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L’accident de Pompon et la vie à la fin des années cinquante au port de la Madeleine

#1
Récit définitif

Je vous vois venir! Vous allez penser que ce petit écrivaillon veut nous parler d’une époque si lointaine qu’elle a été sûrement oubliée par la plupart des personnes qui l’ont vécue! N’en croyez rien, c’était hier, nous vivions le bon temps enfin, celui que nous envient les jeunes générations qui sont persuadées de voguer dans un monde qui a atteint le paroxysme de ce qu’un être humain est en mesure de supporter.
C’est oublier cette période d’avant-guerre et d’après-guerre où les pauvres étaient de vrais pauvres, où les gitans sillonnaient nos contrées et où les journaliers mendiants pour la plupart dormaient dans le coin d’une grange après avoir trimé une journée pour un simple morceau de pain!
J’ai connu cette cambrousse paysanne qui s’est transformée très rapidement sans avoir vraiment eu d’autres choix ! Cependant le progrès, marqué essentiellement
par l’arrivée de l’éclairage a été le bienvenu. Ce ne fut pas le seul, l’eau allait bientôt se déverser dans la vasque de l’évier en pierre grâce à un robinet. Sonnait ainsi la fin de la corvée épuisante du seau remonté à la force des bras au bord du puits! Ne vous faites pas de fausses idées sur le courant électrique, à cette époque il n’était utilisé que pour alimenter en lumière les pièces à vivre et l’écurie de la ferme. Un peu plus tard encore est apparu le cheval moteur qui a sonné, hélas le glas de la traction animale !
Cela me conduit naturellement à vous parler de ces braves bêtes ! C’étaient les poids lourds des étables, ils allaient encore faire illusion un moment face à cette inévitable évolution.
Mais avant de rembobiner ce ruban cinématographique très imagé, j’ai le souhait de vous faire part d’une situation quelque peu insolite. Mon plus jeune enfant était au cours élémentaire première année en 2012 quand sa maîtresse a abordé un sujet ô combien intéressant ,celui des gens du pays à l’âge lointain de la vapeur.
En parlant d’âge, je suis certain à cet instant précis que beaucoup d’entre vous se sont déjà lancés dans de grands calculs pour connaître celui de l’auteur, non?
Je reprends…Le nœud ferroviaire de la petite ville de Capdenac construite autour de sa gare se prêtait fort bien à ce type de discussion.
Alors que l’institutrice parlait des fameuses locomotives baptisées par les cheminots du nom évocateur de bêtes noires, mon fils a cru bon de lever énergiquement son bras !« Madame !…Madame!…Mon papa a connu les machines à vapeur !».
Un moment plus tard ce fut le tour des tombereaux tirés par les bœufs et les chevaux. Naturellement est arrivée l’heure du pénible dépiquage du blé à l’ancienne, puis du battage aux rouages toujours animés par des nuées ardentes. Les bohémiens suite à ce déploiement de nouvelles technologies ne tardèrent pas à emboîter le pas! Figurez-vous que ces nomades organisaient leur campement en cercle comme le faisaient les cow-boys du far west américain! A ces paroles pour le moins dépaysantes, mon gamin très attentif persistait à affirmer que son père avait vécu ces scènes authentiques d’autrefois !
Arriva naturellement l’inévitable période où les hordes de loups hurlants colonisaient nos bois.
Et là, sans hésiter une seconde, l’insatiable garnement leva à nouveau sa main, avec ces mots : « Mon père a également connu les loups!».
La maîtresse avait à peine plus d’une vingtaine d’années, je me suis posé la question de savoir si la convocation que j’avais reçue de sa part quelques jours plus tard, n’avait pas une corrélation avec ce sujet ancestral !
La rencontre à venir du très vieil homo sapiens père de ce très jeune élève en chair et en os méritait bien ces quelques lignes n’est-ce pas?
Elle fut rassurée à ma vue, l’enfant n’était pas un menteur, enfin juste avant que le loup ne pointe le bout de son nez! Même si aujourd’hui certains de ces carnivores aux dents aiguisées comme des sabres ont été aperçus à nouveau dans notre région.
