Ne cherchez pas chez les ancêtres
De Beaumarchais ce joli nom
Car notre aimable homme de lettres
Se nommait simplement Caron
C'est d'un mariage ridicule
Avec une veuve argentée
Qu'il s'attribua la particule
Pour s'appeler "de Beaumarchais"
Mais, par la suite, son Altesse
Au nom des services rendus
Le confirma dans la noblesse
Pour que son nom se perpétue
Pierre Augustin vient à la vie
Début mil sept cent trente-deux
Dans les beaux quartiers de Paris
D'un couple plus très amoureux
Dix enfants sont nés de leurs œuvres
Dont quatre mourront en chemin
Laissant pour seul mâle chef-d'œuvre
Le petit Pierrot Augustin
Le père est maître des horloges
Comme son père et son grand-père
Lors, pour son fils, il ne déroge
À la tradition séculaire
Aussi, après quelques études
Pierrot revient en la demeure
Accompagner la solitude
De son minutieux géniteur
Après avoir passé ensembles
Quelques ans semés de conflits
Bien qu'aucunement sa main tremble
Pierrot quitte l'horlogerie
Comme j'ai dit en préambule
Il épouse une riche veuve
Qui lui offre la particule
Mais en noblesse point de preuves
L'an suivant son épouse meurt
Âgée de trente-cinq années
L'héritage et les belles heures
Sitôt lui passent sous le nez
Pas trop abattu, il spécule
Et comme il est intelligent
Il fait fructifier un pécule
Qui lui rapporte tant d'argent
Qu'il s'achète la noble charge
De secrétaire du roi Louis
Qui magnanimement le charge
D'administrer sa vénerie
Le job est cool, c'est la cocagne
Il peut écrire, composer
Et voyager jusqu'en Espagne
Pendant une petite année
Sans un sou, comme on dit, "à sec"
Il rentre au pays épouser
La belle Madame Lévêque
Une veuve très fortunée
Au bout de deux ans de mariage
Celle-ci meurt d'apoplexie
Et bien sûr le gros héritage
Tombe entre les mains du mari
Or cette fois-ci la justice
Suspecte l'ami Beaumarchais
Mais les recherches n'aboutissent
Malgré trois années de procès
Intrigué par son gentilhomme
Le roi le conviant au palais
Contre toute attente le nomme
Chef de son service secret
Il le dépêche en Angleterre
Pour négocier la suppression
D'un livre sur son adultère
Avec une dame au grand nom
Mais la mission tourne au grotesque
Car le roi entre-temps capote
Et d'une plume picaresque
Beaumarchais conte l'anecdote
Dès que Louis XVI prend les rênes
La dame est bannie de Versailles
Et par la grâce souveraine
Notre espion reprend son travail
Bientôt ce curieux James Bond
Sillonne le vieux continent
Va même jusqu'au Nouveau-Monde
Pour conseiller les "Insurgents"
Dans la guerre d'Indépendance
Beaumarchais revend les canons
Que lui fournit le roi de France
Et en devient riche à millions
C'est au cours de ces longs voyages
Qu'il s'éprend d'une jeune fille
Pour qui il écrit quelques pages
D'un certain "Barbier de Séville"
En mil sept cent soixante-seize
Les navires de Beaumarchais
Sont détruits par la flotte anglaise
Ce qui le ruine à tout jamais
Notre héros pour s'en remettre
Se réfugie dans l'édition
Des œuvres de son ancien maître
Voltaire, céans moribond
Lors, il s'installe en Allemagne
Dans la forteresse de Kehl
Se marie avec sa compagne
Quand la Révolution l'appelle
Avec au fond de sa valise
"Le mariage de Figaro"
Le dramaturge aux tempes grises
Est accueilli comme un héros
Il devient membre provisoire
De la commune de Paris
"Le Couronnement de Tarare"
Est, à l'Opéra, applaudi
En mil sept cent quatre-vingt-dix
Partout ses comédies sont jouées
Mais ses vieux démons l'envahissent
Il se remet à spéculer
Aux troupes de la République
Il cherche à vendre des fusils
Sauf qu'on n'est plus en Amérique
Sous la Convention, à Paris
Séance tenante on l'enferme
À la prison de l'Abbaye
Comme il devine qu'à court terme
À la mort il sera conduit
Il s'échappe et quatre ans se cache
Dans les environs de Hambourg
Puis, quand on enterre la hache
Au pays, il est de retour
Nous sommes en quatre-vingt-seize
En France, c'est le Directoire
Et dans sa maison, très à l'aise
Beaumarchais écrit ses Mémoires
Soudain, en quatre-vingt-dix-neuf
D'une crise d'apoplexie
Beaumarchais, notre habituel veuf
Laisse à sa veuve son hoirie.