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Une journée d’école à Capdenac-Gare, le jour où tout a failli basculer !

#1
Une journée d’école à Capdenac dans les années soixante, le jour où tout a failli basculer ! Récit définitif

Si vous avez l’occasion de balayer du regard cette cour d’école aujourd’hui, dites-vous que rien n’a vraiment changé depuis les glorieuses années où petit écolier je la parcourais brodequins aux pieds. Je vais essayer de vous décrire ce qu’était la vie des écoliers dans le courant des années soixante en ce haut lieu de la culture. Le portail en fer forgé s’ouvrait sur un espace sobre parsemé de petits platanes. Les instituteurs avaient pour habitude de parcourir cet espace clos dans d’incessants et curieux allers-retours, composés d’une marche avant et d’une marche arrière. Ce mouvement de balancier, dans une gestuelle bien huilée, ne pouvait jamais s’enrayer, Ils discutaient entre eux tout en surveillant les élèves. Ce mécanisme pouvait toutefois marquer un temps d’arrêt suite à une glissade ou à un télescopage accidentel. L’enceinte en terre battue était en léger dévers et la vitesse que prenaient les trois cents petites guiboles ne permettait pas toujours d’éviter les dures rencontres non sollicitées! Dans ces conditions extrêmes les genoux couronnés n’étaient pas rares. A l’air libre, sans soins particuliers, les blessures finissaient toujours par cicatriser. Rapidement arrivait le fatidique son de la cloche actionnée par une chaîne solidement accrochée à une poutre du préau. Préau qui nous servait d’abri en cas d’intempéries, qui pouvait aussi offrir un de ses coins afin de permettre à un éventuel étourdi qui n’avait pas appris ses tables de multiplication de remédier à cet impensable oubli. Il lui suffisait pour cela de parcourir le dos du cahier qui faisait office de brouillon. Cette suprême punition durant la récréation nous permettait de prendre conscience que les études passaient avant l’amusement ! Nous pouvions aussi jumeler cette offense à notre dignité d’écolier par des tours de cour les mains sur la tête, ou derrière le dos. La pire de toutes ces sanctions restait celle où nous devions accomplir ce même outrage dans l’enceinte des filles! Une rangée de commodités turques bien pratiques aux portes pleines mais ajourées par l’inexorable rudesse du temps, longeait un mur d’enceinte pratiquement infranchissable. Bien entendu, les filles et les garçons ne partageaient pas le même secteur d'études, en ces temps reculés la morale prédominait sur tout, l’éducation nationale ne voulait pas, vous l'avez compris s’exposer au moindre risque!. Toutefois, ce contexte sobre qui prête aujourd’hui à sourire n'influait aucunement rassurez-vous sur notre imagination débordante. La semaine scolaire s’étalait du lundi au samedi après-midi, nous rentrions le matin à neuf heures et nous quittions l’établissement à quatre heures et demie. Le jeudi nous n’avions pas classe mais cela ne veut pas dire que nous étions au repos, nos parents nous trouvaient diverses occupations pratiques ! Lorsqu’on est entouré de champs et d’animaux il y a toujours de quoi occuper un esprit épris d’oisiveté ! Les vacances d’été avaient une durée de trois mois environ. Intelligemment nous avions séquencé les trois trimestres par diverses activités ludiques mais aussi physiques. La rentrée autour du vingt septembre était consacrée aux billes que l’on achetait chez la Marinette. C’était une toute petite surface aux multiples gâteries pas très loin de l’entrée de l’école Saint Louis. Le paquet de cent billes en terre avait une valeur marchande de cent francs, la bille était donc à un franc!
Ce petit calcul rapide est là, pour vous prouver que mon passage à l’école primaire n’a pas eu que des côtés négatifs.
Les agates en verre aux reflets multicolores étaient à dix francs, il existait le boulard bien plus gros mais aussi la bille en plomb, nous pensions avoir une fortune en poche! Cette grande richesse se mélangeait souvent dans nos tabliers gris avec de succulentes châtaignes fraîchement ramassées puis grillées au feu de bois. Ce délicieux fruit très nourrissant à l’enveloppe épineuse était surnommé "le pain du pauvre" Il était largement utilisé dans nos campagnes et pouvait se conserver toute l’année. Aux petites mains il servait parfois de monnaie d’échange lorsque par malheur nous étions kuffés! "Sans billes".Nos jeux étaient variés, soit on débutait une partie de triangle , soit on jouait au trou! Alors les phrases aux timbres magiques fusaient de nos petites bouches : « Point de dégouline ! Point de patte! Je vais te kuffer! » Une suite de mots magiques que nous comprenions tous, et qui nous permettaient de passer un très agréable quart d’heure. Nous entonnions un peu plus tard dans l'année les «Qui c'est qui veut jouer aux gendarmes et aux voleurs? » Ou le fameux :«Qui c'est qui veut jouer à trape trape? » Ces moments de liberté cependant passaient bien trop vite à notre gré! Certains élèves dès leur arrivée le matin étaient de corvée pour allumer le poêle à charbon. Une agréable chaleur était donc bien en place pour nous accueillir, à l’instant même où la cloche sonnait le moment du grand rassemblement. En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, les rangs par deux se formaient dans un silence qui aujourd’hui paraîtrait surprenant, tant il contrastait avec la minute qui l’avait précédé.
