par dizaines de milliers dans un épuisement total au fond de leur mare de sang. Avant de vous laisser lire un autre récit chères lectrices et chers lecteurs je tiens à vous poser une question. Mon grand-père avait une paire de bœufs pour travailler les champs, pourquoi mon père a t-il résolument fait le choix d’avoir deux chevaux percheron pour cette même tâche ? Bien entendu j’attends de vous la raison principale ! Vous avez dix secondes pour répondre à cette question pertinente ! Neuf…huit…sept…six…cinq…quatre…trois…deux…un…stop : eh bien oui! Vous avez la bonne réponse : tout simplement parce qu’ils accomplissaient le travail demandé deux fois plus rapidement! Une dernière information importante il y avait deux millions quatre cent mille explorations agricole au début des années cinquante il y en a six fois moins de nos jours. Ce manque de bras a eu un effet immédiat sur l’entretien de nos campagnes. Beaucoup de sentiers ont disparu, laissant place à la broussaille. La voie romaine qui serpentait sur le flanc de la colline de la Madeleine appartient aujourd’hui au passé! Je vous ai parlé dans mon écrit des clôtures électriques venues en substitution des bergers qui façonnaient des murets avec les pierres du causse et des cazelles pour s’abriter lors des intempéries. Comment ne pas regretter cet entretien journalier et le plaisir que j’avais, au détour d’un chemin sur mon vélo de me retrouver face à une belle bergère ! Décidément je hais ce progrès qui s’est emballé et qui est à l’origine d’une clé des champs à l’ambiance de plus en plus survoltée!

Allez pour clôturer cette longue histoire je vais vous amener au crédit agricole. Mon père fut le premier client de l’agence de Figeac au début des années cinquante. Vous n’imaginez pas tous les avantages que peut nous offrir le système financier. Un chéquier à la main permet de se lancer dans des transactions rapides et efficaces sans avoir à trimballer sur soi des sommes astronomiques, avec tous les risques qui sont liés à ce type d’échange pour le moins aventureux. C’était bien entendu avec le crédit que l’on pouvait obtenir le dernier cri de la technologie moderne. Ce fut un des arguments que le banquier avança pour convaincre les premiers clients de l’agence !…Et même les seconds paraît-il ! Mon père rencontra son voisin Fernand peu de temps après et lui indiqua le processus à suivre pour obtenir le miraculeux chéquier qu’il tenait en main. Après quelques hésitations quand même, notre brave paysan passa la porte du coffre -fort. Inutile de vous dire que le système ingénieux des rendez-vous n’existait pas encore! Reçu avec toute la courtoisie due à son rang, empreinte indélébile de ce temps révolu, suivirent quelques sages paroles. Il obtint sans difficulté le droit d’utiliser à sa guise le fameux carnet aux nombreux feuillets. Et sans se préoccuper de savoir si son compte avait suffisamment de provisions, notre Fernand se lança dans des dépenses inconsidérées. Il ne tarda pas à recevoir une convocation par courrier lui indiquant qu’il était attendu d’urgence au guichet. Le banquier avait quelque chose d’important à lui communiquer. Il attela donc la charrette à sa jument grise, s’habilla du dimanche et se rendit à ce rendez-vous en se demandant tout le long du chemin ce que voulait lui dire ce brave homme cravaté. Voici le dialogue rapporté par un journaliste du coin:

« - Bonjour Monsieur
- Bonjour
- Je vous ai convoqué car votre compte accuse un solde débiteur très important !
- Un qué?…( Un quoi?)
- Vous n’avez pas l’argent que vous dépensez à tour de bras depuis plus d’un mois !
- Ah compreni mas es pas grèu! Qué aquò tenga pas!…Per reglar aquel problèma dichas ieu çò que devi! Vos vau far un chèc ! » (Ah je comprends mais ce n’est pas grave!…que cela ne tienne!… Pour régler ce problème dites -moi ce que je dois! Je vais vous faire un chèque !)

C’est ainsi que nous avons fait nos premiers pas dans l’ère moderne qui nous a grandement simplifié la vie n’est-ce pas?














Le centre hélio-marin à deux pas de l’océan, le Pearl Harbor Français des pauvres au début des années soixante…le paradis des riches ?

Centre hélio-marin de Biarritz : "La science et la conscience au service de l’enfance". Voilà les mots que l’on pouvait lire sur le petit fascicule de présentation de l’établissement ! Mon devoir d’homme vieillissant m’oblige à vous raconter ce que fut au début de la cinquième République la souffrance de certains enfants placés dans le centre hélio -marin de Biarritz. Les plus jeunes étaient âgés de deux à six ans, les plus âgés de sept à douze ans. Ces petites âmes innocentes étaient au sein de cet établissement dans un but précis, celui de prendre du poids. La fondation agréée par le ministère de la santé paraissait bien belle vue de l’extérieur, malheur au pauvre être innocent qui s’aventurait à l’intérieur ! J’essaie de me remémorer cette période car la principale préoccupation du pouilleux, crasseux et chétif que j’étais devenu après de très longs mois de détention fut d’effacer de sa mémoire à jamais cette très mauvaise expérience ! Ils sont légion ceux qui ont souffert à deux pas de l’océan, sans avoir eu le plaisir de profiter de ses bienfaits ! Les vagues pour toujours chargées en lourdes larmes inlassablement frapperont leur mémoire meurtrie ! J’ai pu récupérer, grâce à un ami, les pages d’un premier procès dans les années quarante à l’encontre du fondateur de ce lieu maudit ! Monsieur le Directeur a remis le couvert en affamant et en maltraitant les pauvres petits pensionnaires moins de deux décennies plus tard ! La similitude des sévices infligés aux malheureux enfants qui lui étaient alors reprochés lors de cette condamnation, par rapport à ma malheureuse expérience est frappante. Croyez bien que je pèse ici mes mots et l’ensemble des petits résidents qui ont témoigné sur un forum hélas aujourd’hui supprimé, va bien entendu dans mon sens. En dehors des petits pensionnaires nantis d’une parenté aisée, qui eux vivaient au paradis deux étages au-dessus de nos têtes ! Je vais ici surtout vous raconter mon très long séjour dans les profondeurs du bâtiment. Quand on déracine et que l’on affame un être innocent tout en le frappant journellement, on détruit partiellement son existence ! Le joug de l’enfance est parfois fait d’angles vifs et l’on a beau secouer nos frêles épaules pour nous soulager des blessures profondes viennent meurtrir pour toujours nos âmes aux ailes fragiles. J’étais dans ma onzième année quand, à la suite d’une longue hospitalisation, une gentille assistante sociale de ma région a insisté auprès de ma maman pour je sois placé dans un centre hélio-marin. L’établissement était situé en bordure de l’océan, j’allais profiter du bon air du large chargé d’iode aux multiples bienfaits !

C’est donc le cœur serré, mais néanmoins heureux à la simple pensée que j’allais enfin découvrir cette vaste étendue d’eau salée, qu’avec ma mère je pris le train en direction de ce coin paradisiaque qui allait à jamais transformer mon esprit. Le trajet me parut long, interminable même, l’éloignement de ma terre natale me laissait songeur, ma gorge se nouait par moment ! Un flux de salive rapidement avalé, suivi de paroles rassurantes de ma maman, me permettait d’anesthésier cette angoisse naissante que je n’avais jamais ressentie auparavant ! Il fallait pourtant suivre ce parcours obligé, c’était pour mon bien. Est-il une chose plus précieuse que la santé, je vous le demande ? Nous étions au début des années soixante encensées aujourd’hui par tous nos politiciens. La cinquième République qui débutait à peine était dirigée par le grand Charles de Gaulle.
Alors, vous allez penser : « Maurice n’avait absolument rien à craindre tout allait bien se passer !».
Je tenais toujours solidement la main de la très brave femme qui m’avait mis au monde quand je suis arrivé au terme de ce très long périple. Face à mes yeux se dressait une bâtisse immense, située en bordure de l’océan. Mon âme rêveuse voyageait déjà au-dessus des vagues qui se déchiraient en grand fracas, non loin d’une plage aux sables éternels. Tout me paraissait grand. Je n’avais aucun doute j’allais vivre en ces lieux des jours heureux. Quelques marches encore me séparaient de la liberté que je quittais sans le vouloir, mais surtout sans le savoir. D'ailleurs, ma chère maman aurait, si elle avait su dans quel guêpier elle me conduisait, fait demi tour sur-le-champ, elle qui avait sauvé deux jeunes enfants au nez et à la barbe de la division Dass Reich, célèbre pour ses exactions, en les sortant des rangs de la déportation à Figeac. Elle n’avait pris ce jour-là qu’un petit risque, celui d’une simple balle dans la tête !

Mais revenons à ma triste aventure. Un dernier escalier à gravir nous conduisit dans un immense hall où étaient exposés de très beaux meubles. J’ai surtout remarqué un très grand canapé. Face à lui, posée sur une tablette trônait une télévision allumée qui a attiré tout de suite mon attention. C’était la première fois que j’apercevais cet objet magique où des images s’animaient !
« -Tu vas être heureux ici, Maurice…
- oui, maman ! »
Une gentille dame très bien habillée s’est avancée vers nous. « Je suppose qu’il s’agit de Maurice, notre futur petit pensionnaire ? Il a l’air bien mignon, nous allons bien nous occuper de lui ! » Ces phrases ont fini par me rassurer et à me convaincre de la nécessité de ce long voyage. Je lâchai la main de ma mère pour la serrer une dernière fois dans mes petits bras. Est arrivé alors ce moment qui dans ma vie, a marqué pour toujours mon impuissance à retenir les personnes que j’aime. Ma mère allait me quitter de longs mois, mais c’était pour mon bien ! On doit bien trouver une raison à une séparation douloureuse quand on est un tout petit bonhomme. J’étais malade, pourtant je me sentais bien dans mon corps, je venais de passer plus d’un mois dans une clinique où l’on me faisait des transfusions journellement, je ne pouvais être que guéri ! D’ailleurs à la fin de mon hospitalisation je parcourais tous les couloirs en chantant, j’étais connu et apprécié de tous les malades ! Qui ne connaissait pas Maurice ? La mère de Charles Boyer l’acteur, qui résidait en permanence à la clinique était devenue ma troisième grand-mère, ma confidente. Elle m’invitait à venir voir dans sa chambre les films où son fils jouait et elle était fière de pouvoir le dire: -Regarde…regarde…Maurice ! C’est Charles mon enfant, tu vois comme il est beau ! Il faut croire que dans l’existence les bons moments sont très éphémères, j’allais l’apprendre après ce bref passage au paradis. La gentille assistante sociale avait tellement insisté que ma maman s’était laissée convaincre! L’heure n’était plus aux regrets, mais à la séparation. Une main ferme me fit comprendre dans quelle direction je devais aller ! Les larmes envahissaient mes yeux et je suis certain que le regard de ma mère s’était voilé au même instant, elle si rassurante, si aimante, cette femme unique, si belle, si héroïque ! Je suivais Maïté sans le savoir une basque à la voix forte, à la main rugueuse et lourde ! Je descendais au sous-sol du grand et beau bâtiment flambant neuf. Une porte pleine s’ouvrit donnant sur un espace sans ouverture, où une douzaine de tout petits lits à barreaux étaient alignés. Des enfants silencieux me fixaient du regard. « Installe-toi ici, ce sera ton lit, mets tes affaires dans cette armoire ! ». Puis elle quitta ce que je dois appeler une cave qui sentait le renfermé, bien loin du bon air marin que l’on m’avait promis. « Salut, le nouveau d’où viens-tu ? » Je m’évertuai à répondre à un flot de questions qui fusaient dans tous les sens, alors que je n’avais qu’une envie, celle de m’isoler pour pleurer. Mais j’étais un rude je n’allais pas dévoiler mes faiblesses. Fatigué par ce long déplacement je me couchais enfin sur un petit lit conçu pour un enfant de quatre à six ans, moi qui étais dans ma onzième année ! La position idéale sur cette couche inconfortable était celle du chien de fusil, en prenant soin d’éviter quelques ressorts qui visiblement n’avaient pas résisté à l’épreuve du temps. Je me suis endormi rapidement et j’ai été réveillé presque aussitôt par une salve de coups de balai qui atterrissaient sur moi un peu dans tous les sens. Chaque petit lit a eu droit à sa ration, peu de temps après, j’ai entendu des voix fluettes me demander :
« Elle t’a frappé toi aussi le nouveau ?
- Oui…
- il faudra t’y habituer, ce sera comme ça tous les soirs !».
Avant d’aller plus loin dans mon récit je veux vous faire part de la souffrance morale de l’enfant déraciné. Je n’avais pas à me plaindre, j’étais parmi les grands du centre qui avaient la possibilité de se protéger un peu ! J’ai une pensée émue pour les bébés qui ont vécu cette atrocité sans défense !Comme nous ils avaient été placés dans la maison du "rachitisme" par rapport à leur corpulence chétive. Comment a-t’on pu séparer des êtres si fragiles des bras de leur maman ? Je n’arriverai jamais à me l’expliquer ! Je vous dirai plus tard comment j’ai appris qu’ils étaient prisonniers eux aussi entre ces horribles murs au sous-sol.

Je reviens au tout début de mon long séjour. Ma tristesse était infinie, une seule idée hantait mes pensées et nourrissait une angoisse perpétuelle. J’aurais souhaité rentrer chez moi immédiatement pour ne pas avoir à souffrir pour retrouver mes parents, mes frères, revoir mes chiens, mes chats ils étaient sûrement eux aussi tristes de ne plus me voir ! Les minutes dans ces conditions sont alors semblables à des heures, les heures à des mois, les mois à des années ! Tout s’écroule, une immense solitude envahit l’esprit, elle ne se domine pas, on ne s’y habitue pas, on la subit. Mon premier réveil fut cauchemardesque, je ne peux pas vous le décrire, il est gravé en moi comme une plaie qui ne cicatrisera jamais ! Une «maman» basque arriva, c’est ainsi que nous devions les nommer ! Vous savez !…du genre de celles que l’on n’a pas envie de peloter, une rude, une pure, une solide à la main rugueuse rapide comme l’éclair ! La toilette matinale n’existait pas, j’ai un vague souvenir d’une douche commune prise durant la première moitié de mon séjour. Toujours au sous-sol j’allais prendre mon premier petit déjeuner. C’était un breuvage amer accompagné de quelques tranches de pain. Ce mélange de liquide en guise de café au lait pouvait favoriser les nausées. Les enfants récemment arrivés avaient du mal à s’y habituer. La cause ne résidait pas dans le fait qu’ils étaient tous difficiles croyez-moi ! « Mange, me lança un de mes camarades, il faut que tu manges !». Je n’avais pas faim, mon estomac était noué ! Mais il fallait bien que je fasse ce gros effort sur moi, j’ai fini par avaler quelques gorgées. J’ai vu des «nouveaux» (c’est ainsi que nous les surnommions à la maison du rachitisme) refuser de se nourrir au moins pendant deux jours ! Les plus anciens s’arrangeaient pour que la surveillante ne s’en s’aperçoive pas. La faim finit toujours par l’emporter et persuade les estomacs les plus délicats! On nous servait des repas toujours semblables et il n'était pas rare de trouver notre ami préféré le cafard dans une de nos assiettes ! Il ne fallait pas s’en plaindre, c’était, paraît-il, normal ! Ma mère m’a confié qu’elle avait eu la curiosité d’observer, le jour de mon départ, l’enclos aux poubelles. De grosses boites de conserves d’environ cinquante kilogrammes sans étiquette s’y trouvaient. Un soir on nous a servi une omelette aux lentilles, je dois dire que nous avions rechigné à manger ces dernières à midi ! Aux cuisines on avait l’art d’accommoder les restes n’est-ce pas ? On s’encourageait, il fallait achever ce que l’on avait dans nos gamelles, c’était devenu une sorte devmission ! Nous étions arrivés dans le but de reprendre du poil de la bête ! Et des bêtes nous étions devenues ! La pire des épreuves gustatives nous attendait en milieu d’après-midi. On nous obligeait à ingurgiter ce qui était sensé être du lait !Je connaissais bien le bon goût de ce dernier je le buvais par giclées au pis de ma chère Flourette ! Là, seule la couleur blanche pouvait entretenir une mince illusion sur ce nectar précieux. Une fois en bouche, notre seul recours était d’avaler le breuvage le plus rapidement possible pour éviter les retours aux relents amers et nauséabonds !Certains enfants se sacrifiaient en buvant celui de leurs camarades qui ne pouvaient absolument pas supporter cette curieuse potion ! Tous les verres devaient être vides à la fin de cette dégustation forcée ! Était-ce une potion à effets secondaires ? Je ne le saurai jamais ! Ah !…Ne croyez pas que l’on ne se marrait pas de temps en temps ! On ne manquait pas d’idées, le matin on avait quartier libre dans la cave. Mais ne vous inquiétez pas trop pour nous la malbouffe avait son coté bénéfice : l’esprit n’en est que plus alerte ! Nous avions des idées, pour nous amuser. Notre jeu favori consistait à capturer les bestioles qui crapahutaient sur le sol. On avait là une superbe réserve à portée de main. Les rongeurs se méfiaient de nous, contrairement aux cafards qui sont des bestioles, reconnaissons-le, stupides ! Nous ne leur laissions aucune chance de nous échapper ! On les remuait dans tous les sens avec nos petites menottes que l’on ne lavait jamais. Eh bien, vous allez peut-être difficilement me croire nous n’étions jamais malades ! Nous avions inventé -du moins le pensait-on la course de cafards, un jeu qui nous occupait et qui nous faisait rire aux éclats ! Vous allez me dire : « Il faut peu de chose pour amuser les gosses » …et c’est très vrai ! Nous organisions des compétitions épiques…non hippiques !
C’est seulement quelques années plus tard en regardant un film culte que la télévision diffusait chaque année ou presque, " Les trois chevaliers du Bengale" que je me suis aperçu que les acteurs prisonniers dans un cachot jouaient avec ces insectes selon les mêmes règles que nous ! Incroyable non ? On nous amena un jour à l’océan, cela à notre très grande surprise ! Nous avons eu l’autorisation de tremper nos pieds dans l’eau ! Devant nous, un rocher sur la plage était couvert d’escargots de mer. Un copain m’ a dit : « Ils sont bons à manger » Et bien croyez-moi, ils n’ont pas eu le temps de sortir les cornes ! Je vais maintenant vous parler d’une journée bien particulière ! Bien que présents dans ce centre, mes copains de caverne ne me paraissaient pas chétifs ! Je n’ai jamais constaté chez eux le moindre souci pouvant justifier la nécessité de leur présence à Biarritz, on peut-être maigre et en grande forme physique, je l’ai appris plus tard en pratiquant le sport cycliste. Aujourd’hui je me dis avec beaucoup de recul qu’une organisation malsaine était bien en place en ce début de cinquième République ! Mais cela n’est pas un scoop ! Les enfants de la Réunion ont souffert d’une politique déracinement immonde ! Avec le Ministre de Charles….Michel Debré, c’était de gré ou de force ! À qui profitait le crime ? Un jour, j’ai eu le malheur d’avoir mal à une dent, vous savez à quel point on souffre dans cette situation ! Comment allais-je faire accepter à la basque à la main rugueuse que mon cas était urgent ? J’étais un douillet, un simulateur je faisais tout pour me faire plaindre ! Mes braves copains avaient beau me soutenir elle s’en fichait royalement ! Après de longs jours de souffrance elle a décidé enfin d’en toucher un mot à la Direction. La décision de me conduire chez un dentiste en ville fut enfin prise. J’allais m’absenter de la cave pour une balade dans la superbe ville balnéaire ! Après avoir décapé très sommairement mon enveloppe charnelle crasseuse j’ai mis ma tenue de sortie. Madame la Directrice était la très sympathique personne à l’accueil, elle se chargea de mon déplacement chez le praticien son mari. C’est ce que j’ai appris bien plus tard, notre homme était chirurgien dentiste. Au volant de sa belle limousine dans le centre de Biarritz, elle grilla un feu rouge.
Un coup de sifflet se fit entendre aussitôt ! Sans se démonter, ni ralentir, elle lança à l’agent : « Je n’ai pas le temps vous nous enverrez la note ! ». Il me tardait d’arriver chez mon sauveur après tout il y avait urgence ! Je me trouvais allongé confortablement pour une fois! Le dentiste décida de m’extraire la dent malade. J’ai une dentition relativement bonne encore aujourd’hui, je suppose qu’il devait s’agir d’une dent de lait ! L’avantage c’est qu’elle ne m’a plus jamais fait mal ! Ils parlaient entre eux, et il lui a dit : « Tu peux m’amener tes pensionnaires, filles ou garçons je suis sûr que je leur trouverai au moins deux ou trois caries !». C’est à cet instant précis que j’ai réalisé que nous n'étions pas seuls dans le bâtiment. Comment imaginer qu’après de longs mois, nous n’avions ni croisé ni aperçu d’autres enfants filles ou garçons âgés de deux à douze ans ? Il n’y avait aucune âme qui vive à part nous les pestiférés ! De retour dans les entrailles de l’immense demeure j’en ai parlé à mes copains de cellule. « Non !…non !…nous sommes seuls » me répétèrent en chœur mes copains ! On entendait bien quelques cris stridents qui perçaient la froideur de la nuit parfois, mais rien ne nous laissait supposer que des bébés occupaient non loin de nous ce sous-sol lugubre !