Quittons ce monde inquiétant pour revenir à pas de loup visiter la grange et son étable où logeaient les lourds sabots de la ferme. Après avoir passé le porche daté de l’an huit de la République française on pouvait apercevoir à droite le puissant percheron Pompon. A ses côtés une charmante jument nommée Coquette de robe baie foncée avait l’œil vif ! La dame au très fort caractère n’était pas du genre à se laisser manœuvrer facilement, elle avait toujours refusé de travailler seule!
Suivaient dans l’ordre trois vaches, baptisées en fonction de leur robe : Flourette, Blanchette, et Négrote.
Deux ânesses complétaient ce cheptel important, elles avaient pour nom Nénette et Fatma.
Dans la petite porcherie ,on engraissait un cochon, toujours prêt à sauter sur une poule inconsciente qui se hasardait dans son espace restreint! Elle était attirée par quelques vermisseaux et la gourmande finissait généralement sa vie dans l’estomac du carnivore grognant.
Pompon et Coquette étaient des robustes chevaux de trait, nous les attelions à différents outils à la fin des années cinquante afin de travailler les champs.
La faucheuse, l’andaineuse étaient utilisées au mois de juin pour la récolte du foin.
Le brave Pompon secondé parfois par Coquette ,collier sur l’encolure, ne chômait pas!
La ferme n’avait pas une grande surface d’exploitation , tous les terrains étaient regroupés dans un rayon d’environ un kilomètre. Le chef de famille se plaisait à dire en plaisantant aux curieux qui lui posaient la question «Nous sommes des grands propriétaires, nous possédons des biens sur deux départements et quatre communes !» Pour finir de les convaincre et afin d’appuyer ses paroles , il les énumérait : Le Lot , l’Aveyron étaient suivis des célèbres noms des villages bien connus des gens du pays d’Olt, Faycelles, Capdenac -le -Haut, Loupiac et Capdenac- Gare Il y avait là de quoi asseoir une certaine notoriété, même lorsqu’on se sentait fauché comme les blés!
Au début de l’été ,la période des fenaisons nous donnait beaucoup de travail ! La tâche était rude. Sur une surface d’environ six hectares une fois le travail mécanique achevé, nous devions rassembler le foin en meule avant de le charger sur la remorque et le remiser au-dessus de l’étable. Les grosses chaleurs ne facilitaient pas notre labeur alors qu’à grandes enfourchées , mon père élevait le foin jusqu’à l’ouverture de l’étage supérieur où mon frère aîné dégageait le passage et envoyait la précieuse herbe séchée près de nous. Notre rôle consistait à tasser l’herbe avec nos petits pieds dans des allers et retours incessants pour qu’un maximum du précieux regain sec puisse entrer dans la remise. Je ne peux que difficilement vous décrire l’ambiance du coin chargé en diverses poussières aux très fortes effluves, qui avaient le pouvoir de nous irriter la gorge nous piquer les yeux et nous plongeaient dans des atchoums à n’ en plus finir!
Heureusement un bon verre de menthe à l’eau bien fraîche que nous amenait notre chère mère nous permettait de retrouver un second souffle.
La journée se terminait toujours par une baignade bien méritée près de la cale qui mettait fin au mur du port.
Nous étions satisfaits du boulot accompli, Pompon, Coquette et la grande troupe de poids lourds auraient de quoi manger durant la longue période hivernale.
Pompon était un cheval admirable, taillé dans la masse comme un athlète, d’un poids approchant la tonne. Toujours aux moindres ordres il obligeait Coquette la rebelle à suivre la cadence, même si parfois elle n’était pas partante pour transpirer plusieurs heures. Le travail de la vigne était assuré par le percheron. Il partait seul pour tracter la décavaillonneuse qui permettait une approche des ceps avec une précision millimétrée ainsi, le moindre pied d’herbe était éliminé.l Mais là où le roi Pompon était surprenant c’était quand attelé à la sarcleuse, seul en bout de la rangée il reprenait l’allée suivante !
