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Lacenaire revisité (1803-1836)

Filiatus

Maître Poète
#1
En sélectionnant Lacenaire
Pour l'intégrer dans mes cahiers
De sommités patibulaires
J'avoue que j'ai fait fort hésité

Car le bonhomme à sa manière
Était poète et assassin
Entre Verlaine et Baudelaire
Et entre Cartouche et Mandrin

Pierre François naît en frimaire
De l'an douze, en plein Consulat
De Jean-Baptiste Lacenaire
Qui vit à Lyon, rue Pas-Étroit

Harassée par treize grossesses
Dont dix enfants non désirés
La mère, à moitié, les délaisse
Pour ne chérir que son aîné

Bien qu’à l’école communale
Pierre François fut le premier
C’est le fils aîné qu’on installe
Dans une institution privée

Si le gamin est un prodige
Il est néanmoins trublion
Si bien que ses parents l'obligent
À intégrer une pension

Là-bas, il s'initie aux Lettres
Mais pour préserver sa vertu
Il doit se battre avec un prêtre
Et il se retrouve à la rue

Il rentre à Lyon, tête sous l'aile
Sa mère le croit un menteur
Alors il se fâche avec elle
Et quitte l'austère demeure

Il part pour Paris chez sa tante
Où il fait des petits boulots
Il y écrit, en dilettante
Quelques vers qui tombent à l'eau

À vingt-trois ans, il est en Suisse
À vingt-quatre ans, en Angleterre
Il est en Écosse, à vingt-six
Puis, il retourne chez sa mère

Mais ses parents ont fait faillite
Lors, sans ressource et sans maison
Il commet un acte illicite
Qui le fait jeter en prison

Là, il y étudie la langue
Des voyous, et tous leurs secrets
Pour devenir un chef de gang
Quand il sortira, peu après

Libéré en mil huit cent trente
Il commet des vols innombrables
Ce qui lui assure une rente
Et un rang de petit notable

La police qui le harcèle
Le renvoie encore en prison
Où à la lueur d'une chandelle
Il trouve une autre vocation

Il écrit de nombreuses pages
De poésies et de nouvelles
Qu'un éditeur, avec courage
Intègre dans un mensuel

Bien que ce dernier l’embauche
À sa sortie de détention
Trop attiré par la débauche
Le truand quitte son patron

Cette fois-ci, il assassine
Pour voler les économies
D'un pauvre bougre et sa copine
Qu'il paralyse dans leur lit

Épaulé par ses deux complices
Qu'il a recrutés en prison
Ils rendent dingue la police
Dont les pistes tournent en rond

L'hiver mil huit cent trente-quatre
Lacenaire a trente et un ans
Au lieu d'être au chaud près de l'âtre
Il détrousse les braves gens

Dans les rues de la Capitale
Un jeune "garçon de recettes"
Poussant un long cri d’animal
Met en déroute la triplette

Les comparses de Lacenaire
Sont arrêtés, mais ils estiment
Que leur chef est un tortionnaire
Responsable du double crime

Ce dernier est dans l'ignorance
Que ses complices l'ont trahi
Il poursuit en toute confiance
Ses affaires dans le pays

Il se fait cueillir près d'Auxerre
À la fin du mois de janvier
Puis à Paris on le transfère
Chez le chef de la "Sureté"

Là, le successeur de Vidocq
Amateur de littérature
Malgré un respect réciproque
L'inculpe pour meurtre et torture

Interné d'abord à La Force
Ensuite à la Conciergerie
À la préfecture on s'efforce
De lui rendre douce la vie

Les journalistes se bousculent
Pour interviewer le reclus
Viennent souper dans sa cellule
De grands personnages connus

Quand le procès enfin s'annonce
Le juge l'interroge en vain
Mais l'autre a pour seule réponse
"Je tue comme je bois du vin"

Pour cet assassin romantique
Les femmes n'ont pas de dédain
Il plait à la gente publique
Bien qu'il soit quelque peu mondain

Lorsque l'heure du verdict sonne
Quand Lacenaire attend son sort
Plus une mouche ne bourdonne
Car il est condamné à mort

Mais Lacenaire point ne bronche
Il rêve de posthume gloire
Et une pluie de feuilles jonchent
Le tribunal de ses Mémoires

Son avocat commis d'office
Lui obtient le temps nécessaire
Pour qu'il puisse aller au supplice
Le cœur vidé de ses chimères