Puis, arriva ce jour spécial où la mégère de service nous a dit : «Dépêchez-vous !…On va aller se cacher, il ne faudra pas parler, c’est un jeu, il y aura une récompense à la clé !». Elle nous conduisit dans une cave encore plus obscure que celle à laquelle nous étions habitués et ferma la porte à clé ! Dans un silence glacial nous sommes restés là, terrés. Après de longues heures, une personne est venue nous ouvrir ! « C’est bon !…vous pouvez sortir !». Nous attendons toujours la fameuse récompense ! Enfin si, elle allait faire son apparition sous une forme déguisée ! Quelques semaines avant mon départ, on allait enfin quitter le trou à rats et nos camarades de jeu les cafards. Nous allions prendre nos quartiers dans un beau dortoir avec de grands lits, tout était magnifique à mes yeux et même confortable ! Nous disposions de grands lits, d’une salle de bain, et surtout les personnes qui s'occupaient de nous étaient gentilles ! Nous avions droit à autant de bisous qu’on le souhaitait le soir avant de nous endormir ! Le réfectoire était grand la nourriture excellente, mais que s’était-il passé ? J’attribue aujourd’hui ce changement radical à un contrôle officiel le jour de notre isolement forcé dans les profondeurs de la fondation ! Il a très certainement fait prendre conscience à la direction qu’elle devait changer de méthode au risque de se faire épingler par la patrouille ! J’ai été surpris de rencontrer à l’étage supérieur au nôtre des enfants très bien habillés, entourés de nombreux jouets dans des salles superbement décorées ! " Là, tout n'est qu'ordre et beauté,: Luxe, calme et volupté " merci cher Baudelaire ! Ils étaient ce jour-là occupés à jouer à des jeux de société. Monsieur le Directeur avait une politique sanitaire à deux vitesses ! Les enfants de parents riches vivaient leur séjour au dernier étage de la somptueuse bâtisse ! Les enfants des pauvres descendaient directement au sous-sol ! Financièrement nous étions très rentables pour l’homme d’affaires ! Je vous rappelle que le centre hélio-marin était agréé par le ministère de la santé ! On ne mélangeait pas comme vous le constatez, les pauvres avec les riches chez ces gens là ! Peu importe d’un seul coup de baguette magique on vivait dans un autre monde ! C’était un début de vie au château qui nous tendait enfin les bras à nous les pouilleux ! Nous avions l’autorisation d’écrire à nos parents mais nos lettres étaient lues ! Je me remémore que j’écrivais phonétiquement, j’étais presque illettré alors que je rentrais dans ma douzième année ! J’étais le chouchou d’une maman, elle venait à mes côtés lorsque je faisais la sieste et me couvrait de baisers, m’ont rapporté mes camarades. Le jour de ma libération est intervenue, hélas, presque aussitôt ! Ces conditions d’existence n’ont malheureusement pas duré très longtemps, d’après ce que j’ai lu sur le forum consacré au centre, avant d’être supprimé ! Décidément, dans cet aérium les mauvaises habitudes étaient tenaces !

Ce que je décris aujourd’hui, c’est ce que j’ai vécu et que je puise au fond de mon subconscient. Enfin sur le chemin du retour, j’étais heureux à la simple idée de revoir ma maison, mon père, mes frères, mes chiens, mes chats et tous les animaux de la ferme. Je n’ai jamais dit un mot de mon séjour déplorable à mes parents, j’ai tout fait pour occulter dans ma mémoire ces longs mois de souffrance, pour ne me souvenir que des quelques jours qui ont précédé mon départ ! J’ai fait la connaissance de Danièle et Brigitte, elles m’ont mis au courant de leur calvaire ! Elles avaient à peine plus de deux ans lorsqu’elles ont été séparées de leur famille et prisonnières du centre hélio-marin. Brigitte a pu se remémorer quelques instants de son triste séjour grâce à l’hypnose. Danièle est aujourd’hui psychologue, on se contacte de temps en temps au téléphone.
Elle m’a rapporté qu’elle était revenue amaigrie chez elle et que dans le train qui la ramenait, elle répétait en boucle : «pas la dame qui me donne des claques !…Pas la dame qui me donne des claques ! ». Un bébé d’à peine plus de deux ans n’invente pas ces mots si durs à entendre ! La seule explication que j’ai à vous donner d’après mon analyse, c’est que l’infirmière basque au revers expéditif devait la frapper régulièrement ! J’inscris ses paroles ici en lettres de sang ! «Si tu continues à te plaindre, je te fous une claque ! »…et bien entendu je n’ai aucun doute, elle frappait régulièrement Daniele et les autres petits en bas âge ! Elle devait venir se défouler en bas sur les pauvres petiots incarcérés cette soi-disant infirmière, qualifiée de gentille par les bambins d’en haut ! Danièle a le terrible souvenir, je le précise d’être attachée sur son petit lit ! J’ai pu sauver le témoignage de beaucoup d’enfants qui ont connu cet enfer à deux pas de la mer ! Ils sont très émouvants, à la limite du supportable ! Il faut avoir une certaine volonté croyez-moi, pour écrire sur un sujet qui vous a torturé l’esprit insidieusement en transformant votre petite âme d’enfant !













Le Noël du pauvre!

Une fête reste une fête que l’on soit riche ou pauvre, Noël résonnait ainsi en moi lorsque petit bonhomme mes yeux commençaient à scintiller à l’approche d’une journée, qui par tradition ne pourrait être qu’enchantée! Aussi ne fallait-il pas négliger les préparatifs afin que le vieillard à la grande barbe blanche puisse repérer de loin ma petite maison, sa cheminée, et qu’il soit surpris par une décoration que je souhaitais aussi féerique que possible. Il fallait donc tout prévoir afin que cette nuit s’illumine de couleurs scintillantes. Mon premier travail consistait à partir à la recherche de ce qui ressemblerait le plus possible à un beau sapin. Mon père m’avait longuement expliqué que le Roi de la forêt ne devait en aucun cas être coupé pour servir à la décoration, c’était d’ailleurs pour lui une atteinte à la vie, et il ajoutait même qu’un acte criminel de ce type devrait être sévèrement puni! Je doutais un peu face à ses fortes paroles, mais quelque chose en moi m’obligeait finalement à les prendre au sérieux. Cet homme était un sage, alors rien ne devait m’éloigner du chemin qu’il traçait avec bienveillance pour moi. Il me montra alors du doigt la colline en me disant que j’avais de quoi trouver mon bonheur dans ce coin aride parsemé de plantes sauvages plus ou moins vertes et plus ou moins rampantes. C’est donc dans l’espoir d’une découverte originale muni d’une petite hachette et d’un grand sac, que je suis parti confiant à la recherche de ma bonne fortune. Au-dessus de la voie romaine, des plantes dont j’ignorais le nom allaient pouvoir faire illusion. Je ramassai d’une main agile la fraîche mousse verte non loin de la fontaine gauloise aujourd’hui disparue. Quelques tiges feuillues piquantes à souhait ornées de boules rouges que l’on nomme aubépine donneraient un peu de gaieté à l’ensemble. J’oubliai, la mort dans l’âme le magnifique jeune sapin Douglas aux larges et douces ramures où nichait une mésange, pour enfin me trouver face à un beau genévrier qui une fois en place devrait sans compromis se substituer au petit prince de cette colline. Quelques traces marquaient sur la neige et me rappelaient que l’endroit n’était pas aussi désert qu’il semblait paraître.

Je ne sais pas si vous l’avez constaté, mais lorsque l’on est occupé, le père temps semble s’écouler plus vite. Le clocher de la petite église du Mas du Noyer me fit un signe avec insistance,. Il était urgent pour moi de quitter ce paradis ombragé aux blancheurs éternelles. Chargé comme pouvait l’être jadis un mulet je rebroussai chemin habité par une certaine fierté pour planter le décor! Près de l’âtre deux petites bûches savamment ajustées bout à bout entretenaient une flamme tiède, animée par quelques braises. Après avoir intelligemment égayé la pièce d’artifices, le chef d’œuvre prenait enfin forme et notre poivre du pauvre finissait par ressembler à s’y méprendre au plus beau roi que la forêt pouvait abriter lors d’une nuit givrée. La neige cotonneuse faiblement éclairée par un halo lunaire rasant finissait par ajouter à ce décor enchanté un effet surréaliste.
C’était mon premier cadeau, celui-là je l’avais mérité, et à lui seul il comblait pratiquement toutes mes espérances. La nuit du réveillon était semblable à toutes les soirées en attendant le repas du lendemain qui tradition oblige, était légèrement amélioré. C’est donc avec amour que ma maman me prépara pour marquer de son empreinte ce qui devait être à ses yeux aussi un soir de réveillon un bol de chocolat. Elle me le servit accompagné de larges tartines qu’elle avait généreusement recouvertes d’une délicieuse confiture maison de myrtille. J’avais couché en résonance phonétique sur une feuille une liste d’envies, cette symphonie sans fausse note paraissait interminable. Mon imagination dans ce domaine musical semblait n’avoir aucune limite. Avec délicatesse j’avais glissé cette missive aux grands airs d’espoir dans une enveloppe blanche, puis dans une de mes chaussures alignée au cordeau face au plus fier des conifères.

Il fallait, en bon enfant prévoyant, penser au vieil homme au traîneau qui dans sa longue tournée allait avoir froid et faim, un bon verre de lait entier de la Blanchette aurait toutes les propriétés d’un bon remontant, et lui ferait le plus grand bien après un si long voyage. L’heure des songes enchantés allait bientôt sonner, et c’est après un petit papa Noël entonné par la voix douce d’une mère à l’écoute des moindres désirs de son rejeton que mes paupières allaient se fermer lentement éclipsant d’un souffle léger ma conscience. J’étais enfin baigné dans un espace enneigé où mille carillons me berçaient avec délicatesse en m’éloignant lentement d’une douce réalité. Puis arrivait comme par magie l’instant solennel où d’un pas décidé je me dirigeais vers le coin rêvé aux multiples surprises ! D’un seul coup d’œil j’apercevais le verre vide de son contenu qui témoignait que le brave vieillard à la grande hotte ne m’avait pas oublié ! Mais où avait-il déposé les paquets renfermant mes cadeaux ? Mes chaussures étaient bien à leur place, et l’enveloppe avait bien disparu ! C’est à ce moment précis que j’ai entendu ma maman prononcer ces mots dont l’écho revient encore en moi comme dans une mauvaise fiction «Tu sais Maurice, j’ai vu le père Noël, il a pris ta lettre et tout en buvant ton verre de lait, il m’a expliqué qu’il n’était pas plus riche hélas cette année que l’année dernière, qu’il avait été obligé de donner ses jouets à des petits enfants bien plus pauvres que toi. Il te remercie pour ta délicate attention, il a laissé ces quelques oranges en témoignage de son passage. Avant de s’éloigner sur son traîneau tiré par deux superbes rennes il a ajouté qu’il ferait son possible pour t’offrir un cadeau présent sur ta liste la prochaine fois, il m’a chargé de t’embrasser». Ces paroles aussi tendres que dures à entendre, puis à accepter, m’ont cependant rassuré. Le père Noël était très pauvre certes, mais il existait bien, c’était un personnage juste et droit semblable en tous points à Dieu! Il ne m’avait pas oublié dans son immense tournée autour de la terre ! Cela suffisait à me rendre heureux et joyeux, à l’image de cette fête aussi mystérieuse que magique pour un petit homme…NOËL !















Une journée d’école à Capdenac dans les années soixante, le jour où tout a failli basculer !

Si vous avez l’occasion de balayer du regard cette cour d’école aujourd’hui, dites-vous que rien n’a vraiment changé depuis les glorieuses années où petit écolier je la parcourais brodequins aux pieds. Je vais essayer de vous décrire ce qu’était la vie des écoliers dans le courant des années soixante en ce haut lieu de la culture. Le portail en fer forgé s’ouvrait sur un espace sobre parsemé de petits platanes. Les instituteurs avaient pour habitude de parcourir cet espace clos dans d’incessants et curieux allers-retours, composés d’une marche avant et d’une marche arrière. Ce mouvement de balancier, dans une gestuelle bien huilée, ne pouvait jamais s’enrayer, Ils discutaient entre eux tout en surveillant les élèves. Ce mécanisme pouvait toutefois marquer un temps d’arrêt suite à une glissade ou à un télescopage accidentel.

L’enceinte en terre battue était en léger dévers et la vitesse que prenaient les trois cents petites guiboles ne permettait pas toujours d’éviter les dures rencontres non sollicitées! Dans ces conditions extrêmes les genoux couronnés n’étaient pas rares. A l’air libre, sans soins particuliers, les blessures finissaient toujours par cicatriser. Rapidement arrivait le fatidique son de la cloche actionnée par une chaîne solidement accrochée à une poutre du préau. Préau qui nous servait d’abri en cas d’intempéries, qui pouvait aussi offrir un de ses coins afin de permettre à un éventuel étourdi qui n’avait pas appris ses tables de multiplication de remédier à cet impensable oubli. Il lui suffisait pour cela de parcourir le dos du cahier qui faisait office de brouillon. Cette suprême punition durant la récréation nous permettait de prendre conscience que les études passaient avant l’amusement !

Nous pouvions aussi jumeler cette offense à notre dignité d’écolier par des tours de cour les mains sur la tête, ou derrière le dos. La pire de toutes ces sanctions restait celle où nous devions accomplir ce même outrage dans l’enceinte des filles! Une rangée de commodités turques bien pratiques aux portes pleines mais ajourées par l’inexorable rudesse du temps, longeait un mur d’enceinte pratiquement infranchissable. Bien entendu, les filles et les garçons ne partageaient pas le même secteur d'études, en ces temps reculés la morale prédominait sur tout, l’éducation nationale ne voulait pas, vous l'avez compris s’exposer au moindre risque!. Toutefois, ce contexte sobre qui prête aujourd’hui à sourire n'influait aucunement rassurez-vous sur notre imagination débordante.

La semaine scolaire s’étalait du lundi au samedi après-midi, nous rentrions le matin à neuf heures et nous quittions l’établissement à quatre heures et demie. Le jeudi nous n’avions pas classe mais cela ne veut pas dire que nous étions au repos, nos parents nous trouvaient diverses occupations pratiques ! Lorsqu’on est entouré de champs et d’animaux il y a toujours de quoi occuper un esprit épris d’oisiveté ! Les vacances d’été avaient une durée de trois mois environ. Intelligemment nous avions séquencé les trois trimestres par diverses activités ludiques mais aussi physiques. La rentrée autour du vingt septembre était consacrée aux billes que l’on achetait chez la Marinette. C’était une toute petite surface aux multiples gâteries pas très loin de l’entrée de l’école Saint Louis. Le paquet de cent billes en terre avait une valeur marchande de cent francs, la bille était donc à un franc! Ce petit calcul rapide est là, pour vous prouver que mon passage à l’école primaire n’a pas eu que des côtés négatifs. Les agates en verre aux reflets multicolores étaient à dix francs, il existait le boulard bien plus gros mais aussi la bille en plomb, nous pensions avoir une fortune en poche! Cette grande richesse se mélangeait souvent dans nos tabliers gris avec de succulentes châtaignes fraîchement ramassées puis grillées au feu de bois. Ce délicieux fruit très nourrissant à l’enveloppe épineuse était surnommé "le pain du pauvre" Il était largement utilisé dans nos campagnes et pouvait se conserver toute l’année. Aux petites mains il servait parfois de monnaie d’échange lorsque par malheur nous étions kuffés! "Sans billes".
Nos jeux étaient variés, soit on débutait une partie de triangle , soit on jouait au trou! Alors les phrases aux timbres magiques fusaient de nos petites bouches : « Point de dégouline ! Point de patte! Je vais te kuffer! » Une suite de mots magiques que nous comprenions tous, et qui nous permettaient de passer un très agréable quart d’heure. Nous entonnions un peu plus tard dans l'année les «Qui c'est qui veut jouer aux gendarmes et aux voleurs? » Ou le fameux :«Qui c'est qui veut jouer à trape trape? » Ces moments de liberté cependant passaient bien trop vite à notre gré! Certains élèves dès leur arrivée le matin étaient de corvée pour allumer le poêle à charbon. Une agréable chaleur était donc bien en place pour nous accueillir, à l’instant même où la cloche sonnait le moment du grand rassemblement. En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, les rangs par deux se formaient dans un silence qui aujourd’hui paraîtrait surprenant, tant il contrastait avec la minute qui l’avait précédé. Devant la porte l’instituteur d’un signe autorisait l’accès à la salle de classe. Deux ou trois allées séparaient des petits bureaux à deux places où un petit banc solidaire servait d’assise aux élèves. L’odeur bien particulière de cette pièce réservée aux études emplissait nos narines. C’était un parfum olfactif difficile à décrire, fait d’un savant mélange de craie, d'encre, de gommes, de cahiers et de livres! Sans oublier l’odeur du chauffage aux effluves charbonneuses si particulières. À l’époque des machines à vapeur, nous nous étions habitués à ce type de confort passager! Nos fermes étaient équipées d’une cheminée avec un effet chaud devant froid derrière pour faciliter le tirage et bien souvent la porte d’entrée restait ouverte pour éviter les émanations de fumée à l’intérieur de la pièce à vivre. L'académie de Toulouse, vous voyez ne lésinait pas sur le bien-être de ses petits étudiants. Face à notre pupitre nous attendions patiemment l’ordre du maître qui nous ordonnait de nous asseoir. Cette phrase était suivie généralement d’un : « Sortez votre cahier du jour!». L’instituteur commençait alors de morale, très importante à ses yeux.