Devant la porte l’instituteur d’un signe autorisait l’accès à la salle de classe.
Deux ou trois allées séparaient des petits bureaux à deux places où un petit banc solidaire servait d’assise aux élèves.
L’odeur bien particulière de cette pièce réservée aux études emplissait nos narines.
C’était un parfum olfactif difficile à décrire, fait d’un savant mélange de craie, d'encre, de gommes, de cahiers et de livres! Sans oublier l’odeur du chauffage aux effluves charbonneuses si particulières. À l’époque des machines à vapeur, nous nous étions habitués à ce type de confort passager! Nos fermes étaient équipées d’une cheminée avec un effet chaud devant froid derrière pour faciliter le tirage et bien souvent la porte d’entrée restait ouverte pour éviter les émanations de fumée à l’intérieur de la pièce à vivre.
L'académie de Toulouse, vous voyez ne lésinait pas sur le bien-être de ses petits étudiants.
Face à notre pupitre nous attendions patiemment l’ordre du maître qui nous ordonnait de nous asseoir. Cette phrase était suivie généralement d’un : « Sortez votre cahier du jour!»
L’instituteur commençait alors de morale, très importante à ses yeux.
Après nous avoir expliqué les règles d’une bonne conduite sur divers sujets de l’existence, il prenait la craie et dans une écriture faite de pleins et de déliés le tableau s’incrustait de sages paroles. Une fois la phrase moralisatrice définitivement inscrite nous devions la recopier à l’aide de notre plume légèrement humectée dans l’encrier. L’écriture est un art de nos jours oublié, je vous invite à consulter les anciens registres dans nos mairies pour en saisir les contours aux multiples facettes.
Plume légère en montant puis accentuée dans sa descente, la lettre ainsi posée devient une œuvre d'une finesse admirable.
Les taches ne sont pas admises, il faut beaucoup d’expérience et de doigté pour obtenir une récompense désignée par un bien ou un très bien.
Les uns après les autres, nous nous levons et toujours dans le plus grand calme, nous avançons vers la chaire et tendons le cahier ouvert à l’homme nanti d’une grande instruction.
Il nous demande si l’on a bien compris ses explications du matin, et nous pose une ou deux questions à ce sujet, sa plume imbibée d’encre rouge parcourt les quelques lignes et en marge tombe par magie l’appréciation.
Le bonheur on le ressentait déjà dans un assez bien, alors lorsqu’on atteignait le sommet de la récompense avec un très bien, inutile de vous décrire la fierté qui fusait en nous!
Ainsi passait la journée où le français côtoyait les mathématiques, avec ces fameux trains qui partaient en gare de Capdenac vers Cahors à une certaine vitesse, mais qui contrairement à la régularité exigée par la SNCF pendant cette glorieuse époque, n’étaient jamais à l’heure, et il fallait bien entendu dire à quel endroit ils allaient se croiser!
Difficile me direz-vous sur une ligne à une voie!
Les réserves d'eau n'étaient jamais étanches et d'astucieux vases communicants ajoutaient leur grain de sable à un résultat que nous devions trouver et qui nous faisait inévitablement bouillir les neurones !
Nous sortions une fois par jour l’ardoise pour du calcul mental et c'était à celui qui trouverait le bon résultat en premier!
Il pouvait ainsi gagner un bon point ou une image!
À ce jeu-là, certains d'entre nous montraient une certaine aisance. D’autres qui au contraire avaient sûrement déjà des facultés résolument tournées vers la littérature ne progressaient guère !
Heureusement la brave cloche actionnée grâce à une chaîne par l'élève de service venait, à intervalles réguliers, nous délivrer de ces prises de tète incessantes mais oh combien utiles et instructives.
Le repas de midi que nous avait concocté avec amour la mère Closel arrivait à point. Nous faisions notre possible pour lui être agréable en l’aidant dans son service, afin de pouvoir avoir accès à la réserve au Petit - beurre. Évidemment nous nous remplissions les poches sans le lui dire!
Je n’appréciais pas la nourriture qui nous était servie. Sans être ni hindou ni disciple de Pythagore, je n'ai pas voulu toucher un seul morceau de viande pendant plusieurs années. L'esprit n'en était que plus alerte, aussi bien retrouvait-on le même régime dans la plupart des internats, c’est ce que m’ont fait comprendre les quelques années de pensionnat au lycée Champollion de Figeac! S’il faut en croire le philosophe Alain : "Il y a une odeur de réfectoire, que l’on retrouve la même dans tous les réfectoires. Que ce soient des Chartreux qui y mangent, ou des séminaristes, ou des lycéens, ou de tendres jeunes filles, un réfectoire a toujours son odeur de réfectoire. Cela ne peut se décrire. Eau grasse ? Pain moisi ? je ne sais. Si vous n’avez jamais senti cette odeur, je ne puis vous en donner l’idée ; on ne peut parler de lumière aux aveugles. Pour moi cette odeur se distingue autant des autres que le bleu se distingue du rouge.