L’entretien du petit vignoble prenait fin par une récompense que je n’aurais manquée pour rien au monde. Mon brave père me hissait sur le dos puissant cheval pour une balade inoubliable depuis les grappes de raisins vers l’écurie. C’est à cet instant précis que commençait pour moi le grand frisson. D’un pas sûr, frappant le chemin avec ses larges et lourds sabots. Pompon se déplaçait tranquillement vers son lieu de repos, et faisait de moi l’écuyer le plus fier à dix lieues à la ronde!
Avant de passer sous le porche d’entrée, il ralentissait conscient que sur son dos ,je devais baisser la tête.
Puis il se dirigeait vers l’abreuvoir où dans une aspiration continue qui me paraissait interminable, il buvait six à sept litres d’eau sans relever la tête avant de reprendre place fièrement à côté de sa princesse.
Arriva le fameux jour où tout a basculé !
Nous avions dans les coteaux une parcelle plantée en betterave, non loin des quelques chênes truffiers qui nous permettaient d’améliorer en période hivernale notre quotidien. Nous devions aller récolter les tubercules au poids conséquent, et c’est donc à Pompon que nous avions confié la traction de la charrette dans les travers vertigineux. À vide ,tout se passa normalement mais déjà je mesurais la prise de risque du déplacement où les pierres éparpillées soulevaient par intermittence les solides roues porteuses au point d’ébranler fortement l’ensemble de l’attelage. Sur le lieu de la récolte, nous n’avons pas ménagé nos efforts, et pas à pas nous avons fini par avoir l’ensemble des betteraves chargées. Je m’étais hissé moi-même sur le monticule, la puissance du courageux cheval allait être mise à rude épreuve. Sans broncher, Pompon tractait la périlleuse cargaison qui se déplaçait titubante dans ce dévers très incertain quand l’inévitable se produisit. Un bloc énorme a agi comme un bras de levier ascensionnel en déséquilibrant le tombereau. Je me suis senti propulsé, et dans une roulade qui m’a paru interminable, favorisée par cette horrible pente, j’ai terminé ma course stoppé par un genévrier sauvage.
Aussitôt sur mes jambes, j’ai aperçu Pompon couché bloqué par les brancards, poussé par je ne sais quel courage, je suis revenu vers lui aussi vite que je m’en étais éloigné !.
Mon père s’attelait déjà à le dételer!
La tête plaquée par moments au sol, Pompon tentait désespérément de la redresser par un mouvement puissant d’encolure. « Caresse-le, parle lui pour le calmer », me dit alors celui qui n’aurait à mes yeux jamais dû prendre un tel risque! Pour la première fois de mon existence je crois que j’ai eu un sentiment de révolte face à celui que j’admirais!. Le plus près possible de la tête de mon cheval qui à chaque aspiration avait les narines qui doublaient de volume, j’essayais avec toute la force de ma faiblesse de le calmer en le caressant. Je voyais ses yeux affolés, ouverts au maximum, scruter le ciel dans des va-et -vient effrayants. Sa puissante respiration me laisser espérer qu’il allait survivre mais j’ignorais s’il s’était brisé un membre. Et tout à coup j’ai entendu une voix prononcer ses mots : « Eloigne-toi vite, je viens de désolidariser les brancards, s’il n’a rien de cassé il va se redresser sur ses pattes !»
Les miracles arrivent parfois, rassemblant dans un élan ses dernières forces, la brave bête se redressa, puissamment avant de pousser de brefs hennissements de satisfaction ou de soulagement !
« On rentre maintenant, je trouverai un autre moyen pour récupérer la charrette et le chargement », ce qui entre-nous, n’avait aucune importance !
Pompon, mon brave Pompon,et moi n’avions que quelques égratignures, là était l’essentiel!
Le rituel dans nos contrées était donc étroitement lié aux saisons plus ou moins favorables aux récoltes. L’animal était le moteur d’un système, sans lui rien n’aurait été possible.
Il arrivait parfois qu’un paysan voisin vienne vers nous pour nous demander si nous pouvions lui prêter mon animal de trait préféré pour une journée.
Croyez-moi, il est plus facile de répondre oui à une demande concernant l’outillage qu’à ce type de sollicitation !