Après nous avoir expliqué les règles d’une bonne conduite sur divers sujets de l’existence, il prenait la craie et dans une écriture faite de pleins et de déliés le tableau s’incrustait de sages paroles. Une fois la phrase moralisatrice définitivement inscrite nous devions la recopier à l’aide de notre plume légèrement humectée dans l’encrier. L’écriture est un art de nos jours oublié, je vous invite à consulter les anciens registres dans nos mairies pour en saisir les contours aux multiples facettes. Plume légère en montant puis accentuée dans sa descente, la lettre ainsi posée devient une œuvre d'une finesse admirable. Les taches ne sont pas admises, il faut beaucoup d’expérience et de doigté pour obtenir une récompense désignée par un bien ou un très bien. Les uns après les autres, nous nous levons et toujours dans le plus grand calme, nous avançons vers la chaire et tendons le cahier ouvert à l’homme nanti d’une grande instruction. Il nous demande si l’on a bien compris ses explications du matin, et nous pose une ou deux questions à ce sujet, sa plume imbibée d’encre rouge parcourt les quelques lignes et en marge tombe par magie l’appréciation. Le bonheur on le ressentait déjà dans un assez bien, alors lorsqu’on atteignait le sommet de la récompense avec un très bien, inutile de vous décrire la fierté qui fusait en nous! Ainsi passait la journée où le français côtoyait les mathématiques, avec ces fameux trains qui partaient en gare de Capdenac vers Cahors à une certaine vitesse, mais qui contrairement à la régularité exigée par la SNCF pendant cette glorieuse époque, n’étaient jamais à l’heure, et il fallait bien entendu dire à quel endroit ils allaient se croiser! Difficile me direz-vous sur une ligne à une voie! Les réserves d'eau n'étaient jamais étanches et d'astucieux vases communicants ajoutaient leur grain de sable à un résultat que nous devions trouver et qui nous faisait inévitablement bouillir les neurones ! Nous sortions une fois par jour l’ardoise pour du calcul mental et c'était à celui qui trouverait le bon résultat en premier! Il pouvait ainsi gagner un bon point ou une image! À ce jeu-là, certains d'entre nous montraient une certaine aisance. D’autres qui au contraire avaient sûrement déjà des facultés résolument tournées vers la littérature ne progressaient guère ! Heureusement la brave cloche actionnée grâce à une chaîne par l'élève de service venait, à intervalles réguliers, nous délivrer de ces prises de tète incessantes mais oh combien utiles et instructives.

Le repas de midi que nous avait concocté avec amour la mère Closel arrivait à point. Nous faisions notre possible pour lui être agréable en l’aidant dans son service, afin de pouvoir avoir accès à la réserve au Petit - beurre. Évidemment nous nous remplissions les poches sans le lui dire! Je n’appréciais pas la nourriture qui nous était servie. Sans être ni hindou ni disciple de Pythagore, je n'ai pas voulu toucher un seul morceau de viande pendant plusieurs années. L'esprit n'en était que plus alerte, aussi bien retrouvait-on le même régime dans la plupart des internats, c’est ce que m’ont fait comprendre les quelques années de pensionnat au lycée Champollion de Figeac! S’il faut en croire le philosophe Alain : "Il y a une odeur de réfectoire, que l’on retrouve la même dans tous les réfectoires. Que ce soient des Chartreux qui y mangent, ou des séminaristes, ou des lycéens, ou de tendres jeunes filles, un réfectoire a toujours son odeur de réfectoire. Cela ne peut se décrire. Eau grasse ? Pain moisi ? je ne sais. Si vous n’avez jamais senti cette odeur, je ne puis vous en donner l’idée ; on ne peut parler de lumière aux aveugles. Pour moi cette odeur se distingue autant des autres que le bleu se distingue du rouge.

Si vous ne la connaissez pas, je vous estime heureux. Cela prouve que vous n’avez jamais été enfermé dans quelque collège. Cela prouve que vous n’avez pas été prisonnier de l’ordre et ennemi des lois dès vos premières années. Depuis, vous vous êtes montré bon citoyen, bon contribuable, bon époux, bon père ; vous avez appris peu à peu à subir l’action des forces sociales ; jusque dans le gendarme vous avez reconnu un ami ; car la vie de famille vous a appris à faire de nécessité plaisir. Mais ceux qui ont connu l’odeur de réfectoire, vous n’en ferez rien. Ils ont passé leur enfance à tirer sur la corde ; un beau jour enfin ils l’ont cassée ; et voilà comment ils sont entrés dans la vie, comme des chiens suspects qui traînent un bout de corde. Toujours ils se hérisseront, même devant la plus appétissante pâtée. Jamais ils n’aimeront ce qui est ordre et règle ; ils auront trop craint pour pouvoir jamais respecter. Vous les verrez toujours enragés contre les lois et règlements, contre la politesse, contre la morale, contre les classiques, contre la pédagogie et contre les palmes Académiques ; car tout cela sent le réfectoire. Et cette maladie de l’odorat passera tous les ans par une crise, justement à l’époque où le ciel passe du bleu au gris, et où les libraires étalent des livres classiques et des sacs d’écoliers".

Après ces fortes paroles, et après avoir redressé mon ancienne casquette d’écolier un instant déstabilisée sur une tête vagabonde, je glisse avec vous vers la deuxième partie de la journée.
Elle était consacrée aux matières très importantes qui font travailler la réflexion et l’imagination. Nous avions des sujets de rédaction pas faciles à développer. Il m’en revient un à l’esprit : "Décrivez l’automne" Les séances de vocabulaire que j’aimais bien étaient très animées aussi ! L’orthographe avec sa fameuse dictée d’environ dix lignes en CM2 truffée d’accords avec le verbe être et avoir nous posait de sérieux problèmes! En effet, une faute entière comptait pour quatre points en moins sur vingt, la demi-faute sanctionnait un nom commun de deux points, la ponctuation et les accents oubliés un quart de faute ! À ce régime on atteignait rapidement le zéro pointé avec cinq fautes! Mais peu importe la besogne, il nous fallait être fin prêts pour le jour où l’ordre nous serait donné de sortir nos cahiers de composition! Notre plus grand bonheur venait encore une fois de cette brave cloche qui à quatre heures et demie résonnait à nouveau afin de nous délivrer de ces interminables casse-têtes! On reconnaissait la sonorité du soir, l’élève qui tirait sur la corde y mettait tout son cœur! La sortie était accompagnée de cris joyeux sonnant la liberté dès que l’on passait le portail en fer forgé pour regagner nos foyers. Il est à ce propos un souvenir moins heureux qui est resté ancré dans la mémoire collective de beaucoup d’écoliers, enfin c’est ce que je pense ! Comme chaque jour, matin et soir, le car de la société Laurens se chargeait du ramassage scolaire. De Capdenac-Gare en passant par la Madeleine et au-delà de Foissac, les enfants empruntaient l’autobus dans un aller-retour journalier.

En cette fin d’après-midi, c’est donc la tête remplie de nouvelles connaissances que
cinquante écoliers du cours préparatoire aux collégiens en classe de troisième, prenaient la route pour rentrer chez eux. Confortablement installés sur des sièges à l’assise ferme dépourvus de ceintures de sécurité, ils se trouvaient dans les lacets de la fameuse côte de Roquefort. Il n’y a pas jusque-là de quoi en faire un fromage me direz-vous! Oui mais voilà, ce jour- là, le garagiste du coin essayait une nouvelle déesse de la route! Au tiers de la montée, dans un virage en courbe pas très accentué ce bolide lancé à toute allure a eu la fâcheuse idée de percuter l’avant de notre bus! Dans une glissade miraculeuse, ce dernier s’est arrêté dans un mouvement de balançoire retenu en son centre par un brave chêne qui avait réussi l’exploit de prendre racine dans un coin où toutes plantes dites raisonnables hésitent à s’aventurer ! J’ai ressenti immédiatement une douleur vive au niveau du genou gauche qui s’est mis à saigner abondamment puis à gonfler. Heureusement cette blessure après consultation s’est avérée sans gravité. Seule une cicatrice attestera par sa présence l’instant où dans ma vie tout a failli basculer ! Des cris de frayeurs ont jailli de l’habitacle, le moteur du car a été immédiatement stoppé grâce au sang-froid du chauffeur à l’éternel béret basque. Ce brave père Laurens comme on l’appelait tous, avait eu un réflexe béni , il venait de sauver sans le savoir encore l’ensemble de ses petits passagers ! Sous nos yeux effarés, un ravin vertigineux, gueule grande ouverte, nous tendait ses bras. Cet espace béant d’environ quatre-vingts mètres de profondeur baigne ses pieds dans le lit du ruisseau la Diège. Elle était prête ce jour-là à nous offrir en guise d’adieu son lit. Le car scolaire en équilibre précaire devait se vider sans tarder avant que l’impensable ne se produise. Heureusement, le maître à bord encore une fois a su organiser son évacuation dans le calme. La portière qui permettait la sortie habituellement s’ouvrait face au précipice. Nous avons emprunté logiquement celle du conducteur. Je ne vous cache pas toutefois que le temps que l’on a mis à quitter le couloir central au moment crucial de l'évacuation nous a paru interminable. Des craquements inquiétants saccadés rythmaient notre future délivrance, et nos yeux évitaient de se focaliser vers l’espace diabolique qui nous aurait condamnés à une mort certaine. J’ai grâce à mon ami instituteur retrouvé l’endroit précis où a eu lieu le télescopage et le Saint arbre qui a permis la survie de très nombreuses âmes bien trop jeunes pour quitter le monde des études! Eh oui, il existe encore, son tronc robuste défie les années avec grâce et dans une révérence dont il a le secret il se rappelle à nous en tant que sauveur à l’écorce providentielle.





























Anselme le fossoyeur croque-mort bien connu des gens du pays, et Cyprien notre voisin le mendiant vers la fin des années cinquante.

Ce brave Anselme le fossoyeur fait partie des personnages qui ont marqué de leur empreinte la région qui les a vus naître. Qui ne connaissait pas Anselme? Aussi blanc que la farine du meunier, ou les fidèles clients qu’il transportait jusqu’à leur dernière demeure. Il était d’une maigreur qui ferait pâlir de jalousie tous les mannequins d’aujourd’hui ! Il faut dire qu’il travaillait beaucoup, l’époque que l’on traversait n’était pas avare avec lui, le glas sonnait souvent, un coup signifiait qu’une femme nous avait quitté, deux coups qu’il s’agissait d’un homme. Notre terrassier muni d’une pelle a passé sa rude vie à faire des trous de toutes les dimensions, contrairement au poinçonneur de la Porte des Lilas. C’était un brave, comme l’on en rencontre peu, fort en répartie ; d’ailleurs, pour asseoir son statut, il ne manquait pas de mentionner son passage à l’école primaire. Il se plaisait lorsque mon père croisait sa route funèbre, de lui rappeler qu’il avait bien connu son frère le professeur de lettres et lâchait alors cette phrase forte et sans compromis : «Je suis été à l’école avec ton frère Roger !» Il ne manquait jamais une occasion de discuter un moment avec le curé du village en le harcelant de : « Putain de moine monsieur le curé!». Un soir d’été il s’était rendu à Capdenac récupérer un cercueil sur mesure chez le menuisier en prévision de la mort de la pauvre mère Couderc qui avait disait-on dans le coin "perdu la tête!". Il se doutait bien par rapport à sa grande expérience que le fameux bouillon d’onze heures allait lui être servi prochainement. C’était un fossoyeur très prévoyant et comme on le dit souvent actuellement, mieux vaut avoir un coup d’avance ! Là, il en avait deux! La dame étant de forte corpulence il avait pris soin de creuser une grande fosse au cimetière ! Elle était fin prête à accueillir la future défunte ! C’était une après-midi où la lourdeur atmosphérique laissait présager une soirée électrique. Vous savez celle qui vous oblige à marquer un arrêt à tous les troquets que vous trouvez sur votre parcours pour vous désaltérer ! Ce qui devait arriver se arriva ! Alors qu’il était à mi-chemin sur le retour vers le clocher de l’église, il fut confronté à un violent orage qui le plongea en un instant dans un milieu sombre aux ombres lugubres ! Sa vieille jument grise Coquette connaissait la côte de Roquefort sur le bout de ses sabots, des déluges elle en avait essuyés bien d’autres et sûrement des pires! Au fil des années, elle avait fini par enregistrer les habitudes d’Anselme et, rapporte t-on au pays, elle s’arrêtait en face de tous les bistrots de la région sans que son maître éprouve l’utilité de lui en donner l’ordre. Patiente comme les morts qu’elle transportait elle attendait que son cocher se soit bien désaltéré. Brave dans l’âme, notre croque-mort avait toujours dans la réserve de la charrette un seau d’eau pour sa Coquette monture. Il n’y avait pas à se préoccuper du taux d’alcoolémie à l’époque ni de la vitesse excessive, l’attelage pouvait ainsi lanterner sereinement, même si son conducteur était ivre mort.

Mais revenons là où nous avions laissé Anselme ! Quand on fait face aux éléments qui se déchaînent, il faut réagir vite, surtout sous une pluie battante éclairée seulement par les flèches que lançait le diable ! Il décida de profiter d’un abri providentiel et se glissa dans le cercueil. Il ne tarda pas à s’endormir la journée avait été arrosée elle aussi, comme je viens de vous l’expliquer ! Ce convoi exceptionnel s’il en est continuait sa route sereinement malgré les éléments quand soudain une salve de coups de klaxons à réveiller un mort couvrit le grondement du tonnerre ! Notre homme sursauta dans la boîte se cognant au passage au couvercle qu’il soulevait d’une main tout en se frottant la tête de l’autre, hurlant sa douleur au grand air, blanc comme un linceul ! Nos automobilistes voyant ce cadavre fantomatique ébloui par les phares de leur voiture se ranimer sous leurs yeux, furent pris d’une frayeur soudaine et après un demi-tour digne des meilleurs films d’action hollywoodiens prirent la fuite ! Anselme, lui, n’a jamais su expliquer le comportement bizarre et surtout indigne de ces personnes étrangères à la région en manque total d’éducation. Ce brave courageux est mort au cimetière du Mas du Noyer occupé à creuser une fosse pour son prochain client. Le jour de son enterrement tout le village suivit le corbillard tiré par la brave Coquette , et rien ne semblait avoir changé ! Anselme était derrière et elle, devant !

Un deuxième pauvre gravitait dans la région il connaissait les lieux comme sa poche trouée, couvert de haillons. Je ne lui ai jamais connu une autre tenue, il la portait même pour les obsèques de sa pauvre femme "la Virgile". Il vivait de misère avec son amour dans une vielle bâtisse au fond d’une grange, où seul un morceau de toit qu’il entretenait annuellement les abritait des intempéries. Cyprien passait régulièrement nous proposer des escargots, des châtaignes, et un tubercule prisé par les riches aujourd’hui, que l’on nomme la truffe. Bien que presque aveugle, Il n’avait pas son pareil pour trouver l’or noir du Quercy ce pauvre hère! Nous étions ses amis il venait à la maison pour troquer sa marchandise, et il repartait avec quelques sous après avoir partagé une bonne soupe campagnarde. Ma grand-mère mère qui était une excellente cuisinière l’invitait souvent à déguster des mets dont elle avait le secret. Au menu elle servait des plats régionaux, escargots à l’oseille, truffes fraîchement cueillies. Tiens, à ce propos voici une recette très facile à réaliser je vous en dévoile aujourd’hui les ingrédients. Elle était d’ailleurs mentionnée dans un ancien livre de cuisine du début du siècle dernier ! Vous prenez un kilogramme de truffes du Quercy, vous les coupez en très fines tranches, vous assaisonnez légèrement avec de l’huile du vinaigre et une pincée de poivre, vous dégustez, c’est excellent ! Ainsi les pauvres d’avant pouvaient-ils se régaler avec des assiettes aujourd’hui réservées aux riches. Un kilogramme de truffes se négocie actuellement sur le marcher de Lalbenque entre huit cents et mille deux cents euros.

Revenons à notre brave homme. Un jour les pompiers sont venus le prévenir d’un drame qui venait de se produire au passage à niveau de la Madeleine. Sa pauvre aimée la Virgile sourde comme un pot avait été la malheureuse victime d’une satanée bête noire et ce jour-là pourtant un train n’en cachait pas un autre ! Notre brave Cyprien en devinant les restes éparpillés de sa chère épouse a eu cette phrase mémorable qui en disait long sur leur vie amoureuse !…En patois traduit.… « Milladiou…Aqueste cop ela comprès »!. « Ce coup ci elle a compris !»




















Cyprien notre voisin le mendiant

En ces temps difficiles la mendicité n’était pas interdite !


Aujourd’hui je vais vous parler à nouveau de notre voisin et ami Cyprien, né d'une famille misérable de mémoire ancestrale, à qui on n’ avait jamais connu un autre statut que celui de mendiant. Il n'y avait il faut bien le reconnaître aucun déshonneur à vivre de mendicité en ces temps abolis! Avoir la main tendue ne posait pas de problème, les riches n’avaient pas honte des pauvres et les pauvres ne rougissaient pas de leur indigence. Ils n’enviaient absolument pas leur richesse. La misère était omniprésente on pouvait être plus ou moins pauvres, on vivait ainsi sans en faire un drame ou encore moins un mélodrame !

La pauvreté curieusement n’étonnait personne, elle ne blessait personne, bien sûr je vous parle d’une période encore une fois pour que vous n’en soyez pas étonnés depuis très longtemps révolue. Jadis ces vagabonds sillonnaient nos campagnes, les effluves olfactives printanières comme par enchantement les sortaient de leur torpeur hivernale dans le coin d’une grange où ils hibernaient tels des ours dans la paille ou dans le foin. La besace accrochée à la taille, la barbe surabondante, la bouche édentée, illettrés, habillés de haillons, ils partaient à la recherche d’un peu de travail pour un croûton de pain ou pour un simple verre de vin. « Où il y a du pain et du vin le Roi peut venir » disait un proverbe, et on se contentait de cette maigre richesse ! Le Cyprien de mon enfance était si malheureux que je pensais qu’il n’avait jamais eu de parents.

