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Dans l'arène espagnole

Eléâzar

Maître Poète
#1
Viens m’aider à dormir, viens près de moi t’asseoir
Pour que cesse ma peur dès les lueurs du soir
Venu pour tout éteindre ;
Découvre un peu le drap, assieds-toi sur le lit
Puis ôte de mes mains, ce livre que je lis
Et laisse-moi t’étreindre.

Je sens ton sang et ton sein chauds de mammifère
M’étourdir mieux que ce satané somnifère
De curare et d’opium
Que j’avale avec de l’eau sucrée dans un verre
Qui a servi de vase à une primevère
Et à un géranium

Morts depuis bien longtemps et le médicament
A cru les remplacer comme on change d’amant
Lorsque l’âme somnole
Après qu’elle a livré un combat de titan
En se bousculant sans s’accorder de mi-temps
Dans l’arène espagnole.

Elle demandait à mon cœur frêle et tremblant
Un soutien minimum pour garder un semblant
De dignité farouche
Alors que cet organe, affecté lui aussi
Par cette frénésie qui lui causait souci
Montait me voir en bouche ;

La sirène agitait sa roja muleta
Et le taureau était dans un drôle d’état
Au cours de la bataille
Où le sang affluait aux naseaux, sur les flancs
Alors que le poisson mollasson comme un flan
N’était pas à sa taille.

Ô tendre, cette horreur, ce soir, efface-la,
Retiens-moi dans tes bras, reste comme cela
Et dis-moi si l’ablette
A perdu le combat et a été huée
Par la foule et si le beau taureau l’a tuée
De sa force d’athlète.

Ecrase mes cachets, vide tout le flacon,
Viens m’enneiger le front, le tien est un flocon
Qui adoucit ma ride ;
Mon âme est apaisée, mon cœur va ralentir,
Ma poitrine est ouverte et vide et va sentir
Ton haleine torride.

En m’endormant, je songe au fretin frétillant
Aux écailles dorées, marchant en sautillant
Devant la belle bête
Encornée pour jouer par ses parents taureaux
Si loyaux qu’ils craignaient de causer du tort au
Barbeau qui les embête.