Même si notre cher cheval était suffisamment habitué à travailler, et que sa docilité fusionnait avec le courage qu’il déployait au labeur, mon père préférait être à ses côtés.
Il lui fallait alors prendre une décision rapide.
Le plus souvent, il proposait sa présence pour ne pas froisser le paysan, Il partait ainsi pour honorer un travail dont il se serait bien passé.
Cette situation n’était pas exceptionnelle, il arrivait qu’un animal se blesse, ne laissant aucune autre possibilité. Certaines cultures ne peuvent pas attendre elles sont rythmées aussi précisément qu’une symphonie!.
« C’est le temps qui commande», se plaisaient à répéter les agriculteurs du pays.
Hélas, parfois il n’y avait pas d’autres alternatives que de décliner la demande. On ne peut être à deux endroits à la fois, bien que j’aie ouï dire qu’un personnage célèbre y était arrivé !
S’ensuivait alors une mésentente, qui parfois prenait des proportions inimaginables, on ne se parlait plus!
Ainsi entre les Sirvain et les Marcouly avons-nous assisté à près d’un siècle de profonde animosité!
On s’ignorait, la haine prenait des proportions délirantes sans que l’on sache vraiment pourquoi ni quand elle avait débuté, et surtout quelle en était la raison.
Elle était ancrée dans nos gènes, on ne peut expliquer l’inexplicable ,n’est-ce pas ?
Un jour, alors que je me promenais ,j’ai aperçu le fils Sirvain au fond de l’étang.
Il faisait mine de ne pas me voir quand une de crever l’abcès me guida irrésistiblement vers lui.
Il ne refusa pas la conversation. Après tout, peut-être que dans son for intérieur de brave paysan, il souhaitait lui aussi inconsciemment sortir de cette impasse. Aussitôt près de lui, j’ai engagé la conversation avec cette phrase directe.
«Bonjour, j’ai une question qui turlupine mon esprit depuis longtemps !»
-Connais-tu la raison pour laquelle nous ne nous parlons pas, et pourquoi nous entretenons cette horrible relation doublée d’une tension constante depuis des dizaines d’années entre nos deux familles ?».
Sa réponse a été aussi directe et précise que ma question : «je n’en sais rien !»
-Eh bien écoute-moi, à partir d’aujourd’hui si tu es d’accord, on fait une croix sur ce lointain passé relatif à nos aïeux et nous entretenons à nouveau une relation amicale».
Lui : -mais bien sûr !
Le plus rigolo dans cette histoire, c’est que dans la généalogie de nos familles, j’ai découvert à ma grande surprise que nous étions cousins!
Depuis, nous vivons des jours sans tension, mais nous restons vigilants ! Il n’est pas interdit qu’un jour cette paix retrouvée prenne fin, les rancœurs ainsi étouffées peuvent renaître sournoisement et mûrir toutes ensemble, le fils n’est pas le père!
Laissons ce feu couver et parlons à nouveau du cheval à la lourde crinière blonde.
Pompon a eu une vie bien remplie . Sa mort fut le reflet de son parcours exemplaire. Nous l’avons découvert un matin ,allongé face au râtelier qui avait tant vu son museau happer puis broyer le foin qu’il contenait.
Il a eu droit à des obsèques dignes d’un grand destrier et nos larmes l’ont accompagné jusqu’à l’énorme fosse qui avait été creusée par le premier bulldozer en service de la sablière Grégory.
Son corps repose depuis face aux parcelles qu’il a si souvent arpentées avec courage un collier autour de l’encolure.
Coquette ne s’est jamais remise de cette brutale séparation. En totale déprime, elle a refusé de travailler seule. L’heure de la mécanisation à outrance allait bientôt sonner poussant la traction animale hors des écuries.
Mon père en grand seigneur décida néanmoins de résister à ce soudain séisme du terroir. La jument a eu droit aux honneurs d’un bel étalon et quelques mois plus tard naissait Pucette une belle alezane.
Cette arrivée fut pour nous tous une délivrance. Nous ne doutions pas que la mère s’occuperait de sa pouliche et finirait par reprendre comme on l’entend chez nous du poil de la bête !