Il avait vu le jour comme eux sur un lit de fourrage pressé par la lourdeur des années, L’accoucheuse de service, la mère Puech, était venue délivrer sa pauvre maman ! Inutile de vous dire que le travail s’était déroulé sans anicroche ce jour béni ! Les communes avaient une flopée de spécialistes des praticiens reconnus d’utilité publique par les habitants, mais dépourvus de diplômes bien évidemment. Du guérisseur au rebouteux, en passant par la sage femme désignée, la préposée aux piqûres et à la fin de son existence, la visite du croque-mort ! Les gens du pays jouissaient ainsi d'un multiservice à domicile gratuit ou presque! Il arrivait cependant que les événements ne se déroulent pas comme on l’aurait imaginé ou du moins souhaité. Ainsi une naissance pouvait-elle avoir des conséquences dramatiques ou au minimum très ennuyeuses. Un enfant par manque d’oxygène pouvait mourir ou au mieux devenir l’idiot du village. Le pire se produisait quand la mère et le bébé ne survivait pas à cette redoutable épreuve.

Parfois c’était soit un soit l’autre, une loterie morbide dont on se serait bien passée!
Pour notre ami Cyprien le miracle de l’existence n’avait posé aucun problème enfin presque, il allait souffrir d’une malvoyance héréditaire, mais grâce à Dieu il n’allait pas être sourd comme sa pauvre mère! Ainsi ses parents allaient-ils pouvoir goûter aux joies que procure la maternité. J’ai mis cependant longtemps à me faire à l’idée de cet état de fait! Je n’imaginais pas, enfant qu’il ait eu une famille. Il s’appelait Cyprien et cela suffisait amplement à mes yeux, pourquoi se serait-il embarrassé d’un patronyme ? Je ne vous cache pas ma déception quand j’ai appris qu’il avait un papa et une maman comme moi. Sa génitrice sans perdre de temps l’avait initié à son futur métier de mendiant, et tout petit il la suivait et l’imitait dans une gestuelle parfaite! Lorsqu’on appartient à une généalogie de mendiants on bénéficie de gènes qui permettent d’être armés pour affronter ce type de comportement. Il représentait un tout, semblable à ces personnages dont parle parfois dans les livres sacrés qui se suffisent à eux mêmes. Il pouvait très bien ne pas avoir d’ascendance sa présence sur terre elle seule n’avait à souffrir d’aucune explication ! C’était Cyprien l’unique, mon Cyprien, notre Cyprien le mendiant mythique de la vallée du Lot.
Cyprien avait une manière bien particulière de s’habiller il avait la fâcheuse habitude d’empiler sur sa carcasse les vêtements qu’on lui donnait. Dans cet accoutrement il adoptait sans le savoir la physionomie d’un Vendredi tous les jours de la semaine ! Il superposait même les couvre-chefs sur sa tête qui finalement ne paraissait pas dégarnie par rapport à son âge ! D’ailleurs quel âge avait-il ? Personne au pays n’était en mesure de répondre précisément à cette question ! Lui-même le savait-il ? Sa manière de se vêtir à l’aveugle avait l’avantage de libérer ses mains ce qui est essentiel pour un mal voyant qui cherche sa route à tâtons, et qui en plus tend la main pour quémander une misère! Cyprien était un redoutable chercheur d’escargots. Du petit gris au bourgogne très peu avaient la chance de lui échapper, même s’ils le voyaient arriver de loin avec leurs grandes antennes ! L’inverse n’était pas vrai, vous devez vous en douter ! Il venait les proposer régulièrement à ma grand-mère Marceline qui les mettait à dégorger dans une grosse réserve grillagée d’eau salée. Elle lui donnait alors quelques sous en échange, ou lui troquait ce trésor contre d’alléchantes victuailles. Parfois, elle l’invitait à venir les déguster quelques jours plus tard. Ces mollusques à cornes et à coquilles préparés à l’oseille étaient succulents, c’était de toute évidence à notre tour de baver devant eux avant d’être copieusement servi ! A une personne du pays un jour d’automne Cyprien lança : -Vau castanar ! Je vais ramasser des châtaignes. Elle moqueuse : -et comment pourras-tu les trouver, tu oublies que tu es presque aveugle ? Il lui répondit du tac au tac en grand expert en la matière : « Los mens uelhs ne'm sèrven pas ad arren, qu'ei dab los pès que'us senti!» « Mes yeux ne servent à rien, c’est avec les pieds que je les sens !».

Cyprien avait des parcours bien à lui, il passait souvent par Capdenac où une fois il avait donné une très mauvaise image de lui car il était ce jour, là dit-on habité par le démon ! Echo des paroles rapportées par les badauds qui avaient assisté à ce spectacle très désolant vous en conviendrez avec moi!! Jugez-en plutôt au récit cette scène burlesque ! Un jour qu’il était ivre mort, parce que des paysans mal intentionnés lui avaient offert du vin en abondance, et que tout le monde était inquiet pensant qu’il avait rendu l’âme, tant son attitude rappelait un début de coma éthylique, il reprit soudain connaissance en remuant ses membres engourdis! Chaque voyeur impuissant poussa à cet instant un ouf de soulagement et remercia le Seigneur pour sa grande générosité! Soudain, profitant de ce miracle inattendu son visage s’illumina ! Illumination encore une fois attribuée au Ciel qui permettait d’afficher aux aveugles ce sourire si caractéristique : « Gara ! soupira t’il en extase : « me caldrià una drolleta !» « Maintenant il me faudrait une fillette!» Tous les témoins de la scène biblique prirent la fuite offusqués par ces paroles sataniques mais tout de même rassurés sur le sort de ce pauvre hère. Il se rendait tous les ans à la foire de la commune de Faycelles, il faisait l’honneur de sa visite aux villageois, c’était à sa façon un prince en déplacement. Personne n’aurait pensé d’ailleurs une seconde qu’elle puisse avoir lieu sans lui ! L’annonce de son arrivée se répandait comme l’écho de la cloche perchée au sommet de l’église.
Les enfants à la sortie de l’école se précipitaient pour aller à sa rencontre. Moqueurs parfois ils imitaient le vrombissement des voitures ce qui le mettait hors de lui ! Il faut dire qu’un jour encore plus sombre que les autres une de ces satanées automobiles avait tué son brave chien Loustic auquel il tenait comme la prunelle de ses yeux, si vous me permettez cette expression quelque peu déplacée!

Est-ce un signe du destin? Le jour où Cyprien a cessé de venir, la foire a décliné, puis a fini par s’éteindre! « Post hoc, propter hoc ? » « A la suite de cela, donc à cause de cela » Relation de cause à effet ou pure coïncidence, mieux vaut ne pas essayer de trancher, afin de rester un très bon catholique ! C’était un homme important finalement, au pays, il présidait près du monument aux morts au centre des villages. Assis sur les marches du calvaire de pierres de Loupiac ou de Faycelles, il siégeait sur son trône au carrefour des quatre chemins! Cyprien tenait conseil au milieu de sa cour d’écoliers, il n’était pas rancunier ! Venaient se mêler à ce curieux colloque quelques paysans et mauvaises langues qui ne manquaient pas l’occasion de le harceler de questions indiscrètes. Ses réponses étaient très pertinentes et souvent l’interlocuteur se trouvait bien embarrassé, démonté par une verve à toute épreuve qu’il n’avait pas vu venir! Que ce soit dans son fief de Causse et Diège au lieu dit les Cazalous ou dans le secteur de la Madeleine et cela jusqu’au clocher des principaux villages il avait trouvé des âmes sensibles à son statut de misérable ! Rosalie, Marceline, Justine, et la Maria lui ouvraient leur cœur en lui faisant profiter d’une charité exemplaire ! Ce n’était pas pour autant un profiteur, il n’arrivait jamais les mains vides. Dans son petit sac en jute se trouvaient tous les trésors que la nature généreuse offre aux chercheurs avertis au gré des saisons. Dans cette précieuse réserve pouvait se cacher l’or noir du Quercy, des cèpes, des châtaignes, des noix, ou encore des mûres et des fraises des bois. À Loupiac un jour il rencontra une petite fille et lui proposa de lui offrir justement ces précieuses perles roses pur nectar des forêts. Ne sachant pas où les mettre il eut l’idée de les déposer dans son joli chapeau blanc. Inutile de vous faire un tableau de l’état de la coiffe de la fillette quand fière de cette offrande, elle déposa la précieuse marchandise en arrivant chez elle avec ces heureuses paroles : « C’est Cyprien le mendiant qui me les a données !». Il trouvait dans cet échange de bons procédés, une ouverture enrichissante en élevant son âme pure de mendiant.

Cyprien a eu une fin tragique, aussi douloureuse et dramatique que celle de sa pauvre Virgile son amour. Souvenez-vous elle avait été la malheureuse victime d’une satanée bête noire au passage à niveau de la Madeleine ! La dernière fois que j’ai entendu parler de lui, c’était par la voix de mon père qui a répondu à ma question : « On ne voit plus Cyprien depuis longtemps, où est-il ? ». « Tu sais Maurice, il était âgé, il vivait dans une très vieille grange où un seul coin de toiture l’abritait. Cet hiver il a voulu replacer quelques tuiles pour qu’il ne lui pleuve pas dessus et il a fait une chute mortelle ! On n’a rien retrouvé de lui, à part quelques os, les rats l’avaient entièrement dévoré ! ». Ainsi finit tragiquement la vie de notre ami Cyprien, le mendiant qui marqua de son empreinte de pauvre et de riche à la fois mon incroyable jeunesse. Ce festin aussi horrible était-il ne m’a cependant pas étonné, Cyprien habitait derrière le moulin à eau sur la route qui mène à Cajarc. Mes parents et moi accompagnés de Pompon le percheron, nous nous étions rendus dans ce grenier à blé récupérer quelques sacs de farine plusieurs mois avant ce drame. Chaque ferme avait son four à pain et nous avions l’habitude de confier une partie de notre récolte à moudre au brave minotier d'en face. C’est là que j’ai vu le plus de rats de ma vie, Ils crépissaient le pan du mur à l’entrée de la meunerie, mon chat lui-même aujourd’hui n’en reviendrait pas ! Pour me rassurer l’homme aussi pâle que du blé concassé en attrapa un par la queue. L’animal surpris n’eut cependant aucun mouvement de défense et dans un ample geste notre homme le balança dans le remblais en contrebas ! « Vous boirez bien un café ? ». Je n’ai pas eu le temps de dire non! non ! à ma mère que notre broyeur de grain avait déjà lancé cette phrase à sa brave femme : « Prends le balai et fais sortir les bestioles de la cuisine ! ». Elle pénétra dans la pièce et à grands coups de manche elle fit sortir une bonne dizaine de rongeurs bien portants. Je me souviens d’avoir attendu la fin de la dégustation les jambes levées une fois à l’intérieur de la pièce, afin d’éviter les quelques animaux domestiqués qui avaient esquivé la sortie précipitée et qui circulaient encore dans la pièce ! Tout cela pour vous dire que ce vertébré souvent considéré comme répugnant est intelligent et sociable à l’image de son ennemi le chat lorsqu’il cohabite avec l’homme, aussi docile et brave que son cousin tout blanc qui sert de cobaye dans les laboratoires ! Cette scène surréaliste vous en conviendrez encore une fois avec moi, je ne l’ai jamais observée dans un quelconque film!





































Les vieux pieds de vigne de Loupiac…

Il existe des petits coins de France où les traditions se perdent, hélas !


A Loupiac, l’endroit le plus propice aux rencontres entre gens du pays était naturellement le bistrot. Chacun avait sa petite anecdote à raconter et évidemment même si on ressassait souvent les mêmes anecdotes, c’était toujours avec un égal plaisir que l’on tendait l’oreille pour les écouter autour du bar après quelques tournées au bon vieux rouge ou blanc des coteaux environnants et un bon château Loupiac. C’est quand même quelque chose n’est-ce pas ? Ce soir-là, en guise d’amuse-gueules allait retentir l’aventure du Gabriel et du Jantou. Une sacrée rigolade allait s’ensuivre ! En tout début de soirée, on avait déjà évoqué pour chauffer l’ambiance le fameux jour où lors de l’enterrement du pauvre Louis, un très gros pavé lancé avec force était tombé dans la vasque du bénitier au premier rang de l’église, baptisant généreusement une deuxième fois lors de leur sainte existence, une grande partie des grenouilles en pleurs. Cela fera l’objet d’une autre histoire. Toujours est-il qu’elle avait permis au conteur de service de se remémorer celle que je vais vous relater maintenant.

Le fait divers qui va suivre a entretenu les rires bien après qu’il se soit déroulé dans les fermes du grand secteur de Causse et Diège lors des veillées autour d’un bon feu de bois. Lorsque notre brave Gabriel rentrait du boulot il croisait régulièrement "le Jantou" installé dans son automobile qui devait dater de la dernière guerre, et régulièrement ce chauffard restait en phare alors que la nuit plombait déjà largement le secteur ! Il décuvait au volant car il respectait à la lettre la recommandation du ministère de la santé de l’époque qui préconisait à un travailleur de boire au moins un litre de vin du pays par jour! Cette phrase était affichée un peu partout dans les lieux du service public, Jantou la connaissait par cœur et retenait surtout la mention sans équivoque «au moins» qu’il appliquait à la lettre, croyez-moi sur parole ! La même mesure était également mise en avant pour le bienfait du tabac !. Enfin, vous l’avez compris le mot d’ordre était : « Tous engagés pour soutenir la viticulture et l’agriculture de notre belle région ! ». Notre Jantou finissait toujours sa terrible journée dans le bistrot de la Marcelle avec les éternels habitués du coude levé. Voici en quelques phrases comme a commencé cette histoire : «Miladiou !…s’exclama le Gabriel, je prends tout le monde ici à témoin ! Je vous fais le pari de trois tournées gratuites que si le Jantou me remet les phares en pleine tronche comme il a l’habitude de le faire presque tous les soirs je lui fonce dessus !». « T’as que de la gueule, tu ne le feras pas !», reprirent en cœur les piliers de comptoir. « Eh bien, c’est ce que l’on va voir ! » Le Jantou, qui bien entendu était présent a immédiatement pensé : « Il est con, mais pas à ce point quand même !» tout en se réjouissant déjà de picoler gratuitement peu de temps après !

Le soir de la rencontre tant espérée ne tarda pas, alors qu’il roulait tranquillement, Gabriel vit arriver face à lui, feux de route enclenchés l’animal à abattre ! Enfin, c’est ce qu’il pensa, et profitant de l’aubaine sans hésiter une seconde les bras crispés sur son bolide il se dirigea droit vers sa cible ! Il ne le savait pas encore, mais il allait être victime d’un double choc ! Les véhicules s’arrêtèrent net dans un fracas de tôles assourdissant. Gabriel était fier de lui, son pari il l’avait désormais en poche ! A peine remis de cette intense émotion, il se dégagea de l’épave et vit face à lui deux lumières vives qui le fixaient avec insistance en plein visage ! Qu’avait-il donc fait au bon dieu pour que tant de rayons lumineux de forte intensité s’acharnent ainsi continuellement sur lui ? Il comprit presque aussitôt et, tout en faisant virevolter son couvre chef sur sa tête comme il avait l’habitude de le faire devant les situations grotesques, il aligna ces paroles qui restèrent à jamais gravées dans la mémoire collective des habitants du village, tant elles étaient appropriées à la scène imprévue ! « Aqueth còp si èi pas tròp lusit ! » « Ce coup-ci je n’ai pas trop brillé !». En effet, face à lui deux pandores du coin se rapprochaient afin d’entreprendre un brin de causette ! Il leur expliqua bien évidemment sans se démonter une seconde, qu’il avait été ébloui par les phares de leur voiture ! On a beau être assermenté on se doit avant tout de respecter le code de la route n’est-ce pas? Ils lui demandèrent dans la foulée s’il avait bu, visiblement après quelques exercices physiques appropriés afin de détecter l’alcoolémie du chauffard suspecté. Par un miracle que je ne saurais vous expliquer, ce jour là, Gabriel était resté sobre comme un chameau ! Était-ce dû à une petite cure de désintoxication en prévision du froissement de tôle pour ne pas rater sa cible ? Les gendarmes n’ont cependant pas reconnu leurs torts et l’ont assigné à se rendre devant un juge au tribunal de Rodez, pour s’expliquer sur cet étrange comportement !

Le jour J, notre homme droit dans son costume en velours trois pièces, montre gousset en poche, expliqua que la voiture officielle était arrivée face à lui en l’aveuglant à la manière d’un soleil rasant un matin d’octobre et qu’il n’avait absolument rien pu faire pour l’éviter ! Il insista sur le fait qu’il n’avait pas bu ! Le jugement a été prononcé sur-le-champ, son explication ayant été suffisamment convaincante aux yeux de la magistrature. Gabriel est donc ressorti blanchi de l’accusation injuste stipulée dans le procès verbal ! Quand on dit qu’il n’y a pas de justice dans notre pays on se trompe lourdement, notre poivrot vient à l’instant de vous en apporter la preuve formelle ! On n’a jamais su au pays si les agents avaient été réprimandés pour faux en écriture ! Lorsque vous passerez à Loupiac dorénavant, vous aurez je l’espère un autre regard sur l’ancien petit bistrot de la Marcelle. Le pauvre Gabriel malgré sa bonne volonté, n’a pas eu droit aux trois tournées gratuites, la cible touchée n’ayant pas été la bonne ! il a dû s’exécuter et payer sa dette ! On est fidèle à sa parole quand on habite Loupiac ! Malgré ce manque de chance évident vous en conviendrez avec moi, dans un élan de générosité que tous les habitués du troquet lui connaissaient et pour asseoir sa réputation de pilier de comptoir éternellement , il a laissé une coquette somme d’argent à la patronne afin que l’ensemble des pieds de vigne les bras accoudés au comptoir, puissent le jour de son enterrement trinquer et porter plusieurs toasts à la santé de son âme ! Tout en racontant, n’en doutons pas une seconde le petit récit que je viens de coucher sur cette page.
Quant à notre brave Jantou, il a remercié chaque jour le seigneur de sa bienveillance, en propulsant Gabriel miraculeusement dans les bras des forces de l’ordre. Vous trouverez bien une morale à ce conte véridique ?
























Bergon lo campanièr de campanas! Bergon lo campaniér de Faycelles!

Diga mameta me contas l'istòria de Bergon e de sa Mariton a Faicelas?


Dis mémé tu me racontes l’histoire de Bergon et de sa Mariton à Faycelles ?