Si vous ne la connaissez pas, je vous estime heureux. Cela prouve que vous n’avez jamais été enfermé dans quelque collège. Cela prouve que vous n’avez pas été prisonnier de l’ordre et ennemi des lois dès vos premières années. Depuis, vous vous êtes montré bon citoyen, bon contribuable, bon époux, bon père ; vous avez appris peu à peu à subir l’action des forces sociales ; jusque dans le gendarme vous avez reconnu un ami ; car la vie de famille vous a appris à faire de nécessité plaisir.
Mais ceux qui ont connu l’odeur de réfectoire, vous n’en ferez rien. Ils ont passé leur enfance à tirer sur la corde ; un beau jour enfin ils l’ont cassée ; et voilà comment ils sont entrés dans la vie, comme des chiens suspects qui traînent un bout de corde. Toujours ils se hérisseront, même devant la plus appétissante pâtée. Jamais ils n’aimeront ce qui est ordre et règle ; ils auront trop craint pour pouvoir jamais respecter. Vous les verrez toujours enragés contre les lois et règlements, contre la politesse, contre la morale, contre les classiques, contre la pédagogie et contre les palmes Académiques ; car tout cela sent le réfectoire. Et cette maladie de l’odorat passera tous les ans par une crise, justement à l’époque où le ciel passe du bleu au gris, et où les libraires étalent des livres classiques et des sacs d’écoliers".
Après ces fortes paroles, et après avoir redressé mon ancienne casquette d’écolier un moment déstabilisée sur ma tête un moment vagabonde, je glisse avec vous vers la deuxième partie de la journée.
Elle était consacrée aux matières très importantes qui font travailler la réflexion et l’imagination. Nous avions des sujets de rédaction pas faciles à développer. Il m’en revient un à l’esprit : "Décrivez l’automne" Les séances de vocabulaire que j’aimais bien étaient très animées aussi ! L’orthographe avec sa fameuse dictée d’environ dix lignes en CM2 truffée d’accords avec le verbe être et avoir nous posait de sérieux problèmes! En effet, une faute entière comptait pour quatre points en moins sur vingt, la demi-faute sanctionnait un nom commun de deux points, la ponctuation et les accents oubliés un quart de faute ! À ce régime on atteignait rapidement le zéro pointé avec cinq fautes! Mais peu importe la besogne, il nous fallait être fin prêts pour le jour où l’ordre nous serait donné de sortir nos cahiers de composition! Notre plus grand bonheur venait encore une fois de cette brave cloche qui à quatre heures et demie résonnait à nouveau afin de nous délivrer de ces interminables casse-têtes!
On reconnaissait la sonorité du soir, l’élève qui tirait sur la corde y mettait tout son cœur!
La sortie était accompagnée de cris joyeux sonnant la liberté dès que l’on passait le portail en fer forgé pour regagner nos foyers.
Il est à ce propos un souvenir moins heureux qui est resté ancré dans la mémoire collective de beaucoup d’écoliers, enfin c’est ce que je pense !
Comme chaque jour, matin et soir, le car de la société Laurens se chargeait du ramassage scolaire. De Capdenac-Gare en passant par la Madeleine et au-delà de Foissac, les enfants empruntaient l’autobus dans un aller-retour journalier.
En cette fin d’après-midi, c’est donc la tête remplie de nouvelles connaissances que
cinquante écoliers du cours préparatoire aux collégiens en classe de troisième, prenaient la route pour rentrer chez eux. Confortablement installés sur des sièges à l’assise ferme dépourvus de ceintures de sécurité, ils se trouvaient dans les lacets de la fameuse côte de Roquefort. Il n’y a pas jusque-là de quoi en faire un fromage me direz-vous!