Après le sevrage de Pucette, elle n’avait cependant toujours pas retrouvé l’entrain qu’un propriétaire attend d’une jument de trait.
L’heure des interrogations est arrivée, nous ne pouvions pas nous permettre de continuer à nourrir un animal en déprime !
Mon père décida de la vendre suitée à un maquignon du coin. Bien plus tard, j’ai appris qu’un triste sort leur avait été réservé !
L’argent ainsi gagné rapidement nous a permis de faire entrer dans la maison un instrument diabolique où des personnages en noir et blanc s’agitaient continuellement. Ce petit écran n’était pas avare en conseils pratiques, il incita le chef de famille à se tourner résolument vers l’avenir.
Il acheta un motoculteur de marque Staub. Ce curieux engin motorisé était équipé de tous les accessoires utiles pour cultiver la terre. On ne pouvait lui trouver que des avantages par rapport aux animaux! Il suffisait de le lancer d’un geste sec avec une ficelle pour qu’il démarre au quart de tour!
Il ne rechignait pas à la tâche ! Comble du bonheur une substance liquide à la forte odeur qu’on lui donnait à ingurgiter suffisait pour le propulser pendant près d’une heure sans risque d’emballement !
Pas de doute, l’affaire du siècle, mon géniteur l’avait entre ses mains!
On ne voyait que des avantages à ce tas de ferraille ronronnant !
Alors me direz-vous, elle n’était pas porteuse d’un avenir meilleur cette brillante avancée mécanique qui allait enfin libérer l’esprit des pauvres paysans ? Du moins le croyait on!
Ne nous laissons pas attendrir par une nostalgie naissante, il faut savoir évoluer intelligemment pour vivre en symbiose avec son époque et pour cela on doit sans aucune appréhension se remettre continuellement en question ! Nous rentrions de plain-pied dans l’ère ultramoderne des chevaux moteur, de l’électricité, de l’eau paiera ! Nos habitudes allaient être totalement bouleversées le confort entrait dans nos vieilles demeures, la planche à laver le linge avait trouvé sa remplaçante presque autonome !
Un tracteur Massey Harris Pony ne tarda pas à faire son apparition triomphale dans la cour de notre ferme, entre Pony et grand Poney. Il suffisait simplement d’affranchir une lettre de commande n’est-ce pas?
Nos occupations étaient toujours les mêmes, Négrote, Flourette, et Blanchette n’ont absolument rien remarqué d’anormal. On continuait notre chemin en allant les garder, mais c’était sans compter sur une nouvelle invention géniale qui elle aussi allait révolutionner nos habitudes, la clôture électrique! On aurait pu ,croyez-moi, surnommer avec justesse cette période l’époque miraculeuse !
Cependant elle a eu ses victimes ! Le forgeron
installé dans tous les petits hameaux ne lui survivrait pas longtemps !
Ainsi prit fin la chevaleresque aventure du travail équin, mais également celle du bovin au sein de nos communes. Une banque de crédit agricole allait faciliter les échanges et permettre l’achat du nec plus ultra en matière d’avancée technologique grâce à des facilités de paiement. Pour rester à la pointe du progrès, il ne faut pas avoir peur de se lancer sans a priori dans son aventure. Des paysans pris à la gorge par les emprunts n’eurent qu’une alternative celle du suicide! Est-ce ce que l’on nomme communément la rançon du progrès ? J’ai cependant vu certaines petites fermes résister à cette défiguration fulgurante du paysage agricole jusqu’au début des années soixante dix. Ce n’est pas sans une certaine nostalgie doublée d’une grande tristesse que je vous ai fait part de ces quelques pages qui témoignent d’un passé heureux, où l’animal a eu un rôle prédominant grâce à son intelligence et à son dévouement inné pour l’homme.
N’oublions pas que durant la première guerre mondiale les chevaux de trait sous une mitraille nourrie de l’artillerie ont été employés à la traction des canons. C’est dans un délire sanguinaire total que ces pauvres bêtes sont mortes par dizaines de milliers dans un épuisement total au fond de leur mare de sang.