Cette histoire vécue, je la connaissais aussi bien qu’elle, et je me plaisais à la réentendre, aussi n’aurait-il pas fallu que ma pauvre grand-mère saute un seul paragraphe de ce charmant récit riche en enseignement, car j’étais très attentif à ses paroles, et elle aurait immédiatement entendu un premier son de cloche ! Tout d’abord il faut camper l’individu ! Pour cela je vais vous parler en quelques lignes de sa famille. Sa grand-mère maternelle était née sur le rocher troglodyte qui domine la montée abrupte de la châtaigneraie en dessous du village de Faycelles. Beaucoup de malheureux avaient choisi cet endroit providentiel qui les protégeait un peu d’un climat aux rudes variations. Les hivers étaient bien plus rigoureux qu’aujourd’hui, les plus anciens ont en mémoire des mois où les températures oscillaient entre moins dix et moins vingt degrés. Cette petite plateforme providentielle qui leur offrait un toit avait été taillée dans la roche au fil des millénaires par l’érosion, elle n’avait rien de confortable mais avait le mérite d’exister et quand on est miséreux on se contente de très peu! Le grand-père de Bergon avait participé à la guerre de 1870 et s’était comporté rapporte t-on en soldat exemplaire. Cette très longue absence loin de ses parents avait été précédée du service militaire. Cet éloignement lui avait permis de faire connaissance avec une partie de sa patrie. Bien souvent les jeunes gens de nos fermes n’avaient que cette occasion pour quitter l’endroit qui les avait vus naître! C’était d’ailleurs une phrase-clé de l’armée pour inciter les hommes à rejoindre le drapeau: «Engagez-vous, vous verrez du pays !» Pour cela fallait-il encore être jugé apte le jour de l’inévitable conseil de révision! Cela me permettra dans une prochaine histoire vécue de vous décrire cette fameuse journée où les futurs conscrits de la commune étaient soumis à une suite d’épreuves autant physiques que morales avant de s’entendre dire: «Bon pour le service, bon pour les filles» et enfin d’avoir l’autorisation d’arborer fièrement sur leur beau veston la cocarde tricolore!

Cette notion d’évasion loin de son clocher me remémore une petite anecdote que je ne peux pas passer sous silence. Alors qu'il était souffrant pour la première fois de sa vie, le brave Gaston natif de Lavalade dut se rendre à Cahors afin d’être hospitalisé. Notre malade installé confortablement à l’arrière de la reine des voitures voyait défiler le paysage quand il a subitement prononcé cette phrase en patois ! Elle en disait long sur son dépaysement: « Eh plan!...auriái pas jamai cregut que França èra tan granda!» «Eh bien!...je n'aurais jamais cru que la France était si grande!». Rien ne vaut, vous voyez, un déplacement en grandeur nature, il permet de se faire une idée précise de l’étendue des choses. Comme la vie loin du nid natal forme la jeunesse, notre brave Bergon à la fin de son incorporation sous les drapeaux, avait tenté l’aventure dans la capitale où il s’était adonné au rude métier de livreur de charbon. Il était très fier de pouvoir raconter qu’en ce temps-là, chargé de deux gros sacs d’anthracite il gravissait plus de six étages sans être essoufflé ! L’appel de l’air pur du pays cependant et les fameuses résonances de cloches ont rapidement eu raison de ce court exode. C'est donc en accord avec sa conscience qu'il a pris la décision de rejoindre sans plus tarder sa terre natale. Bergon y a trouvé presque aussitôt un travail et il s’est avéré rapidement indispensable à la vie du village et de ses alentours. Il a même cumulé les fonctions grâce à une de ses passions en devenant marchand d’ânes. Il avait en effet un amour démesuré pour ces quadrupèdes têtus à grandes oreilles! Dans un premier temps il se fit campanier ! C'était un personnage très important, essentiel même, il assurait le lien qui unissait l’ensemble de la communauté gravitant autour du clocher de l’église. C’était en quelque sorte un des premiers fonctionnaires mal rémunérés et non reconnu officiellement par l’administration. De là à dire que cette corporation ne mérite aucun salaire, je ne me risquerai pas à un tel raccourci!
Je ne veux pas chers lecteurs ici susciter vos foudres et devenir la cloche à abattre, mais le diablotin que je suis aime gentiment attiser la surchauffe. Cela dit, je ne prends pas un grand risque car mon clocher est équipé d’un bon paratonnerre!

Le travail principal de Bergon était axé bien entendu sur les annonces des offices religieux, cela se faisait par un vol de sonneries préalables précédant successivement de soixante, trente, et cinq minutes le début de la cérémonie. Cette méthode servait de métronome afin de prévenir les hameaux les plus éloignés, les fidèles avaient alors le temps matériel d’arriver à l’heure à l’église car le plus souvent cette approche se faisait à pied. Mais bien entendu les cloches ne se limitaient pas à cet appel, elles jouaient aussi le rôle aujourd’hui encore tenu dans toutes nos villes par les sirènes. Elles étaient bien plus charmantes et avaient une résonance bien plus mélodieuse que les hurleuses de nos cités que les gens du pays qualifiaient d’inhumaines,celles d’un monde qui devenait à leurs yeux trop moderne, où la spiritualité était moins propice aux prières et à l’appel du Seigneur. Rien ne peut remplacer dans ce rôle l’angélus n’est-ce pas? Le matin semblables au maître à la crête rouge et aux élans de roi dans la basse-cour , elles tintaient l’heure du réveil, les vibrations sonores de midi étaient suivies du repas des paysans et des ouvriers, elles obligeaient les femmes à presser le pas le panier sous le bras. Dans les chemins tortueux entretenus par les bergers, certaines allaient à la rencontre de leur mari qui travaillait les champs dans la plaine. D’autres prenaient la direction du causse où le chef de famille gardait les moutons tout en façonnant des murets qui leur servaient de clôture et des caselles qui les abritaient en cas d’intempéries! Bergon était également un journalier, et pour cette raison il lui arrivait de se suspendre à la corde quelques minutes avant l’heure précise, on ne lui en voulait pas pour autant, tous les gens du pays bénéficiant ainsi de cette aubaine bergonniène ! Evidemment quelques/uns lui en faisaient de temps en temps la remarque, c’était à leur tour d’entendre un son de cloche !…Il leur répondait immanquablement: «En çò de-me es abans tot l'estomac que parla!»…« Chez moi c’est avant tout l’estomac qui parle!» La sonnerie du soir, quant à elle, arrivait enfin, elle invitait à lâcher le manche de l’outil et à rentrer les bêtes à l’écurie. La longue journée n’était pour autant pas achevée, il fallait encore traire! Le labeur à la campagne est aussi fractionné par le rythme des animaux, quand le concert des meuglements et des bêlements se fait mélodieusement entendre!

Mais revenons à nos très chères cloches qui assuraient toutes sortes de fonctions!
Elles invitaient les gens à écouter le crieur public, qui jouait le rôle d’une radio locale, elles annonçaient les événements exceptionnels! Le triste tocsin signalait une déclaration de guerre, un cataclysme ou un incendie et c’était alors les cœurs des pauvres gens qui battaient à l’unisson ! Joyeuses elles fêtaient l’armistice elles étaient alors les témoins privilégiés des liesses populaires.
Le carillon faisait partager les joies de l’entrée en chrétienté d’un nouveau-né par le baptême, il annonçait à toutes volées l’union d’un couple dans le mariage. Le triste glas qui sonnait deux coups pour les hommes et un coup pour les femmes ponctuait les décès tout en accompagnant le défunt vers sa dernière demeure ! Les cloches avaient aussi le pouvoir magique de faire fuir les orages porteur de grêle! Dieu cependant avait le pouvoir de punir pour des raisons diverses l’ensemble de la commune et après un désastre des voix paysannes s’élevaient en disant : « Prengam en nòstres, es lo tot poderós que l'a volgut!» «Prenons-nous-en à nous, c’est le tout puissant qui l’avoulu !». Ce battant mobile en acier fixé solidement sur son axe comme vous le constatez, avait un rôle capital dans l’existence de nos braves campagnards dès qu’il prenait vie agité intelligemment par la main de l’indispensable Campanier. Bergon était récompensé chaque année des services qu’il rendait à l’ensemble des âmes de la commune. Lorsque la saison des récoltes enfin arrivait, il allait de propriété en propriété pour percevoir en quelque sorte sa dîme, il en avait rendu des services, et les paysans le récompensaient aussi généreusement que possible, c’était en quelque sorte un juste retour d’un écho de cloche ! Mais là ne s’arrêtait pas son grand talent, il était également chantre à l’église, et bien que n’ayant jamais appris un mot de latin, il faut reconnaître que dans l’ensemble il le possédait fort bien. Il entonnait les chants grégoriens et avec son accent rocailleux bien particulier doublé d'une voix très haute il suivait les notes en escaladant ou en dévalant la gamme, c’était un virtuose des sons le baryton du chœur et des rimes à faire pâlir de jalousie les voix des piliers d’église à trente lieux à la ronde! Ce don du ciel qu’il possédait avec grâce lui a permis de gravir l’échelle de la reconnaissance ou de la renommée si vous préférez. On l’éleva au rang d’annonceur public. Excusez-moi mais quand je parle de Bergon, je n'ose pas, par respect pour ses cordes vocales employer le terme de "crieur!" Le dimanche à la sortie de la messe il avait toujours des bons conseils à donner, et les nombreux pratiquants l’écoutaient religieusement et se confiaient même aux oreilles du chanteur éclairé! Un confessionnal de groupe à l’air libre en quelque sorte! « Ben ausit, aqueles prepauses èran divulgats dins la lenga del país en pateses ! Sols los iniciats podián comprene ! Lo vertadièr latin, coma s'agradava a m'o repetir mon oncle qu'èra professor de francés latin grèc!» Que je vous traduis ici: « Bien entendu, ses conseils étaient divulgués dans la langue du pays en patois! Seuls les initiés à ce merveilleux langage pouvaient le comprendre! Le vrai latin comme se plaisait à me répéter mon oncle Roger qui était professeur de français latin grec ! »

Notre homme vivait de moins que rien avec sa pauvre chérie, la Mariton. Ils mangeaient régulièrement les vieilles carcasses de chèvres qu’ils mettaient au sel! Bergon les avait achetées à la foire pour une bouchée de pain. Dans nos campagnes on conservait la viande des animaux dans une maie, grand coffre en bois muni d’un couvercle amovible. Le réfrigérateur pour les plus jeunes d’entre vous, n’est apparu que bien plus tard ! Ils vivaient ainsi et pour rien au monde ils ne se seraient plaints, ils ne se considéraient pas comme des déshérités. Quand on se contente de l’essentiel on peut sans problème toucher du doigt le bonheur. Sa brave Mariton savait à sa manière le gâter parfois et il lui en était très reconnaissant. « Giga Marie ! Tu me gastas ! » « Dis Marie tu me gâtes ! » Ils étaient braves et simples, et pour rien au monde ils n’auraient porté tort à quelqu’un, contrairement à beaucoup de langues de vipères qui sillonnaient le pays en crachant leur venin! Ils vivaient chichement certes mais dignement, et paraissaient très sereins, c’étaient des sages comme l’on n’en rencontre pas beaucoup de nos jours ! La Mariton le régalait parfois d’une belle tête de mouton, c’était la tête de veau du pauvre! On l’utilisait surtout au pays pour la pêche à l’écrevisse dans les ruisseaux aux eaux cristallines! Ces petits homards d’eau douce d’origine autochtone ont pratiquement disparus aujourd’hui, ils avaient colonisé nos petits cours d’eau où ils pullulaient. Malheureusement ils ont été les premières victimes de la pollution. On utilisait un système ingénieux en forme de balance pour les capturer. L’appât aux odeurs olfactives puissantes à base de viande avariée de moutons les attirait dans l’antre d’une large vasque, il suffisait alors de soulever le piège et le tour était joué ! En ces temps glorieux les mets des riches pouvaient être servis sur la table des misérables. Ainsi la truffe noire, l’écrevisse, le cèpe entre autres venaient-ils s’inviter dans les assiettes creuses des gueux.

Mais revenons à ce jour de festin chez les Bergon! Sa tendre épouse par mesure d’économie n’enlevait pas les yeux de l'animal sacrifié! Les badauds curieux qui tendaient l’oreille pouvaient entendre leur conversation, la porte étant toujours ouverte hiver comme été! Un agréable courant d’air assainissant parcourait ainsi l’unique pièce avec son cortège de mouches par forte chaleur, et par temps froid cette ingénieuse idée permettait de ne pas enfumer l’entourage ! Alors que ce fastueux dîner avait débuté, notre Bergon s’est adressé à la Mariton et de sa voix de baryton s'est mis à l'interroger sur un détail qui à première vue semblait anodin, mais qui a deuxième vue a fini par l'inquiéter! « Diga, Marie, los èlhs se manjan ?.- Oc ben, Bergon, tot se manja ! Tot se manjea ! » « Dis, Marie, les yeux se mangent ? -Oui, Bergon tout se mange ! » Notre pauvre homme qui ne voulait surtout pas contrarier sa Mariton chérie, toujours docile obtempéra sur le champ ! Il faut dire qu’il lui vouait une véritable passion, que dis-je un véritable culte. Dans la vie il avait trois priorités ! « Ça que aimi lo ma, après lo bon Dius e la nostra Marie, aquos és lo tabac !» « Ce que j’aime le mieux après le bon Dieu et notre Marie, c’est le tabac !». Curieusement il avait oublié les ânes ce jour-là! La gentille Mariton n’avait pourtant rien d’une beauté, c'était un tas de nerfs qui frôlait le nanisme, en plus elle se tenait voûtée et avait été avantagée par une certaine prédisposition à la pilosité. Bref, on ne s'attend pas à voir autant de traits négatifs sur une aussi petite personne.

Mais vous le savez comme moi l’amour est aveugle, et quand Bergon vous parlait d’elle il la décrivait comme une des sept merveilles du monde. D’ailleurs un jour qu’il était en train d'évoquer des souvenirs de caserne, et qu’il mettait en avant la très belle prestance de son colonel droit dans son uniforme et dont il avait été le planton, il flatta la magnificence de sa perle rare ! Elle était à le croire la plus belle créature que la terre eut portée! Il lui était impossible de la décrire, et de superlatif en superlatif il a fini par lâcher cette image digne du culte inconditionnel qu'il lui portait : « Agacha ! Réa polida, polida ! Té, tant polida que la nostra Marie » « Regarde! Elle est belle, belle ! Tiens, aussi belle que notre Marie ». Il parlait bien entendu de la Sainte Vierge! Beauté extérieure et intérieure d'une mère vénérée que l'on ne peut en aucun cas mettre en doute!
On raconte que ce culte de la passion amoureuse le poussait carrément à l’héroïsme!
Lorsqu'il revenait d'une cueillette de champignons où la diversité pouvait créer le doute par rapport à la comestibilité, il avait le sens du sacrifice! Il s'affairait à les trier et à les préparer. D'un bon coup de fourchette il les dégustait et en laissait une bonne part pour sa Mariton.
Rassurée, son âme sœur pouvait ainsi manger les restes le lendemain sans arrière-pensée!
Il l’aimait à en mourir !

Voici sa chanson : il avait plusieurs métiers !


Je m’appelle Bergon

je suis un maquignon

quand je vais à la foire

je prends mon bâton,

Quand j’active les cloches,

je n’ai rien d’une cloche!


M'apèli Bergon

Soi un maquinhon

Quand vau a la fièra

Preni mon baston!

Quand activi las campanas

Ai pas res d'una campana!




Le Quercy avant la Révolution avait de très larges épaules!


Je vais vous parler aujourd'hui des Igues! Non pas de mézigue ou de tézigue, ou de sesézigues, des igues tout simplement. Si vous vous promenez un jour dans la forêt de la Braunhie, faites attention où vous posez vos pieds, les marches risquent d’être très hautes. On a l’habitude d’entendre parler du gouffre de Padirac à juste titre, c’est le plus grand, le plus beau, et surtout le plus accessible pour les touristes. Mais le Quercy est truffé de ce type de profondes cavités appelées Igues. Le plus proche de Figeac se trouve dans le secteur de Montbrun. À une encablure des source de la Diège, se trouve le trou de Gargantua, vous savez, le fameux Gargantua à l’appétit gargantuesque du poète François Rabelais. Notre promenade commence à trois kilomètres de Villeneuve sur les chemins bucoliques où jadis le géant Gargantua rôdait. Nous sommes donc toujours en zone quercynoise. Il y a quelques millions d’années une plage de sable fin se trouvait à Peyrusse le Roc!

Voici la légende :

Cette créature à l’immense stature avait un appétit incroyable, j’allais dire d’ogre pour employer une image bien connue, mais c’était bien plus que cela ! Ah oui ! Il était gargantuesque ! Imaginez plutôt, il dévorait un troupeau de moutons pour son repas si l’on en croit la légende! Dans notre région on lui attribue un trou ou une doline à quelques centaines de mètres de Salles-Courbatiès. Gargantua était un géant pas comme on a l’habitude d’en voir aujourd’hui à Figeac, bien sûr que non !…Gargantua était bien plus grand que cela, il était gigantesque! A l’époque de sa folle jeunesse, il se baladait à grandes foulées et, dit-on, il arpentait le sud de la France en sautant de causses en causses, par dessus les rivières et les lacs qui n’étaient pour lui que des petits ruisseaux ou de vulgaires flaques d’eau. Dans notre région, un jour il s’arrêta au bord de la source de la Diège pour s’y désaltérer. Il était sur le point de tarir la source quand il observa d’un regard intéressé tous les moulins qui se succédaient le long de ce charmant ruisseau. Après mûre réflexion, il se dit que la terre de ce petit secteur devait être fructueuse. Pas de doute, elle ne pouvait fournir du blé qu'en abondance, le nombre plus que conséquent de meuniers en était la preuve évidente. Les paysans d’antan comme ceux d’aujourd’hui étaient très attachés à leur arpent de terre et les géants , croyez-moi, ne faisaient pas exception à cette règle bien établie. Gargantua s’interrogea soudain comme il avait rarement eu l’habitude de le faire et pensa qu’il serait plus que judicieux de ramener une bonne poignée de terre en échantillon à ses congénères. C'est ce qu’il fit sur-le-champ. Il creusa délicatement un coin de terre à portée de bras, puis mit la précieuse marchandise dans la poche de son pantalon. Cette idée géniale lui arracha un sourire et sans plus attendre il se remit en route.

Mais vous avez sûrement entendu parler de l'accoutrement des jeunes à cette époque très reculée. Un peu dans le style négligé de Jésus, tête en l’air aux cheveux longs, la barbe abondante, un gros joint à la bouche, enfin, c’était l’allure du parfait géant dans sa juvénilité exacerbée et cette image lui collait à ravir à la peau ! En se baladant par monts et par vaux, comble de l’élégance il avait déchiré et troué tous ses vêtements. Aussi, dans la foulée, après quelques pas de géant, la poignée de terre se répandit en un immense tas sur le sol. Bien entendu, il ne s’en aperçut que bien plus tard et dépourvu de GPS, il se remit sans démonter un instant remis à courir entre le Ségala et le Lévezou. Les gens du pays, ne l’apercevant plus, sortirent timidement de leur cachette et découvrirent l’immense trou béant puis, à quelques encablures, le non moins demeuré tas de terre compacté !Voilà pourquoi les gens du coin appellent ce trou qui deviendra un jour une igue puis un gouffre, le trou de Gargantua. L'immense tumulus, quant à lui, est attribué à la poignée de terre échappée de la poche trouée du géant rabelaisien!

































Le conseil de révision des jeunes gens de Faycelles

Il a été institué au début du 19 ème siècle en 1805 précisément et il a vu sa fin en 1967. Les jeunes gens nés en 1948 ont donc été les derniers à être toisés et jugés si vous me permettez cette expression ! Je vais donc tenter de vous faire vivre en direct les principales étapes de ce premier parcours du combattant pour la jeunesse de cette belle époque toujours pittoresque, pour celles et ceux bien entendu qui ne l’ont pas connue.


