Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site web.
Si vous continuez à utiliser ce site, nous supposerons que vous en êtes satisfait.

  • Visiteur, merci de ne pas poster plus de 5 poèmes par jour. Ceci dans le but d'améliorer la visibilité du site.

LES VILLES,

#1
Les flèches des églises qui percent le ciel bas...ce ciel qui pèse sur la terre et saigne sa pluie sur les têtes ployées des hommes... La tristesse de tout.

La tristesse ? Plutôt une angoisse aussi lourde que le ciel et qui me vient de l'enfance, cette peau fragile qu'est l'enfance : ce candide satin que crève une bise, l'affleurement d'une aile d'oiseau, ce ventre mou...

Ma ville était dure et roide, affligée de bâtiments solennels empanachés de nuages bois de rose et d'oiseaux poudreux.
Y avaient élu domicile, la tristesse et une sorte de fatalité tranquille, mais froide.

Précisément des façades, semblables à de vastes fronts bornés (têtes froncées de Goya; déesses de givres, s'il en existe dans quelque mythologie), par transsudation, suintement seulement visible à l’œil de l'âme, à l'attentive vigile de l'enfant, s'épandait, porté par le vent, sur la ville toujours frissonnante comme une fiévre, une sorte de morgue, de sueur mauvaise, de sérieux mortel, de halo funéraire; une rosée de deuil perlait donc aux feuilles des arbres, attristant les violettes et rendant, sur leurs massifs géométriquement parfaits, les pensées graves.

Je ne crois pas à l'existence réelle de cette ville que l'on nomme Bordeaux.

Je sais bien que sur les cartes, qui ont le sérieux impeccable des organigrammes,figure, parmi d'autres lieux fantasques, la ville de bordeaux; qu'on y peut être informé de sa superficie, des accidents de son sol, du faciès de ce fragment du monde ainsi que de sa gentilité : la carte affirme l'existence concrète de la ville-fantôme , vante ses gourmandises, et son passé - le prince celte qui rejoignit, suivi de minces troupes, la coalition de Vercingétorix, les ducs d'aquitaine ; les anglais et leurs archers Gallois, les illustrations littéraires des temps modernes- donc donne vie à ce fantasme, l'anime, le prouve en exhibant son archéologie,les sédiments de ses anciens avatars...Je ne suis pas convaincu.

Les villes n'avaient pas plus de matérialité que les songes desquels elles avaient surgi, peu à peu, au fil des siècles, sortant des fronts pâles des hommes : elles étaient, coagulées sur les terres des cinq continents: temples aztèques gluant de sang et de viscères, palais des doges, mégalopoles assyriennes et bientôt, comme menaçant l'azur, titanesques, les gratte-ciel américains: elles étaient des songes, rien que des songes tourmentés, des rêves durs qui ébranlaient, sur son lit de braises, un malade noyé de sueur.

Strates par strates, venues des fonds des âges, du sol qu'avait maudit un Dieu, les villes se mirent à germer.
Les hommes, accroupis autour d'un feu maigre rêvaient et se rêvaient bâtisseurs-les hommes, eux-mêmes, s'érigèrent en rêve, tout en restant tapis sur la terre noire et chaude, cernés par les feulements des bêtes et le froid énorme venu des glaciers.

Ils se rêvaient « hommes » et se rêvant tel, donnèrent la vie et l'être à l'infini cauchemar humain, le déroulèrent lentement, comme un tapis rouge, comme la langue bandée et venimeuse d'un reptile cosmique.

Dans un fantastique silence, les villes se mirent à moutonner ainsi que des vagues livides, à s'agglutiner aux creux des fleuves et des rivières ; moisissures poétiques, les firent naître les volutes des mélopées qu'entonnaient les accroupis dans les ténèbres : orphiquement, elles obéirent aux ordres murmurés des chanteurs, des rêveurs et des mages vêtus de peaux.

Bordeaux était donc la sécrétion durcie et devenue hautaine d'un naïf chant primordial : bordeaux était la vibration, augmentée d'âge en âge, d'un rêve d'hommes accroupis.

Je savais que ,toute armée, était sortie une Déesse de la tête de Zeus. Il existe des prodiges.

Les bars, les docks, les squares moussus hérissés d'arbres maigres, les chats que l'on croise, les trottoirs ébréchés, les putes qui jalonnent les rives, les ombres qui s'entremêlent, lourdes de poisons et d'entrailles chaudes, les yeux dont s'éteint le regard à chaque battement de cœur, les vignes accablées de soleil et grasses comme des bouches, les statues de bronze si calme sous la pluie et que la pluie dédore, les cinémas, les casernes et les cimetières gorgés de morts, tout cela semblait les éléments précis et mouvant d'un songe.

Tout cela n'était qu'un songe.

Seul le cimetière -s'échappant du champ onirique et le révélant- paraissait irrécusable.