Avant de vous laisser lire un autre récit chères lectrices et chers lecteurs je tiens à vous poser une question.
Mon grand-père avait une paire de bœufs pour travailler les champs, pourquoi mon père a t-il résolument fait le choix d’avoir deux chevaux percheron pour cette même tâche ?
Bien entendu j’attends de vous la raison principale !
Vous avez dix secondes pour répondre à cette question pertinente !
Neuf…huit…sept…six…cinq…quatre…trois…deux…un…stop : eh bien oui! Vous avez la bonne réponse : tout simplement parce qu’ils accomplissaient le travail demandé deux fois plus rapidement!
Une dernière information importante il y avait deux millions quatre cent mille explorations agricole au début des années cinquante il y en a six fois moins de nos jours.
Ce manque de bras a eu un effet immédiat sur l’entretien de nos campagnes. Beaucoup de sentiers ont disparu, laissant place à la broussaille.
La voie romaine qui serpentait sur le flanc de la colline de la Madeleine appartient aujourd’hui au passé!
Je vous ai parlé dans mon écrit des clôtures électriques venues en substitution des bergers qui façonnaient des murets avec les pierres du causse et des cazelles pour s’abriter lors des intempéries. Comment ne pas regretter cet entretien journalier et le plaisir que j’avais, au détour d’un chemin sur mon vélo de me retrouver face à une belle bergère !
Décidément je hais ce progrès qui s’est emballé et qui est à l’origine d’une clé des champs à l’ambiance de plus en plus survoltée!
Allez pour clôturer cette longue histoire je vais vous amener au crédit agricole. Mon père fut le premier client de l’agence de Figeac au début des années cinquante.
Vous n’imaginez pas tous les avantages que peut nous offrir le système financier.
Un chéquier à la main permet de se lancer dans des transactions rapides et efficaces sans avoir à trimballer sur soi des sommes astronomiques, avec tous les risques qui sont liés à ce type d’échange pour le moins aventureux. C’était bien entendu avec le crédit que l’on pouvait obtenir le dernier cri de la technologie moderne. Ce fut un des arguments que le banquier avança pour convaincre les premiers clients de l’agence !…Et même les seconds paraît-il !
Mon père rencontra son voisin Fernand peu de temps après et lui indiqua le processus à suivre pour obtenir le miraculeux chéquier qu’il tenait en main.
Après quelques hésitations quand même, notre brave paysan passa la porte du coffre -fort.
Inutile de vous dire que le système ingénieux des rendez-vous n’existait pas encore!
Reçu avec toute la courtoisie due à son rang, empreinte indélébile de ce temps révolu, suivirent quelques sages paroles. Il obtint sans difficulté le droit d’utiliser à sa guise le fameux carnet aux nombreux feuillets.
Et sans se préoccuper de savoir si son compte avait suffisamment de provisions, notre Fernand se lança dans des dépenses inconsidérées.
Il ne tarda pas à recevoir une convocation par courrier lui indiquant qu’il était attendu d’urgence au guichet. Le banquier avait quelque chose d’important à lui communiquer.
Il attela donc la charrette à sa jument grise, s’habilla du dimanche et se rendit à ce rendez-vous en se demandant tout le long du chemin ce que voulait lui dire ce brave homme cravaté.
Voici le dialogue rapporté par un journaliste du coin:
« Bonjour Monsieur»
« Bonjour »
« Je vous ai convoqué car votre compte accuse un solde débiteur très important !»
« Un qué?»…« Un quoi?»
«Vous n’avez pas l’argent que vous dépensez à tour de bras depuis plus d’un mois!»
«Ah compreni mas es pas grèu! Qué aquò tenga pas!…Per reglar aquel problèma dichas ieu çò que devi! Vos vau far un chèc !»
«Ah je comprends mais ce n’est pas grave!…que cela ne ne tienne!…
Pour régler ce problème dites -moi ce que je dois! Je vais vous faire un chèque !»
C’est ainsi que nous avons fait nos premiers pas dans l’ère moderne qui nous a grandement simplifié la vie n’est-ce pas?