Le conseil de révision des jeunes gens du pays d’Olt


En cette fin de soirée, je vais vous parler du conseil de révision obligatoire à la belle époque vécu par nos pères, nos grands-pères et, pour n’oublier personnes de nos arrières-grands-pères. De la même manière que l’on amène nos voitures au contrôle technique aujourd’hui, jusqu’à la fin des années soixante, les gars du pays, à l’âge révolu de vingt ans, devaient se soumettre à une visite médicale obligatoire afin de savoir s’ils étaient jugés aptes au service militaire national. Pour les plus jeunes lecteurs je tiens à préciser que la contre-visite n’avait pas encore été inventée! Vous pouvez vous imaginer, ou peut-être pas, le stress qui habitait ces candidats à la future fourragère !

Habillés du dimanche, lavés selon l’expression de l’époque, de la tête aux pieds au savon de Marseille grâce à l’eau généreuse des puits ou des cours d’eau environnants, nos géniteurs n’en menaient pas large! Ils allaient savoir pour la première fois de leur tendre existence s’ils étaient des hommes ou des sous-hommes. Auraient-ils le soir venu l’honneur de fêter avec la troupe ce grand pas vers ce qu’il y a de plus rassurant et de plus noble, être assimilé à un mâle futur reproducteur, prêt à servir avec abnégation la patrie! Allons enfants de la patrie…i…e!

Ces prétendants aux armes à feu en tous genres avaient rendez-vous à la mairie où, une fois n’est pas coutume la salle d’attente allait servir de vestiaire. Dans un cérémonial savamment programmé digne de l’armée, ils devaient alors se dévêtir jusqu’à se retrouver entièrement nus ! Montrer pour la première fois aux copains sa plus stricte intimité sans avoir l’appréhension de se faire dévisager n’était sûrement pas une démarche facile à envisager. Certains de nos campagnards quittaient le nid familial pour la première fois et se trouvaient face à cette situation délicate pour le moins insolite. Nos anciens ne vous faites pas d’illusion étaient considérés globalement comme des ploucs par les habitants des grandes villes. Nous étions suivant une expression à la mode en ces temps très reculés, ravitaillés par les corbeaux, natifs de la France profonde. Pour vous donner une idée les films cultes aux titres évocateurs, La grande Vadrouille ou Le Jour le plus long, ont été diffusés dans nos salles un an après leur sortie à Paris. De quoi mettre en place stratégiquement deux ou trois débarquements, vous en conviendrez avec moi. Mais après ce court intermède, retrouvons nos candidats sous les projecteurs du jour. Voici les questions principales qui turlupinaient leur esprit à l’âge assez périlleux où l’on n’est plus un enfant sans avoir la certitude d’être encore vraiment un homme?
-Va t-on considérer que je suis un adulte?
-Suis-je vraiment dans la norme, ou hors normes?
-Ai-je les bonnes mensurations?
-Vais-je être la risée de l’assemblée ?

Bon, inutile de tergiverser plus longtemps m, quand il faut y aller, il faut y aller, de toute façon, on n’a plus la possibilité de faire autrement, il est impossible de s’éclipser miraculeusement ou de se rendre totalement invisible ! L’heure fatidique vient de sonner! Nos futurs vers de terre sont aiguillés dans la grande salle où siège une fois par mois le conseil municipal et où l’on doit c’est un comble obligatoirement s’isoler avant d’aller déposer le bulletin dans la fente de l’urne. Nos bientôt troufions sont instantanément dans le grand bain! Face à eux, se trouve le médecin major, et cerises au pluriel sur le gâteau, le conseil général est au complet, épaulé par tous les maires du canton! Rassurez-vous ce voyeurisme était couvert par une loi étatique, alors pourquoi nos représentants légaux se seraient ils privés de ce privilège ? Tout le monde trouvait cela naturel à une période où le nudisme était sévèrement condamné par une autre loi! Abracadabra et le tour est joué !

C’est donc face à une tablée d’hommes secondés parfois de quelques femmes, (ne perdons pas de vue que dès 1925 la gent féminine a pu siéger au sein des conseils municipaux), qu’il fallait se balader dans sa plus stricte intimité ! Il était paraît-il toutefois difficile, voire impossible d’avoir une subite érection et on n’a pas rapporté non plus de mort subite. L’émotion était intense mais les jeunes cœurs ne souffraient encore d’aucune anomalie ! Eh oui !.. Chères lectrices et chers lecteurs il n’est pas impossible depuis 1945 d’être maire et mère de famille ! Le plus drôle me direz-vous est d’être maire et père de famille! J’espère que vous me suivez toujours autrement réclamez- moi une pause. Ces représentants de l’état installés aux premières loges, ne pouvaient donc rien manquer du spectacle permanent d’une montagne de chair fraîche qui allait se présenter face à leurs yeux ébahis.
Le cheminement était tout tracé, un rituel bien rodé avait été mis en place depuis des décennies. Il était donc impossible de se perdre dans ce parcours, il suffisait bêtement de suivre les flèches fraîchement tracées au sol.

Voici le déroulement du film silence, on tourne! Tout d’abord, on toise l’animal puis on le pèse, ensuite on contrôle son acuité visuelle et on finit le tour du spécimen en lui demandant de se mettre à l’écoute de quelques sons pour tester son audition. Maintenant, reste à savoir si sa poitrine ou si vous préférez son torse dénudé est en harmonie avec le haut de son buste. Pour cela on use de stratégies infaillibles. Dans un cérémonial tracé au cordeau, on inspecte le dessous de ses aisselles en les palpant minutieusement afin de pouvoir détecter si quelques ganglions perdus sous les premiers poils pubères ne s’y cachent pas! On mesure la longueur de ses bras en pouces
ou en pieds, il ne faut surtout pas qu’un membre soit plus long que l’autre ! Puis on s’attarde sur la dimension du tour de sa poitrine qui est jugée forte, moyenne ou étroite. Aussi naturellement que possible arrive l’instant solennel du couperet où l’on scrute son entrejambe grâce à un savant palpage de ce qu’il a de plus précieux! Cela permet au passage de vérifier si le compte est bon et si les deux boules sont bien descendues dans leur emplacement définitif. Pour finir ce processus de prospection au peigne fin, on mesure sa longueur d’entrejambe. Puis, chose très importante on vérifie si ses pieds ne sont pas plats car ce type de panard est considéré inapte aux marches à venir de notre cher petits canard. Le médecin-major très méticuleux vérifie le blanc des yeux, l’état des narines, la dentition puis l’ensemble des réflexes sont jugés à la réaction grâce à des coups secs sur les genoux entre autre. La souplesse est également notée après quelques mouvements bien spécifiques, on se positionne alors à «coucoulou» c’est -à-dire accroupi, et on se relève l’instant d’après. Voici une petite anecdote qui ne manque pas de verve. Le toubib qui avait trouvé un Faycellois de pure souche un peu maigrichon lui a fait part de son appréciation « Mon bonhomme il va falloir faire un peu de sport !» Notre rude vigneron vexé de cette outrecuidance lui a répondu : « Je travailha la vinha, ieu...ai pas besoun de fàser despòrt !» «Je travaille la vigne, moi, j'ai pas besoin de faire de sport».

Je peux vous résumer ce premier parcours du combattant puisque vous me le demandez si gentiment, à la manière de l’illustre journaliste animateur de la première chaîne française qui couvrait tous ces les événements importants, j’ai nommé l’immense, que dis-je l’illustre, allez n’ayons pas peur des mots l’inimitable Léon Zitrone. En espérant qu’il ne montera pas crescendo sur ses grands chevaux! Voici sa prise de parole depuis la tribune d’en face ! « Bonjour Mesdames, bonjour Mesdemoiselles, bonjour Messieurs, ici Léon à Faycelles pour vous faire vivre comme si vous y étiez l’examen physique annuel des futures recrues du service militaire national ! En ce 6 juin 1960, quinzième anniversaire faut-il que je vous le rappelle du débarquement en Normandie, nous allons assister à une évaluation poussée de plusieurs poulains nés dans la commune et âgés de vingt ans révolus. Pour eux aussi va débuter vous allez vous en rendre rapidement compte le jour le plus long. Je tiens à vous préciser au passage que les pouliches n’ont pas été convoqué et que par voie de conséquence, il n’y aura pas encore cette année de médaillons décernés avec la mention : « Bon pour les garçons» Sachez- le !" Mais je suis obligé de stopper cette mise au point nécessaire, les lois du direct m’y obligent. Certains mâles arrivent juste à temps. Venus du diable Vauvert, ils ont quitté leurs écuries ce matin réveillés dès les premiers cocoricos. Je les aperçois maintenant avec mes jumelles dans le virage où est érigé un ouvrage mortuaire à la gloire de leurs aïeux. Ils ne m’apparaissent pas très emballés, la bride détendue, serrant le mors aux dents, le fouet entre les pattes, je les sens visiblement sur la retenue, pas un seul de ces jeunes étalons ne dodeline de la croupe ! Ils arborent tous des tuniques grises et des cravates aux couleurs bleues, blanches et rouges. Ils sont toisés de crins blonds, noirs et roux ! Ils viennent à l’instant d’intégrer le paddock d’exposition sous les regards déjà très intéressés des membres actifs et inactifs du jury au complet. Jury je le précise, fidèle à cette concentration animale que je baptise « rince toi l’œil gratuitement » ! Les canassons m’apparaissent maintenant tels des agneaux sevrés depuis peu qui se rendent à la tonte à la queue leu leu, ou bite à cul si vous préférez, selon la célèbre expression imagée des militaires. Ils se déplacent désormais à pas feutrés de poste en poste. Ils se déclinent les membres ballants ou croisés sur le torse, l’échine courbe, ou l’encolure haute, le regard clair ou éteint, l’arrière train flasque ou rebondie, leurs narines semblent sensibles au courant d’air et les poussent à des éternuements nerveux. Plus ou moins bien montés il faut en convenir, ils trépignent d’impatience sur place en frappant du sabot tout en se demandant avec anxiété je suppose, car je les sens fébriles, quand cette mascarade équine prendra fin! Ils ne se sentent pas prêts de toute évidence à vouloir honorer fièrement une première montée du drapeau ! Permettez-moi s’il vous plaît d’interrompre un instant je ne peux plus soutenir ce flux d’images, elles bouleversent mon esprit admirateur…Non ! Pardonnez mon émotion de speaker pour la première fois de ma jeune carrière je sens je vous l’avoue monter en moi une fièvre de cheval ! A vous les studios, à vous Cognacq-Jay !…
-Punaise, heureusement que la pouliche Simone n’était pas à mes côtés !….Je ne sais pas comment j’aurais pu contenir ses ardeurs!
-Chut ! Chut…Ne parlez plus Léon les micros sont encore ouverts vous êtes toujours à l’antenne ! »
Ah ! Ce direct il nous en aura joué des tours!

Poursuivons sans le roi Léon, la délivrance de nos bidets en herbe bientôt bidasses n’interviendra qu’après deux longues heures de mise en scène stressante ! Ils pourront alors enfin voir le rideau tomber! Mais ils ne pousseront un hennissement de soulagement que lorsqu’un gradé placardé leur tendra une feuille où sera inscrite la mention: "Bon pour le service". Nos acteurs d’un jour pourront alors aller se rhabiller sans les applaudissements! Enfin libres de toute attache, nos destriers confirmés et libérés s’empresseront alors d’aller acheter des colifichets et le très mérité et très attendu médaillon : "Bon pour les filles!” Ils ne l’auront pas volé, entre nous, ni trouvé sous une de leur galoche ferrée de neuf pour l’occasion. Ayons quand même au passage une pensée émue pour l’éventuel enfant qui aura échoué aux épreuves physiques imposées. II deviendra bien malgré lui la cible des bouches sombres de la commune aux multiples railleries malveillantes. J’aurai l’occasion de vous parler de leur langue fourchue dans un prochain récit. La nuit qui va suivre promet d’être festive pour nos heureux pioupious l’unique café du village est pris d’assaut ! Le bar ne manque pas de munitions, mais ne sert qu’à l’échauffement! Le lieu par contre est tragiquement dépourvu de jeunes filles! Aussi dans un élan commun irrésistible, ils se rendent tous à pied à Figeac où nos grands mères les attendent bras ouverts pour une folle nuit dansante aux airs d’accordéon et aux câlins inoubliables ! Ils se mettent tous aux service des galantes sortie des chaumières exprès pour eux! Après tout ils viennent d’obtenir l’autorisation de les séduire. Je viens de vous parler d’un temps que seuls les gens de plus de 75 ans ont pu connaître ! C’était le bon temps n’est-ce pas? Imaginez-vous aujourd’hui à la mairie de votre ville en âge de faire votre service national, face à votre maire et à tous les élus du canton! Dans quel état d’esprit aborderiez-vous cette satanée visite obligatoire ? Eh oui, les filles, les héros de mon récit se sont rhabillés !Que c’est dommage n’est-ce pas?.

















Deux médecins opèrent à cœur ouvert à Figeac

Reconnaissance aux frères Jacques


Bien entendu lorsqu’on parle de Figeac, deux noms reviennent inlassablement, vous les avez tous en mémoire, il s’agit de Jean-François Champollion et de Charles Boyer. Aujourd’hui je tiens à vous présenter deux hommes exceptionnels. Deux personnages de l’ombre, mais dévoués cœurs et âmes à leur profession de médecin. Je vais d’abord vous parler de Monsieur Chancel car je l’ai bien connu personnellement. Il avait son cabinet dentaire boulevard Georges Juskiewenski. A peine le petit escalier en pierres sèches franchi, on se trouvait face à l’entrée où un petit couloir étroit nous dirigeait vers la salle d’attente. Confortablement installés, on pouvait à loisir lire quelques revues éparpillées sur une table basse. Depuis, ce décor sobre a peu évolué me direz-vous ! Les émanations médicamenteuses aux effluves bien connues venaient emplir alors nos narines et, comme si cela ne suffisait pas à nous rappeler que nous étions dans un cabinet dentaire, on percevait un sifflement harmonieux bien caractéristique en prémices à un petit air de douleur promis!
Rien cependant de très décourageant, notre brave praticien avait des années d’expérience derrière lui ! Une retraite bien méritée allait bientôt lui permettre de regagner sa grande propriété boisée située en Auvergne. Aussitôt dans l’enclave du cabinet, je m’installais confortablement sur le fauteuil incliné en lui disant: « Vous savez, je viens vous voir pour une douleur à une dent, cependant, je n’ai pas d’argent pour vous régler les soins !» Le serment d'Hippocrate était donc par nécessité immédiatement appliqué. Mon soignant, vêtu d’une grande blouse blanche, me mettait immédiatement en confiance en me lançant la phrase suivante :« A t-il était une seule fois question d’argent entre nous?». Tout en actionnant sa terrible roulette à l’intérieur de ma bouche qu’il maintenait grande ouverte grâce à un de ses doigts, il me parlait de ses plantations de sapins, de ses poulets et autres animaux à quatre pattes qui peuplaient son domaine. Il ne manquait pas de me causer aussi de ses consœurs qui exerçaient depuis peu dans notre vieille cité. Au passage, elles en prenaient plein les dents. Il m’avait rapporté qu’un patient était venu le consulter pour l’extraction d’une molaire. Cette dent résistante était ancrée de telle manière que nos dentistes féminines n’avaient pas réussi à la déloger d’une mâchoire qui avait fini par être meurtrie à vif ! « Heureusement que j’étais là pour achever le travail » me lança t-il ! Chirurgien dentiste c’est un métier d’homme, faut avoir de la poigne pour ne pas se manquer! Cette façon maligne qu’il avait d’entretenir une conversation qui ne pouvait aller que dans un sens détournait mon attention, ce qui me permettait de faire l’abstraction d’une douleur souvent montante pendant le soin. Il me regardait avec ses yeux vitreux et j’avais beau lever le bras pour lui signaler une vive douleur comme il avait été convenu dans notre pacte, l’engin tournant à plusieurs milliers de tours à la minute finissait sa besogne hautement curative. Je n’allais quand même pas me plaindre d’un soin qui était gratuit!

J’ouvre une petite parenthèse pour vous parler de l’époque d’avant, où l’on pouvait trouvait la mort suite à une rage de dent. Je rappelle pour les plus jeunes d’entre vous que les "arracheurs de dents" se tenaient au service de la population sur les places des villages jusqu’à la fin des années trente. Le service dentaire local se déplaçait généralement le jour de la foire aux bestiaux. Il était inutile de prendre rendez-vous, voilà pour le côté pratique. Pour couvrir les hurlements des patients, les roulements de tambour se faisaient entendre, il faut ajouter que les pinces monseigneur non stérilisées ne laissaient aucune chance aux dents creuses excessivement douloureuses et tremblantes montées sur coussin d’air ! L’expression "mentir comme un arracheur de dents " prenait alors tout son sens, car elle intervenait après ces paroles rassurantes : « Approchez-vous de moi sans crainte, avalez ce verre de gnôle, vous ne sentirez rien !» En avant la musique ! Et au suivant ! Le verbe extraire n’avait pas encore acquis ses lettres de noblesse. En parlant de noblesse et avant de refermer ma bouche sur cette parenthèse rigolote, savez-vous pourquoi l’ensemble de la bourgeoisie et de la royauté ne sourit jamais sur les peintures qui les représentent ? Trois…deux…un…zéro !Tout simplement par rapport à l’intérieur de leur bouche dans un état pitoyable ! Il va falloir que vous pensiez à édenter vos acteurs, Messieurs les réalisateurs, lorsque vous campez la royauté par exemple, sur la bande cinématographique ! Le Roi Soleil n’était pas doté d’un sourire éclatant aux émanations printanières, son ministre Jean Baptiste Colbert non plus à l’opposé du Président Macron et de sa première Ministre Elisabeth Bornée aujourd’hui ! Ah non ! Pardonnez-moi cette erreur volontaire, c’est le surnom que je lui ai donné : Je parlais naturellement de Madame Borne ! Les sans-dents d’autrefois ne faisaient pas forcément partie du pauvre peuple, comme vous le constatez. Les implants à 6000 euros la dent ne sont venus au secours des nantis que bien plus tard!
Eh oui! Pauvres hères,vous n’avez pas toujours eu à souffrir d’une différence physique avec la haute société.