Oui mais voilà, ce jour- là, le garagiste du coin essayait une nouvelle déesse de la route!
Au tiers de la montée, dans un virage en courbe pas très accentué ce bolide lancé à toute allure a eu la fâcheuse idée de percuter l’avant de notre bus! Dans une glissade miraculeuse, ce dernier s’est arrêté dans un mouvement de balançoire retenu en son centre par un brave chêne qui avait réussi l’exploit de prendre racine dans un coin où toutes plantes dites raisonnables hésitent à s’aventurer !
J’ai ressenti immédiatement une douleur vive au niveau du genou gauche qui s’est mis à saigner abondamment puis à gonfler. Heureusement cette blessure après consultation s’est avérée sans gravité. Seule une cicatrice attestera par sa présence l’instant où dans ma vie tout a failli basculer !
Des cris de frayeurs ont jailli de l’habitacle, le moteur du car a été immédiatement stoppé grâce au sang-froid du chauffeur à l’éternel béret basque.
Ce brave père Laurens comme on l’appelait tous, avait eu un réflexe béni , il venait de sauver sans le savoir encore l’ensemble de ses petits passagers !
Sous nos yeux effarés, un ravin vertigineux, gueule grande ouverte, nous tendait ses bras. Cet espace béant d’environ quatre-vingts mètres de profondeur baigne ses pieds dans le lit du ruisseau la Diège. Elle était prête ce jour-là à nous offrir son en guise d’adieu son lit.
Le car scolaire en équilibre précaire devait se vider sans tarder avant que l’impensable ne se produise.
Heureusement, le maître à bord encore une fois a su organiser son évacuation dans le calme. La portière qui permettait la sortie habituellement s’ouvrait face au précipice. Nous avons emprunté logiquement celle du conducteur. Je ne vous cache pas toutefois que le temps que l’on a mis à quitter le couloir central au moment crucial de l'évacuation nous a paru interminable. Des craquements inquiétants saccadés rythmaient notre future délivrance, et nos yeux évitaient de se focaliser vers l’espace diabolique qui nous aurait condamnés à une mort certaine.
J’ai grâce à mon ami instituteur retrouvé l’endroit précis où a eu lieu le télescopage et le Saint arbre qui a permis la survie de très nombreuses âmes bien trop jeunes pour quitter le monde des études!
Eh oui, il existe encore, son tronc robuste défie les années avec grâce et dans une révérence dont il a le secret il se rappelle à nous en tant que sauveur à l’écorce providentielle.. DF781180-3A79-4342-90C2-ECCFEC88CC9F.jpeg
 
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Polymnie2

Maître Poète
#3
Un bien beau récit
qui me rappelle le mien
la cantine est la même
dès que la cuve était ouverte
je me privait de respirer
le contenu était mangeable!
mes frères partaient à l'école avec les billes
accrochées à la ceinture:
C'est fou ce que la mémoire des écoliers
est éveillée, rien n'échappe!

Bises d'amitiés, poly
 
#8
Tu aurais du faire plus long! Sourire ;)
En fait j'apprécie ta prose depuis toujours :
Ah les souvenirs sont toujours là sans faille !
J'adore ce temps là; nos jeunes années
Bisous
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sourires ce jour-là j’étais en manque d’inspiration pour faire plus long!…sourires
Bises chère Lola, merci d’avoir eu le courage de me lire jusqu’au bout, pour cela je mets la ponctuation où il le faut, pour que la lectrice puisse reprendre son souffle ! HI trois fois !
Momo