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4 h du mat

VikThor

Maître Poète
#1
Il est quatre heures du matin, je ne dors pas et j'ai des cheveux blancs. Mon front est ridé et je m'avise que je suis vieux. Alors je pense au gamin que j'étais, il y a longtemps.
C'était autrefois, dans un quartier d'immigrés, en réalité une ancienne carrière, le "quartier nègre" comme on disait à l'époque, où survivaient réfugiés italiens, espagnols et autres apatrides en mal de terre. Les cabanes étaient faites de vieilles planches ou de carton goudronné. La nôtre, superbe luxe, était en terre battue. Les murs, gonflés des pluies et brouillards qui "marécageaient" ce trou, suintaient l'humidité et le moisi. Nous étions quatre familles à s'entasser dans cette baraque, plus les rats nombreux et gras comme des lapins. Les appartements n'avaient pas de toilettes. Tout se passait à l'extérieur: un wc turc à ciel ouvert où l'on faisait la queue le matin pour vider son pot de chambre. Pas d'égouts non plus, seulement des rigoles où l'on pataugeait pieds nus pour s'amuser. On se serrait à sept dans deux pièces. On vivait dans la "chambre-salle à manger-cuisine-salle de bains" des parents, on dormait à cinq dans l'autre pièce. Le bain, c'était une fois par semaine dans la même bassine à bouillir le linge. Moi en tant qu'aîné, je passais le premier des garçons, comme ça l'eau était toujours propre. Les devoirs, c'était au bout de la grande table, à côté d’épluchures de pommes de terre pour la soupe. Dans la cour, on se retrouvait à plus de trente gamins pour jouer aux grands. On devait être heureux puisqu'on était des enfants. Sauf qu'au plus profond des mes souvenirs, j'ai toujours été un enfant battu.
Oh! Pas tout le temps ! Il y avait les bons et mauvais jours. Quand tout allait bien on sentait la bonne odeur de cuisine comme dans toutes les maisons où les mamans étaient aux fourneaux. La "TSF" qui nous suivait toute la journée : le matin la musique, les émissions et les jeux la journée, le soir les récits d’aventures dont on profitait en cachette derrière la porte de la chambre. Plus tard ce sera la télé en noir et blanc avec son unique chaîne.
Mais il y avait les mauvais jours, terribles. Souvent parce que l’argent manquait. Plus d’odeur de bons repas mais quelques relents de maigres plats. Et le père qui rentrait le soir après avoir bu les dernières pièces, éméché, l’œil mauvais, la lèvre en rictus. L’air se chargeait d’électricité. J’étais pétrifié je retenais mon souffle dans l’attente de l’orage qui allait éclater.
Ça commençait par des reproches, des insultes, des menaces. Ma mère répondait, se justifiait, tentait de le calmer. Puis les coups pleuvaient, c’était l’orage avec son tonnerre. Tout valsait, la table, les chaises, le modeste mobilier… et ma mère contre les murs où elle laissait à chaque rebond une tâche de sang. Alors je me précipitais vers elle pour la protéger. Et c’était mon tour. Ma peur était moins forte que les gifles et les coups de pieds. Mes frères et sœurs, plus petits, restaient dans la chambre. Il ne les touchait jamais, il m’avait moi, l’aîné, le « bâtard » comme il disait. Le lendemain, on faisait comme si rien ne s’était passé. Les parents étaient réconciliés, c’était presque un bon jour, sauf qu’il fallait réparer les chaises cassées et que ma mère s’efforçait de cacher au mieux ses bleus. Quitte à porter des lunettes de soleil en plein hiver. On se retrouvait ainsi, dans l’attente du prochain orage.
Les années ont passé, je devenais adolescent et plus exigeant. J’implorais ma mère de quitter ce bourreau. Mais elle le défendait sans cesse : « il n’est pas méchant… ce n’est pas sa faute… c’est à cause de la guerre qu’il a connue… » etc… Je compris qu’elle l’aimait vraiment. Plus que nous sans doute, plus que moi sûrement. Petit à petit je les ai quittés. Les fugues d’abord, la grande évasion ensuite. Ma mère m’a perdu mais je ne pense pas qu’elle en ai vraiment souffert puisqu'elle gardait son homme. Et moi j’ai appris à l’aimer de loin, en longs silences, en grandes absences. Tandis que je construisais ma nouvelle maison : la rue, les combines, les copains, les nuits à la belle étoile, la prison… mais ça c’est une autre histoire…

Vik
 

VikThor

Maître Poète
#12
Récit émouvant !! je vois là, le commencement d'un roman que tu pourrais écrire tellement beau, on est régalé à poursuivre la lecture du début à la fin !! j’attends une suite !
merci Viktor
bonne journée
carlame
Ce roman, il est en moi mais également sous forme de feuillets qui dorment dans mon placard et que j'ai noircis d'une encre parfois noire, parfois rose, selon les "tranches de vie" qu'elle couchait sur le papier. Pour ne pas perdre ce fil de vie, pour ne pas me perdre lorsque celui-ci semblait se briser. Sans doute faudrait-il que les sorte de leur confinement. Merci, belle journée
 

Emmylee

Maître Poète
#13
Lecture pleine d'émotion.
Je vous imaginais gamin, dans cette maison de fortune et cette espièglerie de l'enfance qui grandi trop vite malheureusement. Puis l'imagination a laissé place à des souvenirs au fil de votre lecture ... Il y a des mots qui font plus mal que des coups.
Merci pour ce partage et hâte de lire cette autre histoire .
 

VikThor

Maître Poète
#14
Lecture pleine d'émotion.
Je vous imaginais gamin, dans cette maison de fortune et cette espièglerie de l'enfance qui grandi trop vite malheureusement. Puis l'imagination a laissé place à des souvenirs au fil de votre lecture ... Il y a des mots qui font plus mal que des coups.
Merci pour ce partage et hâte de lire cette autre histoire .
Je n'imaginais pas en posant ces quelques lignes un soir de nostalgie susciter autant d'intérêt. C'est vrai que chacun de nous a sa propre histoire dans une histoire commune à tous et que nous avons plaisir à découvrir celle des autres. Une suite, sans doute.. Merci belle journée
 

Polymnie2

Maître Poète
#16
Une vie qui a débuté par des épreuves, lourdes à porter si jeune,
trace le chemin parcouru, fuir toutes ses déconvenues, qui enfilent
une succession en chapelet au moyen du bord, le seul à trouver,
l'appui des copains d'abord! se réchauffer d'une amitié existante
alors!
"c'était inscrit"? faut-il le croire? mais oui, il n'y a pas de fumée sans feu!
............
..............

Merci Vik, c'est au pas que je te suis, même s'ils sont géants chez toi,
ils disent suffisamment pour poursuivre

Bise d'amitié, Poly, ce 29 mars 2018
 
Dernière édition:

Vega46

Maître Poète
#18
Mon enfance ressemble étrangement à la tienne VicThor ...moi je n’étais pourtant pas l’ainé mais le dernier né de la famille.
Je comprends dans ses détails le parcours de ton enfance dans ce fleuve continuellement agité où l’on a un mal fou à rester en surface...
J’essaie de mon côté d’oculter ses souvenirs douloureux, toutefois plus j’avance dans ma vie plus ils ressurgissent ....
Mon amitié
Maurice Marcouly
 
Dernière édition:

kinkin

Maître Poète
#19
Toute une famille anéantie le mari boit la femme et les enfants trinquent comment avoir une vie normale entre guillemets après bravo pour ton récit je me retrouve un peu la dedans amicalement Kinkin
 

VikThor

Maître Poète
#20
Une vie qui a débuté par des épreuves, lourdes à porter si jeune,
trace le chemin parcouru, fuir toutes ses déconvenues, qui enfilent
une succession en chapelet au moyen du bord, le seul à trouver,
l'appui des copains d'abord! se réchauffer d'une amitié existante
alors!
"c'était inscrit"? faut-il le croire? mais oui, il n'y a pas de fumée sans feu!
............
..............

Merci Vik, c'est au pas que je te suis, même s'ils sont géants chez toi,
ils disent suffisamment pour poursuivre

Bise d'amitié, Poly, ce 29 mars 2018
Dans les années 50-60 c'était une situation courante dans le "petit peuple". Il n'existait pas les droits de l'enfant, ni de suivi social dans les familles et l'alcoolisme était très répandu . Mais je ne me plains pas, la vie m'a récompensé en me tannant le cuir et en me donnant les outils pour me défendre. Merci mon amie , même si je marche devant toi je ne te ferai jamais de l'ombre tant tu es lumineuse d'amitié. Bises
 
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