Revenons aux années soixante où frère Jacques, c’est ainsi que je l’avais surnommé par apport à son prénom, était connu des pauvres gens de la région. Il prodiguait des soins sur les ratiches des malheureux sans leur demander le moindre sou. Il avait su me rassurer en me disant que j’étais doté d’une belle dentition pour l’époque, je n’ai connu la brosse à dents qu’en 1967 à mon entrée au lycée Champollion. Son diagnostic je dois le reconnaître a été excellent, je peux encore aujourd’hui mordre dans une pomme sans me soucier de la dureté du fruit. Merci, Monsieur Chancel, vous avez permis aux sans dents de ne pas se faire un sang d’encre, des praticiens comme vous j’en suis persuadé n’existe plus actuellement. Le deuxième personnage de l’ombre était médecin il s’agit de Monsieur Issaly. Ma mère , qui était infirmière à l’hôpital de Figeac, m’en avait toujours parlé comme d’un être à la bonté inégalable. Une perle dans la profession! L’argent, lui aussi oubliait de le réclamer aux indigents, mais parfois également aux personnes moyennement aisées. Une petite anecdote à son sujet m’a été rapportée dernièrement. Il s’était déplacé à plusieurs reprises chez une grand-mère en fin de vie et, fidèle à son habitude, il l’avait soignée sans rémunération. Cependant, un voisin proche de la famille marquait ses passages sur un petit carnet. La vieille dame très âgée a fini malgré ses bons soins par aller à la rencontre de Saint Pierre, du moins c’est ce que le curé a sermonné le jour de son enterrement! L’homme fit part des visites répétées du médecin à un membre de la famille d’une honnêteté exemplaire, qui se rendit en consultation chez notre bienfaiteur avec la ferme intention de lui régler les notes d’honoraires. Après la question d’usage sur l’état de sa santé, Maître Issaly eut ces mots : « Que venez vous faire ici si vous n’êtes pas souffrant ?» « Je viens régler les visites que vous avez faites chez Madame : L……..». « Je n’ai aucune idée du nombre de déplacements que j’ai pu effectuer chez cette brave personne !» «Ils sont notés ici, au nombre de six». «Je vous remercie, cher Monsieur, cependant mes soins pour cette dame ont été toujours gratuits, donc je n’accepte aucune somme la concernant». Ainsi ce brave praticien d’un autre âge exerçait son noble métier à Figeac. On pouvait le voir circuler en ville à bord de sa belle traction avant noire. Il avait ses habitudes et en bon vivant, à heure fixe, il discutait avec les habitués au comptoir de certains bars où il avait, rapporte t-on, son propre verre qui l’attendait. Comment ne pas être admiratif face à ces âmes du devoir, qui ont pratiqué la médecine avec un seul souci, le bien être des pauvres gens du peuple, avec en permanence en tête un serment que je rappelle ici : Au moment d’être admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l’humanité. J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences.
Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences. Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire. Admis(e) dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu(e) à l’intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à corrompre les moeurs. Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. Je préserverai l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de ma mission. Je n’entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés. J’apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu’à leurs familles dans l’adversité. Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j’y manque. Que le Divin s’il existe, se souvienne de ces deux braves Figeacois exemplaires, hélas par beaucoup aujourd’hui oubliés! Le docteur Issaly a exercé des années trente environ jusqu’à la fin des années soixante dans le même créneau que le chirurgien dentiste Chancel.

Pour moi, dans un autre registre c’est vrai, ils ont eux aussi leur place au panthéon de notre petite ville, au même titre que Jean François Champollion et Charles Boyer! Une anecdote qui confirme le dévouement de ce praticien dans l’âme m’a été rapportée par Jean. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’ épouse de Roger Martin du Gard un écrivain français célèbre de la première moitié du vingtième siècle, lauréat du Prix Nobel de Littérature en 1937, réfugiée avec son époux à Figeac, a elle aussi été soignée gratuitement . Dans la copie numérique de la lettre manuscrite retrouvée sur Internet Roger Martin du Gard insiste pour payer ses honoraires à un docteur humaniste ! Il y avait à l’époque de nombreux médecins altruistes et passionnés par leur métier. Pardonnez-moi, restons simples, je voulais bien entendu parler de la disposition bienveillante que possèdent certains êtres pour leur semblables ! C’ est malheureusement de plus en plus rare aujourd’hui n’est-ce pas ? Je me demande même avec anxiété s’il en existe encore.…







la vie des pensionnaires au lycée Champollion


La vie des élèves pensionnaires au Lycée Champollion dans les années soixante, dur dur ! Un petit avant-goût du service militaire pour ceux qui avaient la chance de ne pas atterrir dans les paras. Voici l’équipe de cross-country du lycée Champollion en 1969-1970. C’était déjà un peu plus cool du point de vue de la discipline. Nous avions été champions d’Académie, puis sélectionnés pour les championnats de France universitaires. Je reconnais sur la photo Pierre Roura, Chaussade et moi, déjà avec un maillot de cyclisme Peugeot sur le dos. Je devais sûrement avoir, ce jour-là, mon vélo pas très loin ! En 1967-1968 les cheveux longs étaient à la mode suite aux élucubrations d’Antoine…mais Arnal dit Couraide, Cure et Cazard préféraient que l’on ait les idées longues! À cette époque j’étais pensionnaire et il régnait au sein du lycée une discipline d’enfer, qu’il ne faut surtout pas confondre avec celle de fer, bien moins rigide ! On devait sortir en week-end cravatés et celui qui oubliait, suite à une grave inattention, de revêtir cet ornement vestimentaire était contraint à un demi-tour dès que possible! Il était gratifié de deux jours de colle entre les murs de l’établissement. En prime il se voyait interdit de sortie en ville le mercredi après-midi qui suivait ! Bien entendu, seuls les lycéens qui avaient par chance un correspondant sur Figeac pouvaient se promener en ville ce jour-là ! Le règlement rigide était truffé de conditions sine qua non ! Heureusement, pour nos parents le prix de la pension n’en était pas plus élevé ! Le lourd portail ne s’ouvrait pas sur la liberté facilement, comme vous pouvez le constater ! Le même sort guettait le pauvre collégien qui n’était pas apte à donner les dates de naissance et de décès de l’illustrissime Jean-François Champollion lorsqu’il était stoppé dans son élan bien légitime par un surveillant à une encablure du monde libre. Il était alors sanctionné sur-le-champ de deux jours de retenue afin qu’il puisse apprendre et retenir ces deux précieuses et essentielles dates relatives au premier souffle et au dernier râle du déchiffreur de hiéroglyphes.

Nous dormions au cinquième étage et c’était par un long chemin de croix que l’on regagnait nos lits. Les deux gardes de service, à peine plus âgés que nous, stoppaient notre ascension à chaque étage pendant deux à trois minutes et au moindre bruit, un pauvre pensionnaire pris au hasard dans le secteur du délit était invité à passer la fin de semaine au lycée. L’escalier débouchait sur un immense dortoir d’une soixantaine de lits, plus peut-être? Ils étaient positionnés à droite et à gauche d’une large allée. Des lavabos sans eau chaude et des toilettes apportaient un peu de confort à ce lieu de repos. Au bout de ce couloir central masqué par de larges rideaux se trouvait la piaule du jeune pion. Le dortoir 52 était celui des garçons, il me semble que les filles étaient installées au 31, il m’est difficile de me le remémorer ! Tout ceci est très loin, évidemment les lieux de sommeil n’étaient pas mixtes ! Parfois une tentative presque désespérée était au programme d’un très courageux pour rejoindre son aimée, mais hélas, le veilleur de nuit, semblable à une chauve souris agitée, se baladait dans une ronde infernale dans les sombres corridors et malheur à celui qui se faisait prendre! L’exclusion définitive du lycée était à la clé d’une telle pulsion sentimentale, le conseil de discipline ne rigolait pas avec les plus téméraires mais vous savez comme moi que l’amour est capable de nous transcender au point de nous faire oublier la peur, et puis il y avait cette montée d’adrénaline très excitante. Les sanctions pleuvaient, comme je viens de vous l’expliquer, nous en avions parfois deux ou trois en retard, c’est-à-dire qu’entre deux vacances principales, on ne voyait pratiquement jamais notre famille. Je me suis toujours demandé ce qui aurait pu se passer en cas d’incendie, les normes de sécurité étaient plus que sommaires ! Enfin, les miracles se produisent parfois, je vous en donne la preuve formelle ! Blouses grises et bleues pour les garçons, roses et je ne me souviens plus de l’autre couleur pour les filles. Bref, c’était le bon temps, comme se plaisent à dire les bien plus jeunes que nous aujourd’hui !

Être dans l’équipe de cross ou d’athlétisme nous permettait de pouvoir sortir de l’enclave du lycée au moins le mercredi lorsqu’on avait une sanction en retard. Cependant, de temps en temps, les prisonniers du week-end pouvaient prendre le chemin ô combien bucolique du Cingle ! C’était une récompense qui conduisait à une petite bouffée d’air libre, l’esprit pouvait ainsi prendre de la hauteur et rêver de jours meilleurs. Je n’ai pas le souvenir d’avoir dragué les filles dans la cour, cela me paraît étrange me connaissant, peut-être étions-nous sur nos garde encore une fois par rapport au régime disciplinaire en vigueur ! Le réfectoire était au rez-de-chaussée, les salles de classes au-dessus pour certaines, et nous savions par avance ce qui allait nous être servi à midi et le soir grâce aux odeurs qui montaient généreusement vers nous en nous chatouillant les narines ! Le jour des frites était le bienvenu, un vrai jour de fête ! La choucroute était accompagnée d’une carafe de bière, et nous avions droit à une bouteille de vin rouge pour huit élèves. Moyennant un arrangement avec les tables attenantes, j’ai pris ma première cuite au lycée! Le prof de français, qui m’avait en amitié, a eu la bonne idée de me faire lire un court passage de l’Assommoir du regretté Émile Zola! L’intuition sûrement ! Il se demanda rapidement qui était le plus assommé de l’histoire cet après-midi-là! Je n’ai pas eu à souffler dans l’alcootest, heureusement, malgré une navigation très douteuse entre les lignes!

Je me remémore le soir où j’avais été "saqué !" En d’autres termes, je n’avais plus droit qu’à une très pauvre ration du nectar tant attendu ! Nous avions un protocole bien établi. Nous faisions tourner un verre et celui qui se trouvait en face de l’ouverture était la victime désignée de la soirée. Ce jour-là, le verre en question s’était positionné entre moi et un autre pensionnaire. Logiquement on aurait dû rejouer la partie entre nous deux! Ce ne fut pas le cas et le litige tourna en ma défaveur suite à une mauvaise foi évidente. Face à cette flagrante injustice, j’ai raclé le fond du plat et j’ai réussi à remplir une cuillère de fromage blanc fouetté que j’ai expédié sur la tronche de celui qui avait refusé d’admettre l’évidence. C’est à cet instant précis que j’ai senti une main se poser sur mon épaule. C’était celle du surveillant général Arnal que l’on surnommait Couraide ! Il donnait l’impression de déambuler avec sa tête solidement fixée à un balai au dos de sa vieille carcasse! Sans hésiter, il prononça ces saintes paroles : « Marcouly, tu resteras avec nous ce week-end !»
Depuis, j’éprouve une certaine réticence à déguster du fromage blanc fouetté ! Ce réfectoire servait également de permanence, je me remémore la capture des grosses mouches. Grâce à un fil d’une blouse et à une gestuelle parfaite, on arrivait à attacher un minuscule bout de papier à une de leurs pattes et on les libérait ainsi…Vous avouerez qu’il en fallait peu pour nous faire rire! Une barre de chocolat noir à cinq heures et un morceau de pain, et nous montions en étude pour deux heures studieuses dans un calme encore surprenant.

Voilà, pour résumer sommairement, la vie des lycéens à "Champo", cela nous donnait un petit avant-goût d’armée ! Je suppose qu’aujourd’hui nos enfants ne connaissent pas cette sévérité. Mais peut-être avez-vous des bons souvenirs, aussi, à vos plumes ! Allez, un dernier souvenir ! Un pion particulièrement doué en 1967 ( 4 licences en poche), qui avait élu domicile dans le camping municipal, a posé cette question osée au Principal lors de son recrutement : « Les dortoirs sont-ils mixtes ? » Un soir où nous étions à l’étude avec lui et où, pour une fois, il y avait beaucoup d’agitation, Cure, alerté par le bruit, pointa rapidement le bout de son nez à la porte : «Que se passe-t-il ici ?» Le pion, sans se démonter une seconde, lui rétorqua : « Rien, j’étais simplement en train de leur faire un cours d’espagnol en anglais !» Nos rires résonnent sûrement encore dans la salle d’étude n°113 !

Une dernière petite anecdote me revient. Lorsque j’ai mis les pieds pour la première fois dans l’enclave du lycée au mois de septembre 1967, j’avais en tête, en milieu de semaine, de pouvoir assister aux fiançailles de mon frère aîné. Hélas, n’ayant pas prévu d’amener un mot spécifiant que je sortirais le samedi, alors que la rentrée scolaire avait eu lieu en cours de semaine, je n’ai pas pu assister à cette fête familiale. Mon frère est pourtant venu pour essayer de me libérer mais, après son intervention, le surveillant général Cure, un psychorigide sans égal, a simplement dit en me regardant : « Mon pauvre ami, il fallait que tu aies cette autorisation en poche en temps voulu , tu resteras donc avec nous dimanche ! C’est ainsi que j’ai commencé ma cure au lycée, et croyez-moi, je n’en avais cure! Voici, pour terminer, deux témoignages d’élèves suite à mon écrit : Pour les filles, blouses roses et bleu clair. Demi-pensionnaire, il fallait montrer une serviette de table propre le lundi et pour nous, en 67, il y avait des barrières dans la cour pour séparer les filles des garçons ! L’Education nationale, vous le voyez, ne prenait absolument aucun risque !












































Mon passage dans les troupes aéroportées

Il est à imputer avant tout à mon esprit sportif! Avant d’atterrir dans ce régiment d’élite j’avais participé à quatre stages prémilitaires. Le premier était recommandé avant d’incorporer ce type de bataillon. Pour les trois autres je me suis porté volontaire pour épauler l’instructeur qui était très sympathique. J’ai obtenu le titre d’aide moniteur et j’ai participé à trois formations en quelques mois. Les deux premières ont eu lieu à Pau, la troisième à Poitiers. Je totalisais seize sauts le jour de mon incorporation. Je vais conter ce qui restera pour moi une expérience unique que je ne regrette pas avec le recul que l’on accorde aux armes à feu mais qui, permettez-moi cette image un tantinet métaphorique, sera à jamais chargée telle une balle explosive à l’intérieur d’une chambre ô combien volcanique : j’ai nommée ma boîte crânienne! Quelle que soit la tête de dur qui passait le poste d’entrée du 8eme RPIMA à Castres, elle ressortait domptée à vie un peu plus de huit semaines plus tard ! Je dois être le plus précis possible afin de ne rien oublier de cette aventure où votre écrivaillon va comprendre qu’un agneau bien pris en main sous les ordres de chefs à la sévérité sans retenue peut devenir un loup féroce et un loup féroce à l’inverse se métamorphoser en agneau ! Aujourd’hui le régiment d'élite parachutiste existe toujours mais la discipline comme partout a été lissée. Le régiment a dans ses rangs des soldats engagés de métier avec un bon niveau scolaire.
Comme disait l’ami Nougaro : «Dès mon arrivée j’ai senti le choc !» Avec seulement dix pour cent d’appelés, le corps d'armée était composé d'engagés, des durs, des purs, du genre de ceux qui ne reculent devant rien et qui prient tous les jours pour partir en mission réelle ! Des têtes trop souvent creuses à la férocité inimaginable pour le commun des mortels qui se trouvent confrontés par un malheureux hasard à leur façon d’aborder les problèmes de la vie courante. Nos supérieurs étaient des gradés placardés, ils avaient participé héroïquement à tous les conflits. Face à ces soldats d’élite nous étions des moins que rien. Ils allaient nous faire subir les pires brimades en nous rabaissant journellement nous, les petits rigolos sans envergure. On leur avait confié la tâche quelque peu surréaliste à leurs yeux : faire de nous des paras ! Et comble du malheur, ils avaient face à eux nous disaient- ils des cerveaux creux sans aucune aptitude au combat. Les instructeurs nous ont immédiatement mis dans l’ambiance, celle qui fait regretter d’avoir signé son engagement pour voir du pays quand on a opté pour cette voie. La prise en main était rigide, impossible à imaginer pour celui qui n’a jamais mis les pieds dans un régiment parachutiste semi-disciplinaire. Pas de doute j’avais choisi le bon celui qui grave à l’encre rouge l'esprit à vie, ou à vif si vous préférez. Un vrai parcours de guerre en temps de paix qui vous coupe en un instant du monde civilisé ! Les connards que nous étions, ils allaient les mater pendant les classes! Aucune permission n’était prévue, il fallait rester dans ce saint abri loin de l'agitation extérieure considérée de façon très malsaine par la hiérarchie aux bérets rouges. Nous arrivions les cheveux longs et les idées courtes, nous allions finir nos classes le crâne rasé et bourré d’idées patriotiques sans failles. Prêts à tuer père et mère si le chef nous l’avait ordonné ! Rassurez-vous je ne suis pas fou, mais cette dernière phrase je l’ai entendu de la bouche d’un para engagé. Pourquoi avait-il signé cette satanée feuille lui ai-je demandé? Sa réponse vous en conviendrez fut sans équivoque! « Parce que mon papa et ma maman n’ont pas voulu m’acheter une mobylette !» Là, il faut reconnaître que c’est une bonne raison pour cet excellent soldat n’en doutez pas un instant. Mieux que quiconque, il savait combattre en maniant les engins de guerre avec un grand sens du devoir et une grande dextérité accompagnait tous ses gestes. L’oreille collée au téléviseur il attendait avec impatience son engagement total dans un conflit sanglant. On se rendait bien compte que les manœuvres organisées aux tirs à blanc finissaient par l’agacer au plus haut point. Ne perdons pas de vue ce que m’a expliqué un colonel. Un militaire de carrière a signé un engagement qui le lie à l’arme qu’il a choisie. Il est bien stipulé qu’il prend le risque d’être tué dans l’exercice de ses fonctions. il fait don de son corps à la patrie!Cette note était une mise en garde sur les risques du métier!

Nous, nous étions de simples appelés en avril 1972, j’arrivais dans un véritable régiment d’élite. Cette époque allait cependant bientôt rendre les armes! Un comité de sélection de l’armée moderne allait bientôt être mis en place. Il était bien décidé à opérer un choix résolument tourné vers l’avenir avec cette vision lucide : la force des armes réside beaucoup plus dans les attitudes de ses soldats et à l’intelligence qui la compose que sur la multitude de ses troupes doublée de l'énormité toujours croissante de ses effectifs. Revenons maintenant sur l’ancien régime et à sa façon d’agir. Rapidement nous avons été guidés vers l’intendance pour prendre possession de notre paquetage Rangers, tenues de combat, de sortie etc.. On nous dirigea ensuite vers notre chambre au vieux parquet en bois qui paraissait curieusement très bien entretenu ! Une dizaine de lits étaient positionnés sur deux rangées. Des armoires en ferraille grise du type increvables se trouvaient à leur pied, voilà de quoi était composé le mobilier simple mais, ma foi, fort pratique à l’usage ! À lieu sobre ne peut succéder qu’une phrase du même type. On nous ordonna sèchement de poser l’ensemble de notre paquetage. Tout s’enchaîna très vite les premiers jours. Je résume rapidement par une énumération de souvenirs lointains aux sonorités plus ou moins tachées d’angoisses renaissantes. Direction le coiffeur cuisinier dans le civil, pour une coupe à blanc d’œuf ! Je ne reconnaissais plus mes nouveaux copains après cette radicale métamorphose ! On nous apprit à faire notre lit, à plier nos affaires au carré, à reconnaître l’ensemble de notre équipement et cela sous le regard attendri des gradés qui n’hésitaient pas à balancer une grande tarte sur nos tendres joues si on ne comprenait pas leurs explications claires. Il fallait nous disaient-ils, que le commandant entende la gifle cela le rassurait, soi-disant. Il savait que notre formation se déroulait dans de bonnes conditions et que nous étions entre de bonnes mains. Je n’ai pas trop eu à me plaindre de cette force de frappe j’apprenais vite et bien. A l’inverse ils avaient choisi de frapper fort sur certains pauvres bougres qui de toute évidence arboraient une tronche qui ne leur revenait pas. Et vous êtes là, impuissants et tristes face à ces brimades non fondées. Il y a eu bien entendu la classique visite médicale avec la fameuse piqûre qui vous paralyse le bras et vous rend malade parfois comme un chien. Pour moi tout s’est bien passé à nouveau heureusement, c’est un des seuls vaccins que j’ai accepté dans ma vie et cela par la force des armes. On nous apprenait leur maniement des armes à les démonter et à les remonter dans un temps chronométré, à marcher au pas des heures durant. Les chansons paras cadençaient nonchalamment nos allers et retours dans l’enceinte du bataillon.

Je vais maintenant vous citer une succession de situations lors des classes dans ce huitième régiment d’infanterie parachutiste. Je viens de vous parler du tempo du pas dans des "uuhnns deuuux" à la tonalité très grave. Sous la pluie et face à un mur logiquement nous devons nous arrêter n'est-ce pas? Erreur, l'ordre ne nous en avait pas été donné! Bites à culs, nous avons fait face au mur en simulant la marche pendant plus d’un quart d’heure. Une nuit vers quatre heures du matin nous avons eu droit à une revue de piaule surprise ! Affaires pliées au carré, rangers cirés tout était nickel pour nous. Pourtant une partie de nos tenues s’est retrouvée au milieu de la chambre. Nos rangers, cirés et finis à la salive pour les faire briller d’un éclat exceptionnel, ont été retournés pour une examen visuel non prévu ! «Vous n’avez pas ciré les semelles!» Ils ont ouvert la fenêtre du petit dortoir et nous ont jeté l’ensemble des godasses dans la cour. Bonjour pour retrouver ses pompes et trier les pointures ! Peu de temps après la levée du drapeau en T-shirt au mois d’avril, ils nous ont occupés à huiler les armes et à les mettre à sec et cela jusqu’à vingt trois heures le soir sans manger!
Le nettoyage était facile à assimiler : à sec le fusil devait ne présenter aucune trace d’huile sur sa surface examinée avec une allumette dont la pointe avait été soigneusement affûtée.
À l’inverse, huilée vous l’avez compris elle devait être exempte de toutes traces d’huile.
Ils passaient toutes les demi-heures Pour vérifier la mise à sec ou le bon graissage. Évidemment ils trouvaient toujours des traces d’huile et la sanction était immédiate, soit on se prenait un coup de crosse soit une baffe, ou on se tapait une série de pompes. Cela donnait une scène assez marrante, je le reconnais paras un derrière l’autre! Un petit moment de détente qui finissait par nous faire rire! Voici le dialogue entre les deux punis : « Wouah! Wouah! ....-Ce salaud il me mordrait !.. » Le régime était fixé à trente pompes. Ou nous avions droit aussi à :
« Brigitte Bardot est une putain!
-Tu es trop con pour la baiser! »
Une petite dernière !
« C’est la vie de château !
-pourvu que ça dure! »
Lors du cirage du parquet de la piaule, ils vérifiaient si les fentes et les jointures du parquet brillaient autant que la surface plane. Un soir je décide de me raser, j’avais calculé que je n’aurais pas à le faire me levant cela pour gagner du temps ! Faux calcul! Le chef s’en aperçoit dans la matinée il me choppe la joue entre son pouce et son index et me dit:
«Tu ne t’es pas rasé ce matin !
-Si chef!
-Tu ne t’es pas rasé ce matin!
-Si chef! Et il a commencé à me balader pendant un quart d’heure dans tous les coins du bâtiment
sans me lâcher et en me reposant la phrase régulièrement.
-Tu ne t’es pas rasé ce matin !
-Si chef ! »
Au bout de dix minutes environ il a lâché ces mots:
«Eh bien, je suis fier de toi, tu pourras te raser ainsi le soir quand tu le voudras, mais n'exagère pas quand même !
-Oui chef! »
Et peu de temps après il me dit : « Toi, tu ne parleras pas sous la torture et tu ne reculeras jamais lors d’une bataille !» Il attendait que je craque et là, j’aurais eu droit aux pires des brimades! C’est ainsi que j’ai gagné un galon, celui de la considération d’un de mes supérieurs et que j’ai eu la paix de sa part jusqu’à la fin des classes.

Le jour de Pâques nous avons eu à nettoyer la zone de tir à la petite pelle pour nous occuper. Le seigneur n’a rien fait pour nous! Les engagés nous les rencontrions au bar de la caserne. Une fois alors que je buvais une bière à l’extérieur avec un copain, deux félés se sont pointés et nous ont dit : «Finissez vos bières on va lancer deux grenades en visant le centre de votre table»
Ils se sont mis à dix mètres de nous, ont fait semblant de dégoupiller les bouteilles et les ont lancées dans notre direction. Par miracle elles sont tombées au centre de la table sans exploser!
Ils ont testé ainsi notre courage. Si nous avions refusé ce jeu ridicule, ils en seraient venus aux mains. Tous les matins on allait faire un entraînement de course à pied. J’étais dans mon élément j’avais participé dans le civil à diverses courses j’étais parmi les meilleurs espoirs, d’ailleurs un entraîneur national est venu spécialement me chronométrer sur diverses distances. Tout en me baladant j’arrivais largement devant les meilleurs de la caserne. Jusqu’au au jour où je m’entrave et je m’ouvre la pomme de la main gauche. Un des chefs me dit : «Tu ne sais pas courir ? On nous avait dit que tu étais un champion ! Tu sais grimper à la corde au moins?» Ce malade avait son idée, heureusement le chef qui m’estimait est intervenu pour m’éviter une montée de corde avec la main ouverte. Cela m’a amené directement à l’infirmerie où j’allais assister à une scène assez incroyable. Deux grands copains engagés s’étaient accrochés sans se manquer ces joutes étaient assez fréquentes. L’un dit à l’autre de toute façon tu n’as jamais eu de couilles je le sais! Regarde! Il sort un couteau le met sur le banc sur lequel on avait pris place et pose sa main à plat et dit à l’autre : « Tu n’es pas capable de me planter le couteau dans la paluche! » Sans hésiter l’autre se saisit de l’arme tranchante et lui cloue la main! Inutile le vous dire que le service d’urgence a vite été alerté ! J’ai appris par la suite que l'agresseur était parti au niouf et qu’il s’était fracassé la tête contre les barreaux du lit, pris de remords sûrement ? J’ai assisté aussi à une tentative de suicide d’un engagé. Pendu aux barreaux d’une fenêtre au deuxième étage d’un bâtiment il se tailladait les veines du poignet. En bas, certains paras tentaient de le raisonner, d'autres au contraire l'encourageaient. J'ai appris plus tard que si un soldat se suicide dans ces conditions toute sa chambrée est réformée, je n'ai pour autant jamais pu vérifier ces dires.

Avant d’être brevetés parachutistes nous sommes partis en manœuvre. Une semaine débarqués en pleine montagne noire. Nous étions les Français, les paras du troisième RPIMa étaient les soviétiques. Une semaine avec le barda sur le dos et les flingues. Les Russes nous avaient repérés et nous suivaient à la trace! Ils demandaient aux paysans du coin :
« Vous n’avez pas vu passer des paras?
-Si, si, passez par là c’est un raccourci vous devriez les rattraper». Ils se postaient avec les engins motorisés à l’endroit indiqué et nous sulfataient au passage en donnant notre position à d’autres groupes dans les parages. J’ai le souvenir que l’on courait comme des lapins tout droit, nos chefs nous ordonnaient de zigzaguer pour éviter les balles ! Mais ils tiraient à blanc bien sûr, et on ne les écoutait pas. Nous n’avions pas intérêt à ce que les sauvages nous fassent prisonniers ils nous auraient mis presque à poil en pleine pampa ! Pendant les marches forcées journalières de 30 à 40 kilomètres nos chefs bizarrement étaient devenus sympas, ils se méfiaient de nous je pense nous n’étions plus à la caserne. J’aidais les moins sportifs en portant leur fusil et leur sac, en les encourageant ! L’esprit de solidarité jouait, il était bien présent. Les rations étaient composées essentiellement de corned-beef et de pain de guerre, j’ai même ouvert une boîte de sardines datant de 1946 ! Je ne vous explique pas l’odeur! Assoiffés on a bu l’eau d’une mare à canards après l’avoir désinfectée avec des cachets, la couleur verdâtre rappelait avantageusement le sirop de menthe. Plus tard nous sommes partis à Pau pour obtenir le brevet de parachutiste : j’ai retrouvé les tours d’entraînement d’appel et d’arrivée. Ah oui ! Je vous explique rapidement de quoi il s’agit comme le ferait un moniteur parachutiste : la tour d’arrivée a une hauteur d’environ 35 mètres elle est munie d’un câble incliné d’une longueur équivalant à deux fois sa hauteur. On y accède par l’intermédiaire d’une échelle verticale et on débouche sur une petite plate-forme. Une fois en haut on fixe un mousqueton au harnais que l’on a auparavant enfilé et dans un go volontaire on dévale le câble pour finir en une roulade imposée dans un bac à sable. La tour d’appel avait la même structure mais on la craignait tous, par rapport au nombre d’accidents mortels qu’elle avait engendrés ! C’était un saut semblable à celui bien connu aujourd’hui de l’élastique. À la différence près que ce dernier était remplacé par un câble rigide. C’étaient nos copains en bas qui stoppaient la chute en tirant dans un élan commun sur un système ingénieux qui bloquait le mécanisme. Le souci était qu’il ne fallait pas qu’un deux s’entrave les pieds dans la manœuvre ! Autant dire que l’on n’était pas fier en haut avant d’entendre le fameux Go où sans hésiter il fallait sauter! Si l’engagement n’était pas total une voix sévère en bas nous disait d’escalader à nouveau le tas de ferraille vertical. Les paras de Pau où se trouvaient ces structures vertigineuses nous craignaient. Nous étions considérés par eux comme des têtes brûlées! Au réfectoire par exemple on ne respectait pas l’ordre de la file d’attente! Pour parachever notre instruction nous avons participé à des manœuvres de nuit, armés jusqu’au dents. Je me souviens d’un largage où nous nous sommes tous posés dans une forêt. Une seule préoccupation apprise à l’instruction a été de protéger les parties les plus précieuses de notre organisme ! Enfin pour finir, nous avons participé à la marche de la fourragère de 40 kilomètres environ. On a eu droit aux honneurs de notre corps d’armée, nous étions devenus des hommes enfin. Notre première perm était la bienvenue après deux mois d’instruction.

Pour conclure ce récit assez explosif dans sa forme, j’ajouterai que la première fois que je suis monté à l’intérieur d’un avion je n’ai pas atterri avec lui. J’ai été instamment invité à passer sa porte en plein vol. Il faut dire que les carcasses calcinées au sol des avions Nord Atlas nous encourageaient à quitter cet aéronef d’un autre temps! Les trous d’air de plus de cinquante mètres nous les ressentions avec des haut-le-cœur crispants juste avant que les moteurs dans un bruit assourdissant ne se fassent réentendre. Nous n’avions d’ailleurs pas le choix, nos instructeurs nous avaient expliqué quelques règles incontournables :«Celui qui refuse le saut aura affaire à nous dès l’atterrissage! Rappelez-vous que l’armée de terre a droit à trois pour cent de pertes en hommes.
Dès que vous êtes dans le vide vous avez trois secondes à attendre pour que le parachute dorsal s’ouvre! Si ce n’est pas le cas vous tirez sur la poignée du ventral! S’il se met en torche, vous n’avez plus que trois autres petites secondes pour faire votre prière!» Une dernière petite anecdote : je me souviens du jour où ma jambe droite a été prise dans une suspente lors de l’ouverture du champignon. Un haut-parleur me donnait la solution pour me sortir de cette situation périlleuse. Inutile de vous dire que l’atterrissage dans cet état de figure me promettait le casse pipe, une jambe très certainement en morceaux. C’est du reste la pensée momoricienne que j’avais à cet instant précis en tête ! C’est à moins de 20 mètres du sol que j’ai réussi à trouver la solution à ce problème urgent, soulagé de pouvoir me poser sur le plancher des vaches sur deux pattes. Alors vous donnerez l’appellation que vous souhaitez à ce fameux plancher des vaches! Sous quelles formes à vos yeux, se présentent ces ruminantes bêtes qui le foulent? Moi je les compare à des âmes au cœur tendre blindé d’acier!

























Départ mémorable en dauphine, sensations intenses assurées.

Mon ami coureur cycliste Georges avait pour habitude de venir me chercher à mon domicile situé à l’époque dans l’impasse Raynal et Roquelaure, vous pouvez desserrer vos ceintures! De là, nous partions vers Figeac où Michel avait une voiture plus apte à rouler pour nous rendre à la course du jour. Il faut dire que l’expédition s’annonçait toujours périlleuse la Dauphine capricieuse n’était plus très jeune et ressemblait plus à une serre mobile qu’à un véhicule de tourisme! Une fois lancée dans la descente d’Ournes elle finissait par démarrer tant bien que mal, mais à y réfléchir d’un peu plus près, le mal l’emportait largement sur le bien. Le vieux, que nous avions surnommé aussi tout naturellement parce qu’il flirtait avec l’âge avancé de trente ans et que les jeunes coureurs que nous étions à l’époque n’en avaient qu’à peine plus de vingt, le vieux disais-je m’avertissait de son arrivée par un long coup de klaxon strident. avec son éternelle interrogation : «Tu es prêt ?» J’allais alors chercher mon vélo, cadre et les roues séparés, pour me retrouver un instant plus tard face à un premier dilemme! Comment allais-je pouvoir rentrer ma monture de compétition sans l’abîmer ? Par un tour de magie que seuls les grands du spectacle possèdent Georges sans se démonter m’expliquait l’agencement idéal pour le premier exploit de la sainte journée. Il ne fallait surtout pas s’inquiéter, ils étaient rentrés la semaine d’avant, il n’y avait donc aucune raison pour que le miracle dominical ne se reproduise pas encore une fois! Notre-Dame des Voyageurs veillait sur nous! Finalement le dit miracle a lieu et dans la foulée, j’entends : « Tu n’as qu’à t’asseoir sur un des cageots tu tiendras l’ensemble fermement d’une main afin que les cadres ne se frottent pas pendant le trajet. L’aménagement du véhicule est d’une sobriété surprenante, le siège arrière vous l’avez déjà sûrement compris, n’est plus présent, ni d’ailleurs celui du passager avant, ce qui permet de jouir d’un espace très appréciable, c’est un coupé sport transformé avec art en un véritable break en quelque sorte! A l’arrière, poussent généreusement toutes sortes d’agrumes qui ont réussi à germer, puis à se développer en une multitudes de variétés en cette période favorable de début de printemps. Notre citadine prend des grands airs de jardinerie ambulante des plus insolites.
Vous pouvez l’avoir deviné, le champion d’Auvergne de cyclisme est maraîcher, vous le connaissez tous à Figeac, n’est-ce pas? Il se démène encore sous la halle tous les samedis malgré ses 78 années ! Eh oui ! Il est vraiment vieux ! Un coup de première et nous partons poussivement. Juste après le stop de l’impasse, j’entends mon Georges qui s’esclaffe : « Nous voilà dans de beaux draps, Playboy…les pandores nous attendent ! » Évidemment la proie est facile, d’un léger signe de la main et le convoi s’arrête aussi vite qu’il a mis du temps à prendre son rythme de croisière. Mon Georges pour autant ne se démonte pas devant les deux agents de la sécurité de l’époque. Je ne les nomme pas ici mais les plus anciens du secteur doivent sûrement se souvenir d’eux. Toc toc à la vitre. Georges ouvre la porte, bien entendu la vitre ne descendant pas, enfin si, mais généralement absolument pas quand on le souhaite. Une voix rocailleuse bien de chez nous se fait entendre :

« Gendarmerie nationale bonjour! Vous pouvez arrêter le moteur du véhicule s’il vous plaît ?
-Ah non! Elle ne démarre qu’en descente, vous voulez la pousser en repartant ?
-Bon…très bien, vous avez les papiers du véhicule ?.
-Oui…je dois les avoir par là!».
-Permis de conduire…
-Ah je l’ai, mais il est vieux comme moi, je vous le donne en trois morceaux!»
-Assurance…
-voilà !
-Non…c’est celle de 1971 ! »
Après plusieurs tentatives infructueuses il tombe enfin sur la bonne!
«Vous n’avez pas d’essuie-glace côté passagers?
-Non, il ne servirait à rien, vous voyez bien qu’il n’y a pas de siège!
-Vous savez combien cela peut vous coûter ?
-Non!
-Soixante mille francs!
-Houuu! Allez, viens Playboy, on descend le matériel et on leur laisse la voiture, ils n’auront qu’à la vendre, nous, on part à Figeac à la force du mollet !
- Ne bougez pas! »
L’autre assermenté qui entre temps a fait le tour de l’épave revient et dit:
« Vous savez que vous avez les quatre pneus lisses?
-Ah non! Trois seulement, je le sais pertinemment, j’ai mis celui de la roue de secours sur la jante avant droite après une crevaison la semaine dernière et il est bon!».
Le bleu qui vire au rouge refait le tour du tacot …Il revient et dit:
« C’est exact! Le klaxon fonctionne ?
- Oui, je viens de m’en servir il y a à peine plus d’un quart d’heure vous avez dû l’entendre !
- Les feux de route et de croisement ?
- Les clignots oui, pour ce qui est des feux de route, je n’en ai pas besoin je ne la sors jamais la nuit!
- Bon, ce n’est pas tout s’exclame Georges on va courir et on nous attend à Figeac!
- Vous allez où ?.
- Dans le Cantal près d’Aurillac.
- Et vous comptez arriver à l’heure avec cet engin disloqué ?
- Non…on ne va que jusqu’à Figeac!
- Bon, très bien, vous pouvez partir mais essayez d’avoir une voiture plus en état la prochaine fois!»

Et nous voilà repartis, soulagés d’un poids important, quand tout à coup, non loin de l’Oustal parlaïre, mon Georges s’inquiète à nouveau : « Putain Playboy les motards!…Ah !…c’est bon ! On va pouvoir passer ils en tiennent déjà un! » Il n’était pas plus compliqué de gagner une course cycliste pendant les Trente Glorieuses que de rejoindre le point de son départ à temps. Petite dernière parenthèse : Les mêmes agents de la circulation m’arrêtent un peu plus tard avec un copain, nous avions près de nous deux bouteilles de rouge… L’un d’eux nous dit après un contrôle très sommaire des papiers : « Je vois que vous l’aimez vous aussi ! » Je me pose deux questions avec une certaine anxiété aujourd’hui ! Aurions-nous perdu un peu en liberté ? Aurions-nous gagné en sécurisé ?